[Critique] MARRIAGE STORY
Titre original : Marriage Story
Rating:Origine : États-Unis
Réalisateur : Noah Baumbach
Distribution : Scarlett Johansson, Adam Driver, Laura Dern, Alan Alda, Ray Liotta, Julie Hagerty, Merritt Wever, Azhy Robertson…
Genre : Drame
Durée : 2h17
Date de sortie : 6 décembre 2019 (Netflix)
Le Pitch :
Nicole et Charlie se sont aimés passionnément pendant de nombreuses années. Aujourd’hui néanmoins, ils se déchirent. Lui est un metteur en scène de théâtre new-yorkais et elle une actrice en vue qui désire rentrer à Los Angeles pour répondre aux nombreuses opportunités qui se présentent. Nicole et Charlie qui tentent malgré tout de préserver Henry, leur petit garçon…
La Critique de Marriage Story :
Il peut être étonnant de se souvenir que s’il est aujourd’hui considéré comme l’un des grands cinéastes new-yorkais, que beaucoup désignent d’ailleurs comme une sorte de digne héritier de Woody Allen, Noah Baumbach a débuté en tant que scénariste de la comédie avec Will Ferrell et Robert Duvall, Kicking and Screaming. Baumbach qui depuis, s’est largement fait connaître avec des films comme Margot va au mariage, Greenberg ou While we’re young et qui aujourd’hui revient au sujet qui était déjà au centre du film l’ayant révélé il a maintenant pratiquement 15 ans, le remarquable Les Berkman se séparent. L’occasion pour lui de nous proposer, avec ce Marriage Story, son plus grand film. Oui, rien de moins…
Un couple se déchire
Marriage Story est le deuxième long-métrage de Noah Baumbach a sortir directement chez Netflix, après le déjà très bon The Meyerowitz Stories. Baumbach qui s’intéresse à nouveau à la lente mais inexorable déliquescence d’un couple, nourri de sa propre et douloureuse expérience. Un film pleinement maîtrisé, formellement et narrativement, bénéficiant en outre de la présence de deux acteurs de premier plan, à savoir Scarlett Johansson et Adam Driver. Chronique douce amère, terriblement bouleversante mais aussi parfois très drôle, Marriage Story débute avec ce qui restera à n’en pas douter comme l’une des plus parfaites des introductions vues dans un film du genre. Charlie (Adam Driver) parle de sa femme Nicole (Scarlett Johansson). À l’écran, un habile montage fait étalage avec beaucoup de pudeur, d’éloquence et de poésie, des années ayant précédé ce moment fatidique. L’homme exprime sans détour son amour et son admiration pour la mère de son enfant. Puis vient le tour de Nicole. Elle aussi parle de son mari avec des mots forts, sur une succession de scénettes tour à tour amusantes et attendrissantes. On découvre par la suite rapidement que cette déclaration croisée est née dans le cabinet d’un conciliateur. L’ultime tentative de sauvetage d’un couple aimant mais durement impacté par une communication défaillante. Le fait qu’aucun d’entre eux ne lise sa déclaration à l’autre, bloqué par des sentiments très contradictoires et par une espèce de pudeur hors sujet mais bien réelle en disant long sur l’état de leur relation.
De NY à LA
Maîtrisant totalement son sujet, Noah Baumbach parvient, peut-être pour la première fois, à trouver l’équilibre parfait entre son idéal de cinéma, ses intentions, les thématiques qu’il aborde et cette volonté de ne rien céder, tout en nuançant son propos. La démarche, admirable, donnant lieu à une sorte de tragédie contemporaine extrêmement pertinente, aux formes soignées. Magnifiquement éclairé, monté à la perfection, Marriage Story est un film comme on en voit peu. 2H17 durant, l’histoire se déroule sous nos yeux, alors que les morceaux de bravoure, mis bout à bout, forcent sans cesse l’admiration. Le film recelant de scènes formellement sublimes, au plus près des personnages, sans esbroufe ni maniérisme hors sujet. Toujours dans les clous du genre qu’il aborde, fidèle à sa « patte », Baumbach sait néanmoins aussi sortir de sa zone de confort et évite les écueils du film indépendant américain typique. Marriage Story n’ayant au final rien du candidat au festival de Sundance. Pas de tic gênant ici. Juste une émouvante sincérité au cœur d’un drame à la fluidité spectaculaire.
