[Critique] LES MISÉRABLES

CRITIQUES | 14 février 2013 | Aucun commentaire

Titre original : Les Misérables

Rating: ★½☆☆☆
Origine : États-Unis
Réalisateur : Tom Hooper
Distribution : Hugh Jackman, Russell Crowe, Anne Hathaway, Eddie Redmayne, Amanda Seyfried, Samantha Barks, Sacha Baron Cohen, Helen Bonham Carter…
Genre : Comédie Musicale/Drame/Adaptation
Date de sortie : 13 février 2013

Le Pitch :
Après 19 ans de dur labeur en prison pour avoir volé une simple miche de pain, l’ex-bagnard Jean Valjean prend en charge la petite Cosette, la fille de Fantine, une jeune ouvrière tombée dans la misère et la prostitution, pour subvenir aux besoins de son enfant, malencontreusement confiée à un couple de scélérats, les Thénardiers. Mais depuis sa libération, Valjean est traqué par l’intransigeant policier Javert, pour n’avoir pas respecté sa liberté conditionnelle. Désormais fugitif, Valjean passera des années à la recherche d’une nouvelle vie, et alors qu’il rencontre divers individus qui pourraient l’aider dans son cheminement vers la rédemption, le pays est troublé par une agitation politique. Une révolution se prépare…

Attention : cette critique pourrait contenir quelques spoilers. Certes, c’est un film basé sur un livre qui date d’un siècle et demi, mais vous êtes néanmoins avertis.

La Critique :
Je comprends pourquoi tout le monde aime Les Misérables. Du moins, la production théâtrale extravagante de Claude-Michel Schönberg et Alain Biboul. C’est un ensemble de chansons qui sont magnifiquement émotives, structurées dans le cadre d’une histoire classique qui est louée depuis que Victor Hugo l’a écrite il y a 150 ans, et qui comprend plusieurs personnages qui figurent parmi les plus chéris de toute la littérature occidentale. Sa réputation ne pourrait être mieux établie, et trois décennies de spectacles parlent pour le reste. Tout ceci est bien regrettable, cependant car en ce qui concerne sa version cinéma, ou plutôt cette version en particulier, Les Misérables est irregardable.

Le vrai souci, c’est que l’on a affaire à une copie de troisième génération : l’adaptation d’une adaptation. Le musical est composé uniquement de chants du début à la fin, donc il démonte la plupart du récit assez compliqué du roman, pour en faire une série de grandes séquences spécifiques qui servent de base aux chants. Et cela ne pose aucun problème sur scène, puisqu’après tout, le théâtre en direct a typiquement un côté un peu abstrait. Mais dans un film, surtout un qui cherche à imiter la réalité autant que possible, c’est une véritable catastrophe. Par la suite, même si on connaît déjà l’histoire, le film laisse ses spectateurs complètement perdus. Voir le déroulement de l’intrigue à l’écran est comme assister à un exposé abrégé du récit en classe de seconde, rallongé à une durée interminable par une poignée de chansons. Donc même si le film est d’une longueur épouvantable, tous les personnages qui envahissent le scénario paraissent complètement plats et dépourvus de profondeur. Et ça pose un sérieux problème, surtout quand ils sont tellement nombreux et notre désir de les voir réussir ou échouer est le carburant qui fait avancer toute l’aventure.

En implorant le pardon des fans de Victor Hugo, il est impossible de nier que l’histoire elle-même est un peu trop compliquée. Tel est souvent le cas avec des polémiques de justice sociale et des mélodrames du 19ème siècle. Pour le bénéfice de ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’ouvrage ou de ses multiples incarnations : Jean Valjean est le personnage principal, un criminel mis en liberté conditionnelle et possédant une force physique inouïe, qui sert uniquement l’intrigue, et qui cherche à vivre une vie honnête tout en fuyant les intentions de l’inspecteur Javert – un policier dont la dévotion à l’absolutisme juridique est digne de celle de Batman. Par un concours de circonstances, Valjean devient redevable à une prostituée mourante appelé Fantine à qui il promet de sauver et protéger la fille Cosette, qui est devenue la servante des Thénardiers, deux aubergistes corrompus.

Des années plus tard, Cosette devient l’objet d’une obsession romantique par un jeune noble appelé Marius, qui tombe amoureux d’elle grâce à un simple regard au milieu d’une foule dans la rue, parce qu’on s’en cogne, c’est un musical et on peut laisser passer ce genre de trucs. Compliquant les choses davantage, Marius est désiré par Eponine, qui comme par hasard est la fille des Thénardiers. Ah, et Marius fait également partie d’une groupe d’étudiants révolutionnaires qui préparent une insurrection armée contre la monarchie. Le conflit finit par impliquer Valjean, des cœurs sont brisés, des confrontations s’ensuivent, l’espoir de trouver le bonheur est toujours très improbable, et un tas de pauvres gens mordent la poussière.

Et là, justement, se trouve le problème : jongler avec autant de monde et d’évènements n’a rien de vraiment difficile si on laisse assez de place pour de petits moments intimes entre les personnages. Mais Les Misérables n’a pas de petits moments intimes. Il connaît que les grands moments épiques où tout le monde chante et fredonne à plein cœur, alors tout le film est en avance rapide : on zappe toutes les occasions pour respirer un bon coup et on saute de péripétie en péripétie sur un trampoline narratif d’énormités sans laisser la chance aux instants importants de se poser, de se graver dans la mémoire du spectateur et de signifier quelque-chose. Par exemple, Marius ne se montre pas avant la deuxième moitié du film, et on est censé l’accepter immédiatement comme un protagoniste important parce qu’il aperçoit vite-fait une Cosette adulte et tombe sous le charme. D’accord, à voir Amanda Seyfried sans prévenir on peut comprendre, mais pourquoi est-ce qu’on doit s’intéresser à lui tout à coup ? D’ailleurs, est-il normal que Valjean soit le seul personnage intéressant, uniquement parce qu’on le voit plus souvent que les autres ? Est-ce que Javert est le seul flic en France à faire son boulot ? Quand est-ce que c’est fini ? Pourquoi est-ce que le film suscite de telles questions ?

