[Critique] SPOTLIGHT

CRITIQUES | 29 janvier 2016 | Aucun commentaire
Spotlight-poster

Titre original : Spotlight

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : Tom McCarthy
Distribution : Michael Keaton, Rachel McAdams, Mark Ruffalo, Liev Schreiber, John Slattery, Brian d’Arcy James, Stanley Tucci, James Sheridan, Billy Crudup…
Genre : Drame
Date de sortie : 27 janvier 2016

Le Pitch :
En 2001, Spotlight, une équipe de journalistes du Boston Globe, met à jour un scandale sans précédent au sein de l’Église Catholique. C’est lorsqu’elle s’intéresse à une affaire d’attouchements sur mineurs, que l’équipe découvre l’implication dans des cas similaires de plusieurs dizaines de personnalités religieuses. Envers et contre tous, dans une ville où l’Église possède une influence considérable, les enquêteurs ne vont pas tarder à s’apercevoir que ce qu’ils ont découvert concerne les plus hautes autorités. Histoire vraie…

La Critique :
Les articles concernant ce qui reste aujourd’hui comme l’un des plus grands scandales du 21ème siècle, furent publiés dans le Boston Globe dès le début de l’année 2002. Quelque peu amoindri par les attentats du 11 septembre 2001, l’impact du travail des journalistes de l’équipe Spotlight eut néanmoins des répercutions dans tout le pays, avant de largement contribuer à mettre à jour les agissements de prêtres dans le monde entier. Le fait d’avoir choisi de faire un film d’après le travail des rédacteurs du prestigieux journal bostonien apparaît ainsi, une quinzaine d’année après la tragédie du 11 septembre, comme particulièrement pertinent, en cela que le long-métrage en question permet d’appréhender le problème avec beaucoup de recul et de saisir l’ampleur des révélations publiées à l’époque. Le cinéma ayant cette faculté d’éclairer sous un nouveau jour des problématiques afin de les rendre plus accessibles au plus grand nombre.
Encore fallait-il que l’homme aux commandes, en l’occurrence le réalisateur (également comédien) Tom McCarthy, s’applique suffisamment. Et autant le dire tout de suite : c’est ce qu’il fait.

Spotlight-Rachel-McAdams

Spotlight fait irrémédiablement penser à ce monument du septième-art qu’est Les Hommes du Président, de Sidney Pollack. Un chef-d’œuvre pour sa part centré sur l’affaire du Watergate dans l’Amérique de Richard Nixon, sur lequel s’est volontairement appuyé McCarthy pour définir les formes de son propre film. Les Hommes du Président donc, mais aussi des œuvres plus récentes comme le Révélations, de Michael Mann, soit des longs-métrages se refusant à tout sensationnalisme. Là est donc l’une des grandes forces de Spotlight : parvenir à traiter son sujet avec le plus de sérieux possible, sans céder aux sirènes hollywoodiennes d’une cinématographie spectaculaire. Vu le thème, hyper sensible, le choix est évidemment judicieux à plus d’un titre. Collant de près à la réalité, Spotlight prend son temps et n’édulcore en rien les faits. Et même si l’action prend pied en 2001/2002, ce qu’elle entend illustrer résonne bien sûr avec toujours autant de force aujourd’hui. Tourné en grande partie dans les vrais bureaux du Boston Globe, avec l’appui des journalistes qu’interprètent les acteurs, le film brille par sa grande sobriété. Une sobriété qu’il ne trahit jamais 2 heures (et des poussières) durant, relayée par des acteurs très investis.
Que l’on parle de Michael Keaton, pugnace au possible, encore une fois parfaitement en place, jamais dans l’excès, de Rachel McAdams, formidable de sensibilité, de Mark Ruffalo, bouleversant en écorché-vif porté par son désir de vérité, ou encore de Liev Schreiber, d’une sobriété exemplaire, lui aussi finalement très touchant, tous les comédiens ont parfaitement intégré leur rôle et contribuent largement à faire de Spotlight bien plus qu’un film de divertissement classique. Nous sommes ici en face de quelque chose qui dépasse le simple cadre de sa condition première. D’un long-métrage incarné, ô combien frondeur et in fine parfaitement informé, qui va droit au but, sans chercher à brosser quiconque dans le sens du poil. Ce qui, quand on parle de prêtres pédophiles dans un pays aussi porté sur la religion que les États-Unis, relève -n’ayons pas peur des mots- de l’exploit.
Ainsi, en toute logique, Spotlight ne dilue pas la tension qui s’installe naturellement au fil du récit. L’humour, quasiment absent de l’équation, ne vient jamais, comme c’est souvent le cas, offrir un peu de légèreté. Ce qui ne veut pas dire que le film soit trop plombant, pour la simple et bonne raison qu’il n’en rajoute pas inutilement des louches. Tom McCarthy, également au scénario, a compris que le sujet à lui seul impliquait suffisamment de choses graves pour ne pas en rajouter avec des effets de mise en scène ou d’écriture. Raconter l’histoire avec sérieux s’avère largement assez éloquent…
Autre point non négligeable : Spotlight ne tape pas sur la religion. C’est important de le souligner car c’est ici une institution dirigée par des hommes qui est visée. Des criminels qui justifient leur exactions par leur condition de serviteurs de Dieu. Brillant, le film l’est donc aussi car il ne s’acharne pas, bêtement, sur la foi. Bien au contraire. Il préfère la questionner, notamment par le biais des personnages incarnés par Rachel McAdams et Mark Ruffalo, mais n’aborde pas la question de croire ou de ne pas croire. Cette absence de démagogie et d’unilatéralité mettant encore plus en valeur le propos principal et ses répercutions.

