[CRITIQUE] OPPENHEIMER

Titre original : Oppenheimer
Rating:
Origines : États-Unis/Royaume-Uni
Réalisateur : Christopher Nolan
Distribution : Cillian Murphy, Robert Downey Jr., Emily Blunt, Florence Pugh, Matt Damon, Benny Safdie, Josh Harnett, Kenneth Branagh, Matthew Modine…
Genre : Drame/Adaptation
Durée : 3 heures
Date de sortie : 19 juillet 2023
Le Pitch :
Brillant scientifique, J. Robert Oppenheimer prend la tête du projet Manhattan en 1942 quand s’initie une course à l’armement entre l’Allemagne et les États-Unis, en pleine Seconde Guerre mondiale. Il réunit alors une équipe de chercheurs et parvient à mettre au point la bombe atomique amenée à être larguée sur Hiroshima et Nagasaki…
La Critique d’Oppenheimer :
La promo mastodonte et les premières séances d’Oppenheimer ont permis de confirmer le statut hors nome de Christopher Nolan. Actuellement, le cinéaste britannique ne semble en effet n’avoir que de très peu d’équivalents (même Spielberg a du mal à intéresser le public à ses projets exigeants, dès qu’il sort de la zone dans laquelle on l’a cantonné). Qui d’autre que lui aurait pu fédérer à ce point l’attention (avec la complicité d’Universal) du public autour d’un film centré sur un scientifique certes majeur mais un scientifique quand même ? Certes on parle du « père de la bombe atomique » mais force est de reconnaître que Oppenheimer ne ressemble à aucun des autres blockbusters actuels.
Propulsé par un autre metteur en scène, le film n’aurait probablement pas provoqué un tel choc avant sa sortie, encourageant les spectateurs a multiplier les memes et autres montages sur Internet, profitant de la sortie simultanée de Barbie, un autre poids lourd parfaitement opposé. Nolan (et Universal donc) ayant semble-t-il bâti toute l’attente autour de cette fameuse bombe reconstituée à l’écran sans effets-spéciaux, sans pour autant, il faut le souligner, chercher à faire oublier qu’on parlait ici d’un long métrage de 3 heures en forme de biopic sur un gars qui n’a jamais rien eu d’une star. Que le public se rue en masse dans les salles pour voir un film sur Elvis Presley ok mais J. Robert Oppenheimer ?

