[Critique] MOTHER!

CRITIQUES | 12 septembre 2017 | 1 commentaire
Mother-poster

Titre original : Mother !

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisateur : Darren Aronofsky
Distribution : Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Michelle Pfeiffer, Ed Harris, Kristen Wiig, Brian Gleeson, Domhnall Gleeson, Jovan Adepo…
Genre : Drame/Horreur/Épouvante/Thriller
Date de sortie : 13 septembre 2017

Le Pitch :
Un couple voit débarquer dans sa maison fraîchement rénovée deux mystérieux personnages qui vont mettre à mal leur tranquillité. Alors que la femme cherche à comprendre qui sont ces gens, l’homme pour sa part, semble ne pas vouloir les laisser partir…

La Critique de Mother ! :

Darren Aronofsky n’a jamais souhaité suivre la voie que ses premiers succès d’estime auraient pu lui tracer. Il a préféré brouiller les pistes et aller là où on ne l’attendait pas. Un film sur l’addiction ? Un drame sur un catcheur usé jusqu’à la corde ? Une tragédie biblique ? Un thriller se déroulant dans le milieu de la danse ? La seule constante : à chaque fois, Aronofsky secoue. Il bouscule les conventions et propose une vraie expérience de cinéma. The Fountain par exemple… Les spectateurs venus chercher le même genre de trip que Requiem For A Dream après le carton de ce dernier, immédiatement élevé au rang de film culte, s’en souviennent encore. Et Noé ? On en parle de Noé ? Un blockbuster hyper étrange, habité et schizophrène qui divisa méchamment mais qui prouva encore et toujours que le cinéaste faisait absolument tout ce qu’il voulait sans se soucier du quand dira-t-on. Bon, on peut tout de même supposer que l’échec de Noé et le raz de marée de critiques négatives qu’il suscita dût un peu bousculer le metteur en scène. C’est tout du moins ce que tend à indiquer Mother !, son nouveau long-métrage. Un film tellement hardcore, tellement brutal, sombre et perturbant, qu’on peut aussi y voir une volonté de son auteur de prouver qu’il n’avait rien perdu de sa verve et qu’il pouvait encore ruer dans les brancards, totalement en dehors des clous, dans une liberté de mouvement totale… Et on peut dire que c’est réussi. De mémoire de cinéphile, rarement les multiplexes n’auront projeté une œuvre aussi radicale et aussi perturbante que celle-là…

Mother-Jennifer-Lawrence-Javier-Bardem

Requiem pour un rêve

Au scénario et à la réalisation Aronofsky a réussi à imposer un film sur lequel il a manifestement eu les coudées libres. Ce qui tend au passage à prouver que c’est encore possible à son niveau malgré l’uniformisation qui tend à toucher le septième-art. Film d’horreur, drame existentiel, thriller, Mother ! est un peu tout cela à la fois et organise une sorte de lente déconstruction du réel dans lequel émerge un cauchemar dévorant. Au centre, le personnage de Jennifer Lawrence, qui à l’instar des autres, n’a pas de nom. Est-elle la mère du titre ou la fille ? Bien sûr, le film va apporter des réponses. Mais pas dans un premier temps. Au début, il nous raconte l’histoire d’amour de cette jeune femme et d’un homme plus mûr. Un poète touché par le syndrome de la page blanche, à l’inspiration en berne. C’est aussi l’histoire d’une maison qui vient de renaître de ses cendres pour devenir le cocon protecteur de deux individus isolés dans une campagne étouffante. Puis Aronofsky introduit le premier élément perturbateur. Celui qui va produire la première étincelle et provoquer une terrifiante réaction en chaîne. Le rêve d’une jeune épouse se ternit peu à peu. Qui sont ces gens que son mari accueille à bras ouverts ? Que veulent-ils ? En lorgnant un peu du côté de Polanski, dont il remanie certains des mécanismes à sa sauce (on pense à la période Rosemary’s Baby notamment), Aronofsky utilise le personnage de Jennifer Lawrence comme une porte d’entrée à notre intention. C’est par elle, la seule qui semble trouver les événements qui se déroulent de plus en plus perturbants alors que les autres se comportent comme si tout ceci était parfaitement logique, que le metteur en scène instaure le malaise. La maison tremble littéralement sur ses fondations pourries et perçoit la détresse et la peur, qui finissent de gangrener ses murs. La femme s’accroche à l’amour qu’elle ressent pour son époux et à cet espoir d’enfin mener une existence correspondant à ses plus ferventes espérances, comme la danseuse incarnée par Natalie Portman se cramponnait à ses objectifs dans Black Swan. Mais si cette dernière mettait clairement sa santé mentale en jeu au profit d’une ambition dévorante, ce n’est pas vraiment le cas du personnage de Mother !, qui subit plutôt tout du long sans comprendre, en luttant le plus possible pour empêcher son existence de prendre une direction dont elle redoute qu’elle ne soit synonyme de mort ou pire, de folie.
On peut alors choisir de voir dans Mother ! la volonté d’Aronofsky de livrer une métaphore particulièrement radicale du mariage, plus largement du couple mais aussi de cette société phallocrate au sein de laquelle les femmes doivent lutter. Mother ! pervertit le foyer, cet endroit censé être rassurant. Il retourne les sentiments contre ceux qui les expriment et exploite certains des codes du film d’épouvante pour enfoncer le clou. Pour donner à ses thématiques un impact encore plus fracassant et la plupart du temps terrifiant.