Communication Breakdown
Marriage Story qui traite donc d’un couple non pas en mal d’amour, car il ne fait jamais aucun doute que Nicole et Charlie s’aiment toujours, mais profondément en manque de communication. La vie, les espérances de chacun, les frustrations de l’un et l’autre, ayant peu à peu nourri une sorte de dysfonctionnement arrivé à maturation quand Nicole décide de mettre un terme à cette union que ni l’un ni l’autre ne parvient à totalement assumer désormais. Que l’on soit heureux en couple ou célibataire, parent ou non, difficile de ne pas s’identifier à la détresse de ces deux âmes sœurs prises dans le tourbillon d’un divorce devenant extrêmement violent dès lors que les avocats prennent les commandes pour leurs propres bénéfices. Adoptant tour à tour, avec une virtuosité dingue, le point de vue de Charlie puis celui de Nicole, le réalisateur parvient à nous faire ressentir leurs sentiments, parfois contradictoires, et donne ainsi du corps à leur grande souffrance. Quand Charlie, devant son avocat, comprend que rien ne sera plus jamais comme avant, quand il lit la fameuse lettre, quand Nicole comprend ce qu’elle a peut-être involontairement éludé jadis, quand le jeune Henry délaisse son père, quand l’étau ne cesse de se refermer et que Charlie finit par craquer… Marriage Story comprend de très nombreuses scènes bouleversantes. Et si le film fonctionne avec autant de puissance évocatrice, c’est bien sûr grâce à l’écriture et à la réalisation de Noah Baumbach, mais aussi grâce à l’interprétation des acteurs.
Grand film d’acteurs
Au centre du récit, Adam Driver et Scarlett Johansson offrent ici à leur filmographie respective un nouveau sommet. Impeccablement dirigés, ils se livrent sans détour et nous offrent des performances à couper le souffle. Adam Driver n’a jamais été aussi bon, c’est dire, lui qui maîtrise toutes les inflexions d’un rôle pourtant complexe, que ce soit dans les larmes ou les rires. Jouant de sa présence magnétique, il se montre parfaitement déchirant, s’oubliant totalement au bénéfice de son personnage, tandis qu’en face, Scarlett Johansson est bien sûr toute aussi parfaite. Toujours dans le ton, que ce soit lors de l’un de ces fameux (et incroyables longs monologues dont Baumbach a le secret) ou simplement quand les mots manquent à son personnage pour exprimer des sentiments persistants mais pourtant si difficiles à appréhender. En cela, la séquence du tribunal restera dans les mémoires. Les deux ex-amants subissant les plaidoyers successifs de leurs avocats, dans un silence qui en dit long… Marriage Story qui peut en outre également compter sur les excellents Ray Liotta, Alan Alda et Laura Dern, tous les trois absolument parfaits.
Ayant su complètement employer ses comédiens, allant même jusqu’à jouer avec leur image pour les ramener à une simplicité salvatrice et propice à l’émergence d’une émotion non feinte, Noah Baumbach a aussi le bon goût de n’accabler aucun des personnages. Il ne choisit pas son camp, embrasse certains des codes du mélodrame sans se renier, ne cherche pas à échapper à l’émotion en prenant une quelconque posture défensive ou à se démarquer par des effets de style. C’est aussi en cela que Marriage Story est un long-métrage comme on en voit peu. Parce qu’il saisit une somme de vérités qui, mises bout à bout, forment une chronique authentique dans laquelle tout un chacun peut se reconnaître. L’empathie est ici totale et l’émotion à fleur de peau. Sans aucun doute l’un des plus grands films jamais réalisés sur le sujet.
En Bref…
Chef-d’œuvre d’émotion, Marriage Story se montre aussi tendre que drôle. Aussi beau que déchirant. Un film dévastateur, visuellement magnifique, porté par les performances ahurissantes de Scarlett Johansson et Adam Driver. Non seulement le meilleur film de Noah Baumbach mais aussi l’un des meilleurs de l’année. Le genre qui reste longtemps en tête au point de coller la chair de poule quand on y repense. Une merveille.
@ Gilles Rolland