[Critique] REGRESSION
Titre original : Regression
Rating:
Origine : Canada/Espagne
Réalisateur : Alejandro Amenábar
Distribution : Ethan Hawke, Emma Watson, David Thewlis, Devon Bostick, Dale Dickey, Aaron Ashmore, Lothaire Bluteau, David Dencik…
Genre : Épouvante/Thriller
Date de sortie : 28 octobre 2015
Le Pitch :
Dans l’état du Minnesota, en 1990, l’inspecteur Bruce Kenner enquête sur le cas d’Angela, une jeune femme accusant son propre père de viol. Peu à peu, avec l’aide d’un psychiatre, il découvre qu’une secte satanique pourrait bien être à l’origine de cette affaire, mais aussi potentiellement de beaucoup d’autres. Le tout étant de démêler le vrai du faux et de ne pas se laisser emporter par les légendes inhérentes au climat malsain, qui entoure la famille d’Angela…
La Critique :
Tesis, Ouvre les yeux, Les Autres, Mar Adentro et Agora. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Alejandro Amenábar est un cinéaste exemplaire. L’un des rares à pouvoir se vanter d’avoir réalisé un sans faute qualitativement parlant, depuis ses débuts, et l’un de ceux dont on guette avec attention le moindre projet. Néanmoins, le flop (injuste) au box-office de son ambitieux Agora a pas mal plombé son image. Ce qui explique en partie les 5 ans qui séparent la sortie de ce dernier et celle de Regression, sa nouvelle livraison.
Un film qui marque le retour au fantastique et à l’angoisse pour le réalisateur espagnol. Sur le papier, Regression semblait alors se positionner entre Tesis, pour la violente irruption de l’horreur dans un quotidien plus ou moins rassurant, et Les Autres, pour la probable facette fantastique. À l’arrivée, les choses sont un peu plus compliquées, vu que Regression sème le trouble, va effectivement chercher du côté de l’épouvante, mais reste étrangement en surface d’un sujet qui au final ne s’avère peut-être pas complètement anecdotique, mais pour le moins un peu léger.
Écrit par le réalisateur, le long-métrage prend pied dans une campagne notamment caractérisée par ses mythes et légendes relatives au satanisme présumé de quelque-uns de ses habitants. L’époque choisie, à savoir le début des années 90, fait également écho au contexte du récit, qui s’appuie ainsi sur les affaires liées à des accusations de satanisme, qui firent les choux gras de la presse, avec la mention « inspiré de faits réels » à l’appui. Récemment, le DTV Les 3 Crimes de Memphis, avec Reese Witherspoon, illustrait lui aussi une autre affaire, bien plus retentissante en l’occurrence, directement liée à cette peur du diable, omniprésente dans les régions rurales où la religion tient une place prépondérante.
Avec sa photographie crépusculaire et sa bande-son au diapason, le film d’Amenábar s’efforce de nous immerger dans cette ambiance à la fois crasseuse et malsaine. Dès le début, on y est. Les visages burinés et fatigués des acteurs, confrontés à des horreurs innommables répondent aux préoccupations de leurs personnages et le postulat de départ promet quelque chose d’à la fois captivant et de perturbant. Menée par un Ethan Hawke parfaitement à l’aise dans un univers qu’il maîtrise à la perfection, l’enquête débute et avec elle des craintes quant au déroulement de celle-ci. Peu à peu, alors qu’Emma Watson fait son entrée, plus fragile et perturbée que jamais dans la peau de la victime numéro 1, le scénario, un peu tiré par les cheveux, dévoile ses limites. Il est tentant de se dire que le réalisateur ne va pas aller dans une direction aussi évidente, mais en fait c’est bel et bien le cas. Régulièrement, il tente de nous perdre en s’engageant sur des pistes, dont les ressorts et autres rebondissements évoquent tour à tour Rosemary’s Baby et Angel Heart, mais revient inexplicablement en arrière avant de toucher au but. Les comédiens assurent toujours, mais l’histoire a du mal à décoller. Suffisamment en tout cas pour effacer cette impression tenace qui rappelle ces innombrables productions vaguement horrifiques, qui, depuis des années, jouent sur les codes instaurés par les classiques du genre comme L’Exorciste.
Le problème vient peut-être du fait que contrairement à ce qu’il avait pu accomplir avec Les Autres, Alejandro Amenábar n’assume jamais véritablement le côté « film de genre » de son projet. Il tente aussi de livrer une radiographie d’une communauté empêtrée dans une sorte de fanatisme religieux, dans l’alcoolisme et dans plusieurs problématiques sociétales plus ou moins glauques. Ici, le fantastique est un prétexte, chaque accès purement horrifiques, aussi brillants soient-ils, étant suivis d’un brisque retour sur les rails assez déconcertant, comme pour nous rappeler que le cœur du sujet n’est pas dans cette histoire de secte, mais bien dans les raisons qui poussent les personnages à agir de la sorte.
Film un peu bancal, Regression n’en reste pas moins une franche réussite formelle. Emma Watson y tient l’un de ses meilleurs rôles (le plus grave en tout cas), son charisme et sa présence illuminent chacune de ses scènes et plusieurs fois, Amenábar nous rappelle à quel point il est bon quand il faut faire monter le trouillomètre dans le rouge. Dommage que le long-métrage dans son intégralité ne soit pas aussi réussi que ces 3 ou 4 séquences franchement fantastiques, durant lesquelles la peur se mêle à des sentiments viscéraux que seuls les plus grands sont capables d’éveiller à l’écran. Dommage car au fond, Regression est peut-être le film le plus faible de son auteur. Le moins cohérent et le moins efficace en tout cas. Celui qui manque le plus d’originalité et de personnalité également. Pour autant, vu qu’on parle d’un maître, il est bon de rappeler que le spectacle arrive néanmoins sans problème à se hisser au-dessus de la masse.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Metropolitan FilmExport