La maison de l’horreur

Archétype du film clivant, Mother ! repose sur une somme de choix tellement prononcés, qu’il est inconcevable qu’ils fédèrent le plus grand nombre. Il est de même plutôt difficile d’y rester indifférent. Mother !, c’est le genre de film qui provoque des départs des salles de cinéma et qui déclenche de vives réactions. Là où certains verront de l’audace, d’autres seront à la fois scandalisés par la mise en image mais aussi par l’enchevêtrement de thèmes de prime abord pas du tout compatibles. Car le film se pose aussi comme une réflexion sur la création. Le fait que l’homme interprété par Javier Bardem soit un artiste en quête de reconnaissance, qui n’arrive plus à écrire, n’est bien sûr pas innocent. Il y a là un désir d’aborder le fait même de créer comme une sorte de sacrifice. Une activité souvent solitaire qui peut conduire à la folie et à la destruction. Le cinéaste pousse tous les compteurs dans le rouge pour imprimer dans l’esprit des spectateurs des images potentiellement très perturbantes, répondant pour chacune d’entre elles à une idée centrée autour de cette notion de quête de reconnaissance. L’inspiration puis le succès et enfin la gloire. Mother ! s’intéressant plus globalement aux aspirations qui régissent l’existence et à leurs effets secondaires pervers. En axant sa problématique sur un couple, le métrage met en exergue des sacrifices nécessaires, dont découlent des choix douloureux. Mother ! se posant au final comme la mise à mort de l’innocence face à la violence de l’ambition.
Le genre d’œuvre purement sensorielle, qu’il faut aller voir en se disant bien que ce sera quitte ou double. Un film totalement cohérent dans la filmographie de son réalisateur. Du premier plan au tout dernier, qui précède un générique dont la chanson, très ironiquement, finit d’indiquer la nature des intentions qui régissent l’ensemble.

