[Critique] LES SCHTROUMPFS 2
Titre original : The Smurfs 2
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Raja Gosnell
Distribution : Neil Patrick Harris, Jayma Mays, Hank Azaria, Brendan Gleeson…
Genre : Animation/Comédie/Suite/Saga/Adaptation
Date de sortie : 31 juillet 2013
Le Pitch :
Créée par le sorcier maléfique Gargamel, la Schtroumpfette était jadis une créature ersatz, une Canaille à la peau grise conçue pour semer le chaos parmi les Schtroumpfs. Mais le Grand Schtroumpf aida la Schtroumpfette à découvrir ses meilleurs qualités et ainsi devenir bleue de peau. Désormais, la Schtroumpfette vit dans le doute : elle a des cauchemars récurrents qui suggèrent qu’elle plus Canaille que Schtroumpfette, et n’appartient pas au village. Gargamel, encore prisonnier du monde réel depuis leur dernière aventure et devenu un magicien populaire, essaye de capitaliser sur sa faiblesse et la kidnappe le jour de son anniversaire dans l’espoir de créer sa propre armée de Schtroumpfs, et s’emparer de leur essence pour dominer le monde. Alors que Le Grand Schtroumpf et un groupe de volontaires partent à sa recherche, Patrick (leur ami du monde réel) doit gérer sa propre crise d’identité : son beau-père Victor veut faire partie de sa nouvelle famille, mais son affection n’est pas réciproque…
La Critique :
“L’important, ce ne sont pas nos origines, c’est ce qu’on choisit d’être ».
Cette petite morale à la guimauve, répétée ad naseum dans ce qui devrait être un film pour enfants inoffensif, résonne avec une forme d’ironie écœurante, parce qu’elle explique exactement les intentions de ce qui est réellement un produit froidement commercial. Dans le cas de Les Schtroumpfs 2, la suite inutile et grotesque d’un film de 2010 qui était également inutile et grotesque, il décide d’ignorer ses origines belges folkloriques et l’imagerie européenne du vieux dessin-animé, et choisit d’être une ordure attrape-pognon dont le seul public destiné sont les banquiers de chez Sony. Avant d’aller plus loin, détendons l’atmosphère en disant sans aucune surprise que Les Schtroumpfs 2 est à chier : je le sais, vous les savez, tout le monde le sait, parce que le premier était lui aussi à chier et l’idée même de voir des petits bonshommes se promener dans le monde moderne en sortant des vannes sur la pop-culture qui seront immédiatement datées est fondamentalement à chier.
Avec ce genre d’affaire, il faut savoir choisir ses combats, et quelques années auparavant il aurait été facile d’écarter une adaptation des Schtroumpfs comme étant quelque chose qui ne valait vraiment pas la peine de s’énerver : un film qui ne sera pas réussi, inspiré d’une B.D. et un dessin animé qui n’étaient honnêtement pas très honorables au départ. Au risque d’insulter un monument francophone, les créations de Peyo font partie de ces licences nostalgiques qui, avec le recul, ne tiennent pas vraiment debout. Mille pardons aux fans hardcore, mais Les Gummi ont casé le même pitch : mieux réalisé, mieux écrit.
Mais ceux qui ont eu le courage de regarder la chose jusqu’au bout pourront attester du même fait : il est choquant de constater à quel point quelque chose d’aussi insignifiant peut s’avérer aussi enrageant. La question de comment peut-on retranscrire Les Schtroumpfs à l’écran à travers une production à gros budget a eu sa réponse avec ce premier film : ils ne l’ont pas fait. Le seul élément intéressant concernant les aventures de ces petits bonshommes bleus était le monde médiéval/mythologique qui se dessinait autour d’eux ; tout un univers fantastique destiné à être peuplé de sorciers et de monstres, aperçu à travers la perspective la plus petite et insignifiante, comme une version extrême de Bilbon Le Hobbit. Alors pourquoi est-ce que l’action fut déplacée à New York, dans le monde réel ?
Et bien vous savez pourquoi : pour faciliter les caméos de célébrités, enduire la production de placements de produits, et permettre aux responsables de faire des blagues lourdingues datant de la dernière génération sur le comportement gay du Schtroumpf Coquet, ou la Schtroumpfette qui est la seule fille du groupe, et autres références culturelles viciées qui sont seulement drôles à des intervalles de vingt secondes sur Robot Chicken. Mais plus que tout, pour emprunter l’héritage d’un autre pays pour en faire le sien : l’exemple classique du produit américanisé, où les Schtroumpfs se baladent dans Manhattan au lieu de Bruxelles, soi-disant pour réintroduire un divertissement enfantin oublié à un nouveau public. Sans vouloir renvoyer la balle dans l’autre camp, mais n’était-ce pas exactement la même chose quand les américains ont pleurniché comme des bébés quand l’équipe Yankee de G.I. Joe est devenue internationale ?
