[Critique] STRICTLY CRIMINAL
Titre original : Black Mass
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Scott Cooper
Distribution : Johnny Depp, Joel Edgerton, Benedict Cumberbatch, Jesse Plemons, Kevin Bacon, Dakota Johnson, Peter Sarsgaard, Corey Stoll, Adam Scott, Juno Temple, David Harbour…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 25 novembre 2015
Le Pitch :
South Boston, au début des années 70. L’agent du FBI, John Connolly se rapproche de son ami d’enfance, le gangster Jimmy « Whitey » Bulger, afin de le convaincre de lui fournir des informations nécessaires à l’éradication de la mafia italienne des rues de la ville. Whitey s’empresse d’accepter, lui qui voit dans cette alliance, l’occasion de pouvoir asseoir sa domination sur le crime organisé, sans concurrence et en toute impunité vis à vis des autorités. Histoire vraie…
La Critique :
Développé à l’origine par Barry Levinson, qui quitta le projet, Black Mass, alias Strictly Criminal en France (on ne saluera jamais assez ces titres anglais visant à remplacer d’autres titres anglais), est revenu à Scott Cooper. Cooper qui s’est rapidement imposé comme l’un des cinéastes américains les plus solides du moment, en seulement deux films, à savoir Crazy Heart et Les Brasiers de la Colère. Le voir ainsi aux commandes de cette adaptation de la vie de l’un des plus dangereux gangsters de l’histoire de l’Oncle Sam ne pouvait que déboucher sur quelque chose d’intéressant. Au final, c’est en effet le cas. Non seulement Strictly Criminal frappe fort, mais il se pose tout naturellement comme l’un des meilleurs films du genre (que l’on peut grossièrement étiqueter « mafia ») vus ces dernières années. Une réussite imputable à tout un tas de choses sur lesquelles nous reviendrons, mais surtout à Johnny Depp.
Depp a commencé à partir en vrille au début des années 2000, quand il n’a plus ou moins accepté que des rôles en forme de déclinaisons fantasques de Jack Sparrow ou d’Edward, de Edward aux mains d’argent. Le tout en enfilant comme des perles les épisodes de Pirates des Caraïbes, en tournant le dos à un certain cinéma plus adulte dans lequel il a pourtant toujours excellé. La tronche peinturlurée en permanence, Johnny en a souvent fait des caisses dans des productions pas toujours dispensables (même si c’est quelque chose qu’il maîtrise parfaitement), en sortant de temps à autre la tête hors de l’eau, histoire de nous rappeler sa valeur et sa propension à tout jouer. Dans Strictly Criminal, il incarne un type franchement méchant. Un salaud intégral aux yeux de serpent. Le mal incarné. Jamais l’acteur n’avait à ce point sombré du côté obscur, en s’abandonnant totalement à une violence inhérente au rôle. Un rôle pas comme les autres vu qu’on cause ici d’un type qui existe vraiment et qui, durant de nombreuses années, a semé la terreur à Boston, en se hissant à coups de meurtres et autres trafics divers et variés tout en haut de la liste des criminels les plus recherchés par le FBI. Alors non, Whitey Bulger n’était pas un tendre et forcément, voir Depp passer de Jack Sparrow ou de Charlie Mortdecai à un tel monument de brutalité fait son petit effet. Un comédien de plus relativement sobre dans sa performance, quand bien même il se trimballe à l’écran avec le cheveux rare, les dents jaunies et des lentilles de contact, soit loin de l’image du beau gosse rock and roll et bohème que nous connaissons tous. Rarement, Johnny Depp a été aussi bon. Aussi pertinent et canalisé. Scott Cooper, grand directeur d’acteurs devant l’éternel, a su le guider. Il a su lui redonner le goût du jeu viscéral. Le pousser dans ses derniers retranchements. Résultat des courses : Depp campe un Bulger saisissant et glacial. Une brute complexe et flippante, à la fois connectée aux grandes figures mafieuses que le cinéma a déjà mis en scène, mais aussi bel et bien ancrée dans une réalité âpre.
Avec un monstre de charisme livrant quelque chose d’aussi énorme, Cooper ne pouvait pas vraiment se planter. Surtout que derrière, le réalisateur pouvait compter sur un escadron spectaculaire de gueules. Joel Edgerton, en première ligne, est excellent (comme souvent), tandis que Benedict Cumberbatch, Kevin Bacon ou encore, pour ne pas tous les citer, l’étoile montante Jesse Plemons (révélé par Breaking Bad, vu dans The Program ou dans la seconde saison de Fargo, rien ne semble plus l’arrêter), confèrent au long-métrage un magnétisme et un prestige face auxquels il est impossible de rester indifférent.
Strictly Criminal tire l’essentiel de sa force de sa distribution. De ses acteurs en pleine possession de leurs moyens, dirigés à la perfection, qui habitent une histoire vraie passionnante de bout en bout.
Dommage alors que Cooper trébuche quand le film atteint son rythme de croisière. Après un début franchement irréprochable, il peine à passer la seconde. Peut-être est-ce parce qu’il a commencé trop fort. Après un festival de dialogues évoquant les grandes heures du cinéma de Martin Scorsese (Les Affranchis en tête bien évidemment), le métrage ralentit. Pas longtemps, mais suffisamment pour perdre un tout petit peu de son efficacité. À quelques détails près, le mot chef-d’œuvre n’aurait pas été galvaudé. Cela dit, quand bien même il convient de reconnaître le petit ventre mou qui plombe un film qui aurait gagné à être plus court d’un petit quart-d’heure, il faut aussi saluer la réalisation ambitieuse, au plus près des personnages et l’écriture, la plupart du temps ciselée. Tout est fait pour régaler les amateurs de thriller mafieux. Tout, y compris les passages obligés du genre dont Cooper s’acquitte avec la classe des plus grands. Loin de singer Scorsese ou Coppola, il impose sa patte sans concession. Enveloppé d’un parfum vintage authentique, Strictly Criminal jouit également d’une reconstitution d’époque de très haute volée et d’une bande-son aux petits oignons.
Chronique contemporaine d’un vrai bad guy, le nouveau film de Scott Cooper impressionne souvent et durablement. Pour nous avoir rappelé que Johnny Depp pouvait encore se montrer aussi génial et aussi jusqu’au-boutiste, sans déraper, il mérite qu’on s’y intéresse. Pour offrir au genre un nouveau petit classique instantané, il mérite le respect. Et pour tout le reste, comme ces dialogues parfaits, ces séquences tendues, ces plans renversants et la classe qu’il dégage sans y sacrifier cette tonalité dérangeante, il mérite l’admiration. Scott Cooper ne fait pas de prisonniers. Sa dernière livraison fait mieux que les récentes tentatives (on pense à The Iceman ou à American Gangster, de Ridley Scott), notamment grâce à sa capacité à ne jamais trop laisser percer la lumière, sans avoir l’impression de forcer le trait.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Warner Bros. France