[Critique] THE GIVER
Titre original : The Giver
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Phillip Noyce
Distribution : Jeff Bridges, Meryl Streep, Brendon Thwaites, Cameron Monaghan, Odeya Rush, Alexander Skarsgård, Katie Holmes, Taylor Swift
Genre : Science-fiction/Adaptation
Date de sortie : 29 octobre 2014
Le Pitch :
Dans un futur proche, le jeune Jonas vit une vie heureuse (si c’est le mot) dans une communauté idyllique, où tout le monde connaît son rôle et où tous les maux du passé ont été anéantis. Tout comme l’émotion, supprimée pour laisser place aux simples sentiments, qui sont superficiels mais nécessaires pour éviter tout nouveau conflit. Lors de la remises des diplômes par la Grande Sage, il devient l’apprenti de l’ancien Passeur, le seul individu autorisé à se souvenir du passé en cas de nécessité urgente. Lui seul détient les souvenirs terribles de ce qu’était le monde auparavant – ainsi que les bonnes choses, comme l’amour et la musique – qui ont été effacées par la société. Plus il apprend de choses sur la vérité cachée de La Communauté, et plus Jonas découvre à quel point toute le monde, que ce soit ses parents ou ses amis, a été endoctriné. Lorsqu’il décide d’agir avec son savoir nouvellement acquis, Il s’expose à la riposte de La Communauté…
La Critique :
Tu parles d’un timing merdique. Originellement sorti en 1993 (sous le titre français Le Passeur), le livre The Giver a plus ou moins posé les fondations pour toutes les autres franchises dystopiques pour ados qui suivirent. Maintenant que presque toutes ces licences là ont étés adaptées au cinéma et sont à présent devenues des succès automatiques, il est impossible d’ignorer la notion que le film lui-même est arrivé à la fête un poil en retard. Tout ce qui aurait pu faire du roman de Lois Lowery un must sur la liste des lectures estivales dans son temps, a désormais été tellement, complètement détourné par ses enfants bâtards qu’il ne reste aucune raison de considérer The Giver comme film légtime – hormis, bien sûr, concernant la valeur de son titre.
Plus damnant encore, The Giver est tellement à la bourre qu’on peut être sûr que personne n’a eu le courage de lui dire que son pitch a déjà été repris et (largement mieux) adapté avec Equilibrium, l’une des curiosités de science-fiction les plus sous-estimées de la dernière décennie, qui dressait le portrait inquiétant de l’avenir du Prozac sous un nuage Orwellien, où l’émotion était pareillement interdite par la loi dans une société paralysée par la conformité. Au lieu de nous moraliser avec le menu habituel de « l’inhumanité de l’homme », Equilibrium mettait davantage l’accent sur le regret et la perte de l’art et de la culture. Bon ok, ça, plus le mélange sérieusement génial de Christian Bale plus ou moins en pleine audition pour le rôle de Batman et cette superbe science-martiale du gun-kata, où tout le monde combinait flingues, gunfights et kung-fu dans un seul cocktail d’action badass.
Mais bon, tant pis, The Giver arrive quand même sur la piste d’atterrissage. L’élément principal qui pourrait séparer cette histoire de Hunger Games, Divergente, Le Labyrinthe et ainsi de suite, est le fait qu’il ne s’agit pas techniquement d’une dystopie, mais plutôt de son cousin parano, à savoir « l’utopie ratée ». La différence est surtout thématique : alors que la fiction spéculative des dystopies est portée par la tendance d’être un examen théorique des problèmes d’actualité (en forme d’avertissement (« Changez vos habitudes, sinon… »)), le message des utopies ratées tombe souvent dans la lignée métaphorique d’enfouir sa tête dans le sable: « Ne changez rien ! Tout est exactement parfait et va pas s’améliorer davantage, et si on change quelque chose il pourrait y avoir des conséquences inattendues plus tard ! ».
C’est aussi pourquoi ce genre en particulier a une telle popularité parmi les jeunes adultes : faire passer un message comme celui-là signifie réduire l’univers fictionnel à des nuances simplistes de noir et de blanc, ce qui a rimé avec être lourdingue pour certains spectateurs (souvent les adultes), mais qui s’harmonise parfaitement avec les termes bruts et émotionnels à travers lesquels les adolescents aiment bien voir le monde. Le soi-disant génie sournois de Hunger Games et Divergente était simplement d’aller un peu plus loin, imaginant des futurs sombres où notre société est organisée selon la hiérarchie sociale d’une cantine de lycée.
