[Critique] MILLENIUM : LES HOMMES QUI N’AIMAIENT PAS LES FEMMES

CRITIQUES | 23 janvier 2012 | 1 commentaire

Titre original : Millenium – The Girl with the dragon tatoo

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis/Angleterre/Suède/Allemagne
Réalisateur : David Fincher
Distribution : Rooney Mara, Daniel Craig, Christopher Plummer, Robin Wright, Stellan Skarsgard, Steven Berkoff, Joely Richardson, Goran Visnjic, Géraldine James, Donald Sumpter, Arly Jover…
Genre : Thriller
Date de sortie : 18 janvier 2012

Le Pitch :
Mikael Blomkvist, un journaliste en disgrâce, se voit contacté par un riche industriel pour enquêter sur l’étrange disparition de sa nièce, il y a de cela plus de quarante ans. Son enquête, épineuse et nébuleuse au possible, l’amène à demander de l’aide à Lisbeth Salander, une jeune femme atypique experte en piratage informatique…

La Critique :
Vrai-faux remake du film de Niels Arden Oplev ou relecture du livre de Stieg Larsson, le Millenium de David Fincher a, depuis sa mise en chantier, nourri les discussions les plus passionnées. Et si Fincher affirme qu’il s’est intéressé à la chose avant qu’une première adaptation ne soit tournée, le résultat qu’il présente aujourd’hui au public, n’entraine qu’un seul verdict : peu importe qui a eu l’idée en premier, car Millénium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, est une énorme claque. Un chef-d’œuvre qui prend aux tripes 2h40 durant (2h38 pour être précis), sans relâcher son étreinte. Un tour de force donc !

Et comme souvent avec Fincher, les choses sérieuses commencent dès le générique. Celui de Millenium est un modèle du genre. Sur la reprise inspirée de Trent Reznor du Immigrant Song de Led Zeppelin (avec Karen O de Yeah Yeah Yeahs au chant) se déroule une succession d’images techno-viscérales du plus plus bel effet, entre transe 2.0 et pulsion orgasmique. De quoi rentrer dans le vif du sujet les sens aiguisés ô possible tout en sachant que le ton est donné.

Avant de continuer, une petite précision. Cette critique est celle d’un type (moi en l’occurrence) qui n’a pas lu les bouquins de Larsson et qui n’a pas vu non plus les premières adaptations cinématographiques. Je crois donc sur parole ceux qui affirment que le travail de Fincher est très respectueux du matériel de base et vais me contenter de parler du film en lui-même.

Clairement divisé en deux lors de sa première partie, Millenium illustre deux parcours radicalement différents et par cela deux tonalités, qui, si elles sont amenées à fusionner, conservent leurs propriétés.
Quand il suit Mikael Blomkvist, Fincher est plus sage, embrassant le polar avec une méticulosité impressionnante. La caméra capture l’environnement glacial de la Suède et se charge d’envelopper le spectateur dans une ambiance hostile, dans laquelle il est pourtant si facile de se laisser porter. L’enquête, celle qui habite le cœur du film, débute ici.
Parallèlement, Fincher suit celle qui, que ce soit dans le roman ou dans le premier film, a su cristalliser toute l’attention : Lisbeth Salander. La pirate informatique borderline, aux allures de guerrière cyberpunk déboule ainsi, portée par un réalisateur visiblement passionné par le personnage. Les séquences de Lisbeth sont toutes marquées par une rage -parfois contenue, parfois déployée-, qui renvoi aux fulgurances de Fight Club et de son nihilisme rock and roll. Fincher s’approprie Lisbeth sans chercher à la dénaturer. Il surligne les traits de caractère de la jeune fille, ne lui épargne rien et glorifie son développement personnel. Développement forcément sauvage. Dans le rôle, difficile de ne pas tomber en admiration devant Rooney Mara. Remarquée par le même Fincher dans The Social Network, la jeune actrice explose dans une composition spectaculaire. Sans se reposer sur un profil psychologique déjà puissant, Rooney Mara arrive à percer le vernis des apparats punk pour développer une sensualité hors-normes et déchirante. Fille perdue, Lisbeth cherche le salut et s’en prend plein la gueule en chemin. Totalement dévouée, Rooney Mara habite l’écran, pulvérise les compteurs, bouleverse et choque, tour à tour vulnérable et incroyablement dominatrice. Des rôles comme celui-ci sont rares. En plus d’arriver à passer après Noomi Rapace, qui avait marqué les esprits, Rooney Mara existe par elle-même, en connexion totale avec son alter-égo de papier et à la fois ancrée dans une démarche qui découle de la vision d’un cinéaste génial et d’une comédienne brillamment inspirée.

On aurait pu alors craindre que Lisbeth ne tire trop la couverture à elle. Il n’en est rien, même si certains spectateurs trouveront peut-être l’autre versant du film plus pépère. Avant que Blomkvist ne rencontre Lisbeth, il évolue dans sa sphère, qui, comme évoqué plus haut, s’inscrit dans la tradition d’un polar de qualité. Si la tension explose chez Lisbeth, elle est contenue et croissante chez Blomkvist. La performance de Daniel Craig, qui contribue à l’immersion, est aussi à saluer. Plutôt deux fois qu’une d’ailleurs, car l’acteur trouve ici l’un de ses meilleurs rôles. Après le ratage Dream House, Craig prouve à quel point il est bon. Déployant un panorama d’émotions fascinantes, qui complètent à merveille celles de Lisbeth, Craig incarne l’école classique d’un style qui trouve chez Fincher sa quintessence.
Souvent gangréné par des navets qui se contentent de reproduire des formules éculées, David Fincher sublime le côté conventionnel de l’intrigue de Millenium (qui dans d’autres mains aurait pu n’être qu’un thriller à tiroirs de plus). Sa réalisation, alliée à une photographie magnifiquement glaciale, à une écriture dynamique et riche et à un montage au cordeau touche au génie. Nerveux, précis comme un horloger suisse, rock and roll et constamment à fleur de peau, David Fincher s’envole au dessus de la masse et prouve qu’avec une bonne histoire, il reste l’un des meilleures artisans actuels. La principale raison est certainement sa capacité à savoir lire entre les lignes. Les personnages, le contexte, les intrigues secondaires et les détails, ont autant d’importance que le dénouement. Ici, il est double. Et le dernier plan, bouleversant, prouve bien que Millenium n’est pas qu’un simple thriller branché. C’est le film d’un gars qui a su, tout en conservant l’essence de son histoire, insuffler son style à l’entreprise (non sans un certain humour savamment distillé). Il est tentant de décrire l’œuvre comme étant à la croisée de Se7en, de Fight Club et de Zodiac, mais s’il y a effectivement un peu de ça, c’est encore trop réducteur. Fincher n’est pas un réalisateur sédentaire. Il bouge. Constamment. Surprend et stimule.

@ Gilles Rolland

 

Rooney

Par Gilles Rolland le 23 janvier 2012

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