Mais bon, beaucoup de productions musicales souffrent de ce genre de maladresses narratives, et elles ne sont pas toutes à jeter pour autant. Une reprise dynamique et intelligente peut faire fonctionner l’adaptation à merveille, surtout si un cinéaste doué avec un sens du style est aux commandes. Malheureusement, l’homme qui a entrepris cette mission est Tom Hooper, enhardi par l’honneur qu’il a reçu pour son Discours d’un roi monumental (à la fois dans le bon et le mauvais sens du terme), et si les chansons de Schönberg et Boubil sont accrocheuses, l’incompétence du réalisateur ici est choquante. Plutôt qu’accepter l’artifice parfois somptueux du théâtre musical, Hooper fonce tête baissée dans la direction opposée. Toute impression visuelle de spectacle qui avait orné un film comme Anna Karenine n’existe pas. À la place, Les Misérables a toute la banalité d’une production BBC, et se veut intentionnellement réaliste, insistant sur une sensation de laideur avec des décors crasseux et sous-peuplés et des prises de vue à la shakycam. Ce qui semble à la fois affreusement ridicule et incroyablement contradictoire, étant donné que chaque chanteur est accompagné d’un orchestre hors-champ de violons et d’effets pompeux.

L’approche du sujet est désastreuse. Hooper a une très mauvaise affinité pour les objectifs à grand angle et la caméra à l’épaule. Il a environ trois plans dans son répertoire, donc chaque scène commence avec la caméra qui descend panoramiquement du ciel pour ensuite se cramponner aux interprètes, qui chantent tout un numéro en gros plan détraqué. Sans aucune raison, Hooper filme souvent avec une marge énorme entre la tête des acteurs et le haut de l’écran, et alterne parfois le coup avec des plans mal cadrés qui amputent les acteurs jusqu’aux sourcils. On croirait regarder un film qui est mal projeté, et pourtant ce sont des choix délibérés.

Beaucoup a été dit sur les chansons du film. De la même façon qu’on irait voir un film de Jackie Chan juste pour les cascade folles, l’argument de vente des Misérables, c’est que toutes les chansons ont été enregistrées en prise directe sur le plateau de tournage, avec la vraie voix des acteurs. Et les auteurs sont tellement fiers de cette technique (qui serait carrément révolutionnaire si on faisait tous semblant que les chansons de James Brown dans The Blues Brothers n’avaient jamais existé), qu’ils calent leur caméra devant les acteurs pour qu’on les voit chanter en plan séquence. Techniquement, c’est impressionnant et audacieux, certes, mais à chaque fois le rythme du film est assassiné. D’ailleurs, un peu de flair visuel ou de détails scénaristiques auraient été joyeusement les bienvenus pour accompagner toutes ces mélodies. Mais non, à la place, Hooper préfère coller la caméra dans la gueule de tout le monde et nous donner une belle vue de leurs narines pour nous rappeler à quel point c’est authentique. Oui, Tom, on te croit : Anne Hathaway est vraiment en train de chanter. Ça rend pas le film plus intéressant pour autant.

Et oui, parmi tout le mélodrame, l’exubérance, la tartignolle, les prestations sur-jouées et le pauvre Russell Crowe qui rappelle Pierce Brosnan dans Mamma Mia avec sa voix d’animal étranglé, c’est Anne Hathaway qui survole le tout dans le rôle de Fantine. Notamment, elle tire son épingle du jeu avec une interprétation déchirante de la chanson  I Dreamed a Dream. Mais Fantine elle-même est une sorte de Frankenstein constitué d’Eléments Qui Rapportent Le Prix de Meilleur Actrice Aux Oscars : c’est une prostituée au cœur d’or, une figure maternelle altruiste, elle souffre horriblement pour attirer notre sympathie, et puis son calvaire s’achève, ayant rempli sa seule et unique fonction de donner une occasion au personnage principal de montrer son héroïsme.

Que dire de plus ? Les Misérables est mauvais. Vraiment, vraiment mauvais. C’est un film qui est trois choses : ennuyeux, risible, et légèrement intéressant pour la vingtaine de minutes où Anne Hathaway est au micro. Je comprends que le livre de Victor Hugo et l’adaptation Broadway ont tous les deux leurs fans, et c’est vrai que la musique est admirable, mais n’est-ce pas pour ça qu’on a inventé Itunes ? Les Misérables version 2013 est un exercice qui démontre comment ne pas faire un film. C’est une expérience étouffante, agonisante et tout simplement désagréable. Quand la nouvelle venue Samantha Barks fait de son mieux pour nous séduire avec les paroles de On My Own, Hooper ne peut même pas garder sa tête dans le cadre. Sa caméra ne filme pas les acteurs, elle les décapite. Ceci est un crime esthétique.

@ Daniel Rawnsley

Les-Miserables_photo

Crédits photos : Universal Pictures International France

Par Daniel Rawnsley le 14 février 2013

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