The Giver étant plus vieux, il traite encore son récit d’anticipation à partir d’un angle socialisme vs. démocratie, mettant en scène une civilisation répressive connue sous le nom subtil de La Communauté (manque plus que la musique dramatique et le gros point d’exclamation à chaque fois que ce titre est annoncé), créée à la suite d’une ruine apocalyptique sans nom et qui a préservé l’humanité en instituant une société ultra-monolithique dépourvue d’émotions, de souvenirs du passé et même de couleurs, parce que l’image monochrome est une gentille métaphore visuelle flemmarde qui coûte pas cher et ça fait probablement un moment que Pleasantville est sorti, donc ça aura l’air d’un truc nouveau.
Notre héros est – allez, tous ensemble – un jeune garçon précoce avec un destin spécial, qui est informé que son rôle prédéterminé dans La Communauté (musique dramatique) est d’hériter du devoir de servir comme bloc mémoire vivant pour tous les souvenirs restants du passé, de manière à ce La Communauté (musique dramatique) et ses leaders puissent avoir une lanterne à éclairer concernant plusieurs dilemmes. On l’appellera Le Dépositaire (insérer blague ici) et il sera entraîné dans l’art mystique de regarder des images d’archives aux côtés de son prédécesseur Le Passeur, joué par un Jeff Bridges qui, malgré son admiration proclamée pour le bouquin et son statut de producteur, marmonne tout son texte comme s’il était à moitié endormi.
Et, figurez-vous, que lorsque sa métamorphose psychologique lui permet de découvrir la véritable horreur de La Communauté (musique dramatique), lui et Le Passeur vont se rebeller contre Le Système…ce qui n’est pas vraiment difficile, vu que le film essaye de travailler un récit narratif de science-fiction plus direct et frontal que le livre et son symbolisme ésotérique, et donc inclut bien sûr un bouton disjoncteur magique qui arrêtera tout et ramènera comme par hasard les souvenirs de tout le monde. Ouais. Au cas où vous ne l’auriez peut-être pas encore saisi, c’est censé être une métaphore de l’adolescence.
Et qu’en est-il de cette horreur qu’est vraiment La Communauté (musique dramatique) ? Et bien, ils pratiquent l’euthanasie, contre les vieux et les nouveau-nés qu’on a déterminé comme étant anormaux, d’une façon ou d’une autre. C’est une sinistre procédure dont tout le monde a conscience, mais que personne ne considère comme mauvaise puisque ne demeure aucun souvenir de la valeur de la vie humaine…sauf que c’est totalement faux, vu que l’objectif principal d’établir La Communauté (et une communauté en général) était de protéger la vie humaine de la douleur et de la souffrance, non ? Ouais, c’est peut-être pour ça que ce n’est pas une bonne idée de prendre une histoire largement symbolique au pied de la lettre. Dépendant des points de vue, on peut lire le film comme une métaphore spectaculairement mal-amenée de l’avortement, ou bien alors juste comme une tentative de choc à deux balles qui essaye lamentablement d’agrandir les enjeux du film.
Aux commandes, on retrouve Philip Noyce, un réalisateur australien qui, après le couteau-dans-l’eau prometteur qu’était son Calme Blanc en 1989, a la fâcheuse tendance de passer sa carrière à se faire embaucher pour emballer des blockbusters de commande (deux Jack Ryan, Sliver, Le Saint ou plus récemment Salt) et à se racheter avec des exercices puissants et politiques d’art-et-essai (Le Chemin de la liberté et Un Américain bien tranquille). Ici, il est de retour en mode hollywoodien, et il est assez amusant de voir à quel point l’étendue des références visuelles dans The Giver est limitée.
Malgré tout ce qui touche à l’esprit éveillé de notre héros qui a été sensibilisé à l’entièreté de l’expérience humaine perdue, tout ce qu’on nous sert à l’écran se résume à des versions différemment alignées de l’iconographie américaine classique, avec La Communauté (musique dramatique) qui apparaît sous la forme d’une banlieue rétro-futuriste, tandis que le monde soi-disant au-delà est représenté à grand renfort d’images qui évoquent la tranquilité rurale des États-Unis. En gros, on finit par se rendre compte que la visualisation thématique du film entre le mal et la tyrannie contre le bien et la liberté se résume à l’Homme Blanc-bec du Futur et l’Homme Blanc-bec Rustique.
Pour un film qui insiste sur l’acceptation de la culture et de la diversité du passé dans un monde abandonné, The Giver possède à peu près la même ampleur et la diversité visuelle d’un cartoon de journal. C’est un film sérieusement insipide, aussi chiant et emmerdant que les autres adaptations pseudo-profondes de livres « importants » de son genre, avec toute l’atonie que cela sous-entend, recouvert d’une épaisse couche de moisissure. Et cette fois, y’a même pas de gun-fu.
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Studio Canal