[Critique] SELMA
Titre original : Selma
Rating:
Origines : Angleterre/États-Unis
Réalisatrice : Ava DuVernay
Distribution : David Oyelowo, Tom Wilkinson, Carmen Ejogo, Giovanni Ribisi, Common, Cuba Gooding Jr., Tim Roth, Oprah Winfrey, Lorraine Toussaint, Alessandro Nivola…
Genre : Drame/Biopic
Date de sortie : 11 mars 2015
Le Pitch :
En 1964, aux États-Unis, le Docteur Martin Luther King reçoit le Prix Nobel de la Paix. Une récompense qui symbolise son engagement et son rôle prédominant dans la lutte contre les discriminations et le racisme dans un pays qui a encore de grands progrès à faire. Dans les faits, il est encore très difficile pour une personne noire de voter et les actes violents à l’encontre de la population de couleur sont toujours nombreux. De quoi pousser Luther King a ne rien lâcher et à poursuivre son combat, notamment en faisant pression auprès du Président Lyndon Johnson pour garantir les mêmes droits à tous les citoyens. Un combat qui aura, en 1965, comme point d’orgue, la célèbre marche, depuis la ville de Selma, jusqu’à celle de Montgomery en Alabama…
La Critique :
Il n’est jamais trop tard. Cela peut paraître étonnant vu l’importance et la notoriété de l’homme, mais Selma est le premier long-métrage de cinéma centré sur Martin Luther King. Souvent mentionné, parfois aperçu, comme dans Le Majordome, de Lee Daniels, le militant non-violent pour les droits civiques des noirs aux États-Unis ne s’était jamais retrouvé au centre d’un film. Rien que pour cela, Selma s’impose donc d’emblée comme une œuvre essentielle. Coup de bol, il s’agit en plus d’un excellent film sur bien des points. Le genre qui devrait être projeté dans les écoles…
La grande bonne idée de Selma est de ne pas se poser comme le biopic qui n’a jamais été réalisé sur Martin Luther King. Pas de long récit retraçant la vie d’un personnage historique. La réalisatrice Ava DuVernay ne se focalise que sur une période bien précise. Une période qui s’étend de la remise du Prix Nobel de la Paix, au discours qui clôtura en 1965 la grande marche qui relia Selma à Montgomery. Très malin, le scénario de Paul Webb arrive ainsi à surprendre dès les premières minutes, même si bien sûr, au fond, le film adopte par ailleurs une dynamique très académique… même si il ne propose aucun flash-back et se focalise complètement sur un épisode précis de l’Histoire. Mais pouvait-il en être autrement ? Difficile de tenir responsable Ava DuVernay d’avoir livré un long-métrage classique au niveau de sa forme. L’important était avant tout de rendre justice au combat de toute une partie de la population à un moment donné de l’Histoire. De souligner la pertinence de la lutte d’un homme qui ne renonça jamais à ses idéaux, et au final de raconter l’Amérique, alors qu’elle tentait de s’élever au dessus de la haine, du racisme et de la violence qui en découlait trop souvent.
On retrouve donc Martin Luther King au moment où sa notoriété a pour ainsi dire atteint son point culminant. Quand il reçoit son Prix Nobel, son combat est pourtant loin d’être terminé et le film s’échine à illustrer le caractère d’un homme qui a conscience que rien n’est acquis, et que les prix, aussi symboliques soient-ils, ne riment pas forcément avec la victoire. Dans le rôle titre, l’excellent David Oyelowo parvient, avec tout le naturel qui caractérise les grands acteurs, à traduire les tourments qui assaillent le personnage, alors que dehors, la tempête fait rage. Tout en nuances, le comédien donne l’impression de ne pas forcer pour incarner cette figure emblématique de la lutte pour les droits civiques, quand bien même on imagine la pression qui n’a cessé de peser sur ses épaules. Non seulement assez ressemblant, Oyelowo arrive à saisir l’essence de son rôle pour livrer une interprétation extrêmement juste et pertinente, qui lui permet de se poser comme l’illustration parfaite des intentions du long-métrage.
Très appliquée, de toute évidence consciente de l’importance de son travail, Ava DuVernay livre une œuvre incarnée, remarquablement entourée d’une troupe de comédiens parfaits dans leurs rôles respectifs, de la sublime Carmen Ejogo, qui interprète Coretta Scott King, à Tolm Wilkinson, très bon en Président Johnson, en passant par Tim Roth, toujours impeccable dans les pompes de personnages retors et plus ou moins malsains, et une Oprah Winfrey dont la performance arrive sans problème à faire oublier sa condition de superstar de la télévision américaine.
Porté par une réalisation certes académique, mais dans le bon sens du terme, Selma met en exergue l’espoir de personnes, dont l’engagement a permis de faire avancer l’Histoire.
Très rythmé, malgré le fait qu’il ne se déroule que sur une période assez courte, à force d’allers-retours entre les deux camps, passant de joutes verbales dans les coulisses du pouvoir ou entre les militants, aux tragédies inhérentes à une opposition raciste et violente, Selma passionne de bout en bout et distille une émotion véritable et ténue. Traversé de morceaux de bravoure, là encore imputables au talent des comédiens, David Oyelowo en tête, se erminant sur cette fameuse marche vers Montgomery, Selma arrive à retranscrire sur grand écran tous les aspects du combat de Martin Luther King. Jamais complaisant, toujours très juste, le film se montre digne de la figure à laquelle il s’attache.
Le seul défaut de Selma étant peut-être de laisser prédominer l’histoire avant l’aspect cinématographique. Nous l’avons déjà souligné, mais il n’y a rien de vraiment audacieux ni d’original dans le film et au fond, c’est peut-être mieux tant les actes des personnages et le discours qui motive toute l’entreprise se suffisent à eux-mêmes. Plus qu’un simple long-métrage, Selma est l’œuvre de personnes qui ont su s’effacer devant un symbole. Qui ont su mettre leur savoir-faire et leur sensibilité au service d’une peinture d’une période déterminante de l’Histoire de tout un pays. À notre époque où l’actualité nous rappelle trop souvent que rien n’est gagné quand on parle d’égalité, de tolérance et de partage, Selma se pose comme une œuvre véritablement bouleversante et indispensable. Une œuvre pertinente et puissante qui en plus, devrait permettre aux plus jeunes de faire connaissance avec l’un des plus grands hommes a avoir un jour foulé la surface du globe.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Studio Canal