[Critique] SNOW THERAPY

CRITIQUES | 30 janvier 2015 | Aucun commentaire
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Titre original : Force Majeure (Titre U.S.), Turist (Titre suédois)

Rating: ★★★★☆
Origines : Suède/Danemark/France/Norvège
Réalisateur : Ruben Östlund
Distribution : Johannes Bah Kuhnke, Lisa Loven Kongsli, Clara Wettergren, Vincent Wettergren, Kristofer Hivju, Fanni Metelius, Brady Corbet…
Genre : Drame/Comédie
Date de sortie : 28 janvier 2015

Le Pitch :
Tomas, sa femme Ebba et leurs deux enfants Harry et Vera, passent une semaine de vacances dans les Alpes, histoire de faire du ski et se détendre un peu. Ils forment une famille riche et heureuse, jusqu’au jour où ils se retrouvent confrontées à une mort certaine lorsque une avalanche imprévisible est déclenchée tout prêt de leur hôtel montagnard… Une avalanche qui se dissipe heureusement avant l’impact. Le soulagement d’être encore vivants devrait être à l’ordre du jour, mais à la place c’est la décision égoïste prise à l’arrache par Tomas face au danger qui reste dans la tête de maman et des enfants ; ébranlant peu à peu l’image du père de famille qu’ils idolâtraient…

La Critique :
On en revient toujours aux brosses à dents électriques.

Ce bourdonnement irritant inhérent à l’hygiène des dents monte à des niveaux stridents pendant les rituels de brossage en famille qu’on nous montre encore et encore dans Snow Therapy (on va laisser tomber la raison qui a poussé le distributeur du film a changer un titre qui était déjà français à la base), où le réalisateur-scénariste Ruben Östlund nous présente l’histoire caustiquement hilarante d’un couple de bourges suédois en vacances dans la vallée des Alpes qui sont subitement éloignés l’un de l’autre par un acte inattendu de lâcheté.

Au premier abord, le couple fadement attirant de Tomas et Ebba semble parfaitement heureux et profondément inintéressant, emmenant leurs deux jeunes blondinets pré-pubères faire du ski pendant une semaine dans une station montagnarde de luxe. Tout est très richos, poli et franchement assez chiant ; jusqu’au jour où une avalanche manque de justesse d’écraser le café-balcon de l’hôtel où ils sont en train de prendre le petit-déjeuner.

Ebba se jette sur les enfants et les serrent très fort. Tomas attrape ses gants et son iPhone – puis il se retourne et s’enfuit à toutes jambes. Quand la neige se dissipe, tout le monde est sain et sauf. Papa revient penaud à table et fait comme si ne rien n’était. Mais Ebba a tout vu. Les gosses ont tout vu. Tout le monde a tout vu.

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S’ensuit alors une sorte de comédie pince-sans-rire d’émasculation, tortillante et drôle mais aussi crispée. Tomas tente d’abord de mentir et de tout renier, mais Ebba se met soudainement à engloutir un verre de vin après l’autre et raconter l’histoire à des étrangers pendant le dîner. Les enfants se réfugient sur leurs iPads. Il est maintenant clair de quel côté se rangent Tomas et ses instincts de survie face au danger, et Ebba, le cœur brisé, ne peut pas s’empêcher de picorer la virilité déchue de son mari comme une croûte. La situation s’envenime et la rancune commence à pourrir l’ambiance. Et le pire, c’est que c’est contagieux – les meilleurs amis du couple leur rendent visite, avant de s’apercevoir que leur propre relation est en train de se déstabiliser suite aux répercussions de cette avalanche qui, en l’occurrence, n’a pas fait de victimes. Mais seulement en surface.

À lire ou à entendre certaines descriptions, on pourrait se dire que Snow Therapy est une comédie, mais attention : il n’y a pas vraiment de blagues, à proprement parler. L’humour noir fait irruption spontanément, explosant à des moments gênants ou lors de gros blancs entre les conversations, provoqués par le regard drôle et impassible d’Östlund sur toutes ces émotions primitives et bouillonnantes qu’on ravale pour garder les apparences dans un endroit aussi raffiné et tatillon que celui-là. Les brosses à dents électriques prennent alors un poids drôlement symbolique : des instruments bruyants d’une modernité inutile. L’apparence récurrente d’un concierge au visage impénétrable transforme parfois le film en quelque chose proche d’une farce, martelant le cauchemar tellement vrai d’un couple où il est souvent impossible (et insupportable) de pouvoir s’évader l’espace d’un moment pour avoir une conversation en privé, surtout quand on voyage avec les gosses.

Ceux qui s’en souviennent penseront peut-être à Voyage en terre solitaire, le film d’ambiance hypnotique de Julia Loktev pour lequel Gael Garcia Bernal remporta le prix du Pire Amoureux De Tous Les Temps pendant une randonnée dans les montagnes du Caucase. Les deux films vont très bien ensemble, puisque ils racontent des histoires similaires dans des registres remarquablement différents. Östlund, lui, se détache froidement des événements. Son indifférence glaciale règne sur le reste du long-métrage : un film catastrophe où la vraie catastrophe arrive après la catastrophe.

Si la musique de Vivaldi revient occasionnellement ponctuer l’ensemble comme une punchline auditive, la bande-son est largement constituée de sons ambiants qui ont été anormalement amplifiées – les silences sont donc, en effet, vraiment assourdissants dans ce film. Östlund et son chef-opérateur Fredrik Wenzel reculent la caméra pour insister sur la petitesse de ces personnages compliqués au cœur de l’environnement somptueux et immaculé qui les entoure. Même les montagnes sont impeccables, leurs pistes de ski délicatement, méticuleusement soignées grâce à l’exactitude des canons à neige, tandis que d’autres canons se font entendre à travers la station d’hiver, leurs détonations censées provoquer des avalanches contrôlées dans cet univers artificiel de carte postale.

Cette illusion de contrôle, et sa perte assurée, est précisément ce qui donne à Snow Therapy sa puissance tordue. Ça, plus les brosses à dents électriques…

@ Daniel Rawnsley

Snow-Therapy-castCrédits photos : Bac Films/DistriB Films

 

Par Daniel Rawnsley le 30 janvier 2015

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