Sans verser dans le hors-sujet et sans non plus s’écarter de son propos, Spotlight se montre irréprochable du début à la fin. Irréprochable, mais aussi passionnant. Et c’est là qu’il finit de gagner ses galons pour prendre une valeur qu’il était légitime de ne pas soupçonner. À l’instar des Hommes du Président ou de Révélations, le film de McCarthy sait aussi, toujours sans céder aux gimmicks opportunistes, mettre les formes pour s’imposer à l’arrivée comme un grand film de cinéma et non comme une enquête filmée tenant plus de la reconstitution et du documentaire. Si cet aspect très âpre et réaliste est bien au centre de la dynamique et caractérise d’une certaine façon le film, le sens du cadre de McCarthy, le découpage, habille et dynamique, les compositions musicales, discrètes mais bel et bien là, du grand Howard Shore, et la direction d’acteurs irréprochable, en font un grand film. Au niveau du fond ou de la forme, Spotlight gagne sur tous les tableaux, grâce à l’équilibre remarquable qu’il instaure dès le début, sans jamais s’en affranchir pour tomber dans l’excès. Ambitieux, d’une intelligence rare, il touche en plein cœur, avec une force dévastatrice, en mettant en avant une sincérité désarmante, bien plus efficace que tous les artifices derrières lesquels beaucoup de réalisateurs et autres scénaristes se cachent aujourd’hui, faute de mieux.
On pense alors à Zodiac, de David Fincher et à tous ces thrillers caractérisés à l’écran par des enquêtes tortueuses et difficiles, car Spotlight se regarde aussi de cette façon. Il captive, choque, enchaîne les révélations (sans extrapoler), comme un vrai film policier. L’immersion est totale. On vit carrément, deux heures durant, aux côtés de ces journalistes investis d’une mission. La façon dont ils progressent, l’empathie dont ils font preuve face aux victimes, le courage dont ils témoignent dans leur combat contre une ville entière, liguée contre leur travail… Tout ceci transpire à travers l’écran. Le temps file, et au fur et mesure, c’est assis dans un coin de la salle de rédaction que nous assistons à leur lutte.

Spotlight est un film dur. L’un de ceux qui remuent durablement. En sortant, après un générique de fin en forme de coup de grâce, peu importe nos convictions personnelles, impossible de ne pas ressentir à la fois un profond malaise, mais aussi une réelle admiration pour ces journalistes. Des héros du quotidien qui méritaient bien que le cinéma s’intéresse à eux. Non content de le faire, Spotlight sait aussi y mettre les formes et leur rend complètement justice. Des films comme celui-là sont rares.

@ Gilles Rolland

Spotlight-cast  Crédits photos : Warner Bros. France

Par Gilles Rolland le 29 janvier 2016

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