On refait la même danse avec Les Schtroumpfs 2, à Paris cette fois. Mais attention, ce film est une épreuve d’endurance. Bien sûr qu’on peut sortir l’excuse que c’est un film destiné aux enfants, mais pour ma part je doute qu’on pourrait appeler quelque chose d’aussi toxique un film pour enfants, surtout quand il schtroumpfe son public pour des schtroumpfs. Il schtroumpfe le spectateur avec des jeux de schtroumpfs insupportables comme « J’ai failli me schtroumpfer ! » et « Parfois, il faut schtroumpfer avec le changement », et autres schtroumpferies…
Z’avez vu comme c’est énervant ? Imaginez un scénario schématiquement programmé par un robot-spammeur monomaniaque qui insère le mot « Schtroumpf » toutes les cinq minutes, et vous avez le scénario des Schtroumpfs 2. Je dis bien « imaginez », parce qu’en réalité le scénar’ est attribué à cinq personnes. Cinq ? Pour écrire des blagues interchangeables avec le mot « Schtroumpf » dedans ? Ils ont une pénurie de sens de l’humour chez Sony ou quoi ?
Les Schtroumpfs 2 est généralement crétin et immobile quand il devrait être mignon et désarmant. Des acteurs comme Neil Patrick Harris ou Brendan Gleeson, qui ont déjà prouvé qu’ils figurent parmi les comédiens les plus cool de planète et peuvent donc sortir indemnes de même le plus affreux des projets, se sentent le besoin de tester cette théorie à nouveau en téléphonant des prestations où-est-ma-fiche-de-paie-bordel devant des écrans bleus pourris parce qu’ils savent que l’on attend rien d’eux. Seul Hank Azaria, qui cabotine à mort sous le maquillage farces-et-attrapes de Gargamel, semble donner un sens de timing comique, mais il y a tellement de sous-intrigues qui évincent son personnage qu’il n’a pas la chance de prouver qu’il peut être drôle. Plus d’espace mort est dévoué au Schtroumpf Grognon, qui est un Schtroumpf tellement négatif qu’il va essayer de se réinventer en Schtroumpf Optimiste, une aspiration noble qu’il laissera tomber, inévitablement.
Ne vous inquiétez pas si cette blague ne vous a pas fait rire, parce qu’ils la ressortiront encore. Et encore. Et encore. Finalement, il n’y aucune blague que Les Schtroumpfs 2 ne répétera pas incessamment (les personnages sont même là pour rire à notre place !) parce que c’est un film qui pense que les gamins sont des idiots, et nécessitent qu’on leur explique tout mot par mot pour qu’ils comprennent. Optant pour le thème le plus paresseux du divertissement de masse (les « daddy issues », les personnages qui ont besoin d’une figure paternelle), le dilemme central des Schtroumpfs 2 concerne le kidnapping de la Schtroumpfette et son endoctrinement dans les Canailles de Gargamel, avant que surprise, surprise, Grand Schtroumpf et ses compères viennent la sauver. Parce que vous voyez, ce sont eux, sa vraie famille. Comment ces retrouvailles sont-elles communiquées ? Une étreinte ? Une larme ? Un regard ? Un sourire ? Non, Papa Schtroumpf explique que bien sûr ils sont revenus, parce qu’ils sont une famille, et c’est ce que font les familles en temps de besoin.
Vous savez comment se passent ces sessions de thérapie qui font semblant d’être des films, donc énumérons en abrégé à quel point Les Schtroumpfs 2 est désespérément insipide. Oui, les Schtroumpfs sont mal faits avec des monstruosités d’effets de synthèse. Oui, il y a un remix de la chanson des Schtroumpfs. Oui, il y a un gag qui se moque de la licence. Oui, il y a la fameuse démarche « badass », filmée au ralenti et accompagnée d’une piste de rap. Oui, la Schtroumpfette se fait kidnapper, et il y a des malentendus et une tentative de la faire basculer du côté obscur. Oui, ça se termine avec une danse hip-hop. Et oui, des personnages tombent par terre et les Schtroumpfs se marrent parce que c’est rigolo. Il y a aussi un chat géant, Gargamel qui saute de la Tour Eiffel et Brendan Gleeson qui se transforme en canard. Je n’arrive pas à croire que je viens d’écrire ces lignes.
Beaucoup de parents vont regarder Les Schtroumpfs 2, mais pas volontairement. Ils ne veulent pas décevoir leurs petits, parce qu’ils meurent d’envie de le voir. Et même si le film est indubitablement merdique, pourquoi les décourager ? Après tout, le grand message du récit est au moins partiellement admirable : « l’amour n’est pas conditionnel ». Un parent qui regarde Les Schtroumpfs 2 est en train de leur enseigner cette leçon en servant d’exemple. Les adultes doivent souffrir pour que leurs bambins (qui, à leur jeune âge, ne connaissent pas mieux) puissent savourer un bonheur qui ne sera que passager. C’est ça, la famille, non ?
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Sony Pictures Releasing France