Reste que le stratagème était très malin et a justement permis d’imposer une œuvre à part, en contradiction quasi-totale avec les canons des grands studios d’Hollywood, pour enfin proposer au très grand public une histoire complexe, dans le contexte brûlant de la guerre en Ukraine, avec la menace omniprésente que fait planer la Russie sur le monde quant à la potentielle utilisation de la bombe atomique.
Big Boom Theory
La fameuse explosion, que Christopher Nolan a donc « fabriquée » sans l’aide des images de synthèse, était au cœur des attentes. C’est elle qui a probablement inspiré tous ces articles portant sur la meilleure façon de voir Oppenheimer, dans la salle IMAX la plus grande possible, en numérique ou sur pellicule, comme il a d’ailleurs été tourné. Mais une explosion, même aussi monumentale, ça ne dure que quelques minutes. Et des minutes, Oppenheimer en cumule 180. 180 minutes durant lesquelles Nolan s’intéresse certes à la bombe mais préfère néanmoins, conformément au titre de son métrage, se focaliser sur son créateur. Le tout sans céder aux clichés du biopic américain, c’est important de le souligner.
Nous voici donc en face d’un film tourné en IMAX, avec beaucoup de passages en noir et blanc (Nolan a carrément mis au point une pellicule IMAX pour le noir et blanc), très dialogué et ne contenant au final qu’une seule scène qui répond aux exigences des films habituellement projetés en IMAX. Une scène que Christopher Nolan déconstruit pour encore et toujours recentrer son regard sur Robert Oppenheimer, quitte à doucher les attentes de certains spectateurs venus en salle pour voir une « vraie explosion atomique ».
Le destructeur de mondes
Dès le début Oppenheimer, qui est une adaptation du livre American Prometheus : The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer, de Kai Bird et Martin J. Sherwin, prend la tangente. Nolan multiplie les points de vue et les flash-back, utilisant le noir et blanc pour fluidifier son récit. Pour autant, jamais il ne prend le public par la main. Comme avec Tenet ou Inception, qui laissaient planer le doute (trop, vu leurs concepts parfois bancals), le réalisateur se garde bien de se montrer trop explicatif. Merveilleusement construit, son récit s’avère vite complexe. D’une densité folle, l’histoire effectue plusieurs allers-retours dans le temps et introduit de nombreux personnages sans jamais perdre de vue son objectif. Parfois cryptique, lorgnant à nouveau, mais cette fois-ci avec beaucoup plus de maturité, du côté de Stanley Kubrick, avec des scènes oniriques ou cauchemardesques (c’est au choix), Nolan étoffe son langage cinématographique ou fait en tout cas preuve d’une maestria encore plus impressionnante quand il s’agit de raconter une histoire alambiquée.
En d’autres termes et pour faire simple : Oppenheimer est un film compliqué, riche et exigeant, qui a le bon goût de miser sur l’intelligence de ses spectateurs. En 2023, c’est plutôt rare. Surtout de la part d’une machine de studio à plus de 100 millions de dollars.
Here come the blast
Très old school dans sa démarche, avec ses décors en dur, sa pellicule, sa sublime photographie et sa musique (signée Ludwig Göransoon) absolument saisissante, Oppenheimer justifie également sa durée en racontant plusieurs histoires pour au final brosser un portrait relativement complet de son personnage principal. Pour fluidifier le tout, Christopher Nolan ne semble avoir fait qu’un seul « sacrifice » à savoir confier la majorité des rôles principaux (et les rôles secondaires les plus cruciaux) à des acteurs connus. Ainsi, il devient très facile d’identifier les personnages et de se souvenir qui fait quoi, pourquoi et comment. Tous les acteurs ayant de plus une occasion de briller au sein de scènes où Cillian Murphy, pourtant toujours au centre, ne fait de l’ombre à personne. Murphy d’ailleurs, est absolument prodigieux. Proche de Nolan, vu dans la trilogie The Dark Knight et ailleurs, il est ici pour la première fois au premier plan sous le regard du cinéaste. Son J. Robert Oppenheimer est magnétique, fascinant, glaçant, tour à tour puissant et démuni, sans cesse passionnant. Si les Oscars ont un sou de bon sens, c’est à lui qu’ils remettront la statuette du meilleur acteur.
À ses côtés, comme souligné plus haut, tout le monde saisit la balle au bond pour briller, au sein d’une histoire chorale à la puissance évocatrice rare. Emily Blunt, le génial Robert Downey Jr., que l’on n’avait pas vu aussi inspiré et juste depuis…. longtemps, Florence Pugh, Josh Harnett et tout les autres. Si vous cherchez LE casting de l’année, Oppenheimer a de quoi truster la première place.
By the order of J. Robert Oppenheimer
Bijou d’écriture, authentique monument de cinéma, porté par un soucis du détail incroyable, d’une précision inouïe, Oppenheimer est aussi un grand film politique. Une charge contre les États-Unis à l’époque de l’après-guerre, qui traite avec beaucoup de finesse du Maccarthysme, sans retenir ses coups. Mais bien sûr, Oppenheimer sonne aussi comme une brutale mise en garde. La dernière scène étant en cela amenée à longtemps rester en mémoire. Une conclusion à l’image de tout ce qui a précédé : pertinente, magnifique et tétanisante. À pas douter l’un des plus grands films de son réalisateur. Le plus exigeant c’est certain et probablement le plus audacieux. Ce qui le rend d’autant plus précieux.
En Bref…
Véritable chef-d’œuvre de cinéma, autant au niveau du fond que de la forme, Oppenheimer brille aussi par la pertinence et l’intelligence de son propos. Un film important, porté par un vrai message relayé par un réalisateur en état de grâce et par un casting dominé par la performance viscérale de Cillian Murphy.
@ Gilles Rolland

Un excellent film, une réussite totale.