(Not) Another love song

Pure tragédie particulièrement difficile (pénible diront certains et il est difficile de leur donner tort), Mother ! utilise, comme souligné plus haut, certains ressorts du film d’épouvante. Le scénario sème de multiples indices sujets à interprétation mais sait aussi se montrer plus frontal. Le simple fait de voir toutes ces personnes qui débarquent dans la maison, laissant Jennifer Lawrence dubitative, est effrayant en soi. Comme si ce qui était autrefois la réalité prend un autre aspect. Mother ! raconte l’histoire d’une femme qui refuse d’accepter que sa vie se change en un cauchemar dont il est impossible de se réveiller. Car finalement, Aronofsky exploite à ses propres fins plusieurs éléments du champs lexical des rêves. On avance dans le film sans forcément tout comprendre mais en ressentant un profond malaise qui ne fait que s’accentuer. Ça va loin. Très loin. Trop loin peut-être. Et jamais ça ne s’arrête. Il y a ces trois moments où Jennifer Lawrence ferme les yeux, en proie à une violente incrédulité, vu qu’elle est la seule personne « normale » et qu’elle doit en cela subir. Des scènes qui, on le pense, vont ramener le film sur un chemin plus balisé et donc plus rassurant. Mais non, ça repart de plus belle. La réalité, c’est très surfait. Voilà ce que semble nous affirmer Mother !, qui démontre d’une rage et d’une envie d’en découdre avec le confort. Avec l’amour aussi et toutes ces choses qui permettent de tenir la folie à distance.
Porté par un casting de haute volée, le film voit Jennifer Lawrence tenir son rôle le plus complexe et le plus intense. Très très loin des Hunger Games qui ont fait sa renommée, l’actrice livre une performance qui se situe dans la lignée de celle de Natalie Portman dans Black Swan ou de Jennifer Connelly dans Requiem For A Dream. De tous les plans ou presque, elle est parfaite. Troublante dans ses atours virginaux, elle se met au service de l’histoire, et incarne une détresse palpable. Le rôle d’une vie. En face, Javier Bardem prouve encore une fois avec quelle aisance il parvient à troubler. Il brouille les pistes. Avec une belle économie de moyens, il est jusqu’à la fin extrêmement complexe à saisir, en accord avec les intentions du projet. Tout comme les excellents Ed Harris et Michelle Pfeiffer d’ailleurs. Sans oublier les autres, comme Stephen McHattie, toujours sur la brèche et Kristen Wiig, qui ne fait certes que passer mais qui parvient à renforcer, grâce à une partition à total contre-emploi, cette impression de malaise.

Destruction massive

Totalement investi, ayant parfois peut-être du mal à canaliser ses idées, Darren Aronofsky produit ici un film rageur et agressif, en cela qu’il n’offre que peu de respirations. Même l’humour prend une connotation dérangeante, à l’occasion de ses incursions. La photographie de Matthew Libatique fait ressembler le film à un vieux tableau. À une sorte de perversion d’une toile d’Edward Hopper. Le travail sur l’image et sur le son est remarquable, de même que les mouvements de caméra d’Aronofsky, qui renoue avec les mécanismes de mise en scène de ses œuvres les plus intimistes, The Wrestler notamment, comme quand il suit ses personnages en filmant leur dos, pour accompagner leur trajet vers un destin des plus incertains. Ce qui montre bien le génie du réalisateur : maintenir une logique dans son œuvre sans pour autant se priver d’aborder d’autres genres. Ne pas sacrifier son intégrité au profit des tendances. Ils sont peu, parmi les « jeunes » cinéastes à pouvoir s’en vanter. À continuer à jouer leur réputation à chaque nouveau film, quitte à s’aliéner une partie de leur public. En cela, et pour tout un tas d’autres raisons, Mother ! doit être considéré comme une forme de résistance. Comme une contre-proposition. Le genre dont on se souvient longtemps. Très longtemps.

En Bref…
Incroyable et parfois insoutenable descente aux enfers, Mother ! ne retient jamais ses coups. Porté par une Jennifer Lawrence impeccable et plus globalement par un casting à la fois pertinent et classieux, ce saisissant long-métrage à la lisière des genres, entre horreur pure et déchirante tragédie s’avère aussi jusqu’au-boutiste que marqué par une succession de choix hyper radicaux qui ne manqueront pas de diviser. Éprouvant.

@ Gilles Rolland

Mother-Jennifer-Lawrence Crédits photos : Paramount France

Par Gilles Rolland le 12 septembre 2017

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[…] l’air marquant. Une sorte de trip horrifique hyper nébuleux, qui rappelle en un sens le Mother!, de Darren Aronofsky et que l’on va donc surveiller de près. Au générique, le film permet […]