[Critique] TRIPLE 9
Titre original : Triple 9
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : John Hillcoat
Distribution : Chiwetel Ejiofor, Anthony Mackie, Casey Affleck, Kate Winslet, Aaron Paul, Woody Harrelson, Clifton Collins Jr., Norman Reedus, Teresa Palmer, Gal Gadot…
Genre : Thriller
Date de sortie : 16 mars 2016
Le Pitch :
Un ex-agent des Forces Spéciales et son équipe de flics corrompus sont contraints, après avoir passé un marché avec la mafia russe, d’effectuer un braquage extrêmement audacieux. Ils décident alors, afin de détourner l’attention des forces de l’ordre, de déclencher un code 999 qui, dans le jargon de la police, correspond à un officier abattu. Malheureusement pour eux, rien ne se passe comme prévu…
La Critique :
Le cinéaste australien John Hillcoat est ce que l’on appelle un bon. Un très bon même tant sa filmographie force d’emblée le respect. Que l’on parle de sa remarquable adaptation de La Route, le Prix Pullitzer de Cormac McCarthy, de son western racé The Proposition ou encore des Hommes Sans Loi, sans oublier ses œuvres de jeunesse, Hillcoat connaît son métier et se plaît, depuis ses débuts, à écrire une histoire passionnante, dont chaque film constitue un chapitre indiquant une réelle évolution doublée d’un désir farouche de ne pas camper sur ses positions en prenant à chaque fois des risques non négligeables.
Avec Triple 9, le réalisateur inscrit son récit dans une modernité tangible. Alors que ses précédentes œuvres se déroulaient soit dans le futur soit dans le passé, celle-ci illustre en filigrane les effets d’une gangrène qui ronge petit à petit les fondements même d’une certaine société. La violence est au centre de l’équation, avec tout ce qu’elle sous-entend. L’argent aussi et fatalement, la corruption qui va avec. Celle de ces flics à double-visage, pourris jusqu’à l’os par l’appât du gain et prêts à tout pour arriver à leurs fins.
Chez Hillcoat, pas grand monde n’est « propre ». Les vrais gentils existent bien, mais ils doivent lutter pour survivre. On se souvient notamment du père incarné par Viggo Mortensen dans La Route, qui d’une certaine façon, renvoie au personnage incarné ici par Casey Affleck, dont l’application à faire correctement son boulot face à des collègues corrompus, cristallise en quelque sorte cette innocence et cette bonté sacrifiées sur l’autel d’un farouche désir de s’en mettre plein les poches. Woody Harrelson s’employant d’ailleurs pour sa part à interpréter un vieux de la vieille, conscient des limites qui séparent le bien et le mal mais porteur d’un mal-être en forme de dommage collatéral d’une carrière passée à côtoyer la racaille, y compris au sein même de son département.
Triple 9 choisit d’annoncer directement la couleur. Cette couleur, c’est le rouge. Celui de la peinture qui tache les billets volés par les policiers et celle du sang qui coule des blessures infligées. Un rouge omniprésent dans ce film sombre et désespéré, marqué par la résilience parfois cabossée d’hommes au bord du gouffre. La première séquence fait très fort. On pense à Heat, ce qui n’est pas rien, et ce n’est que lorsque l’action se pose pour reprendre son souffle que l’on comprend que le meilleur reste encore à venir. Enfin en principe, car dans les faits, ce n’est malheureusement pas si simple. Triple 9 est en cela un long-métrage à double tranchant. Parfaitement raccord avec les intentions initiales, il propose un récit tendu à l’extrême, habité d’une mélancolie palpable, crépusculaire et sauvage à plusieurs moments, mais échoue relativement à exploiter à fond ses nombreux personnages, quand il ne s’en débarrasse pas carrément. Il est ainsi nécessaire de lire entre les lignes, ce que Hillcoat facilite par une mise en scène ample, qui laisse de nombreuses occasions de prendre la mesure des enjeux. Trop peut-être. Ce qui fonctionnait dans Des Hommes Sans Loi accuse ici quelques ratés. Sur la longueur, d’ailleurs un peu excessive (avec un bon quart d’heure en moins, le long-métrage aurait gagné en nervosité), Triple 9 trébuche quelque peu, plusieurs fois, se relève toujours, mais peine à passionner avec la même intensité au fur et à mesure que l’intrigue progresse. Rien de fatal bien sûr car on évolue néanmoins dans les hautes sphère du thriller, mais de la part d’un réalisateur comme John Hillcoat, la chose apparaît avec un peu plus d’évidence.
C’est un peu comme cette image granuleuse, parfois vraiment trop obscure, peut-être histoire de bien nous faire comprendre que tout va mal, ce qu’il n’est pas bien difficile de piger à la vue du scénario, limpide sur ce point.
Des menus défauts émaillent ce Triple 9, qui s’annonçait moins conventionnel également, en dépit de la volonté manifeste du cinéaste à la barre de se concentrer avant tout sur l’exécution et l’efficacité. Ce qui est tout à fait louable. Au moins, Hillcoat n’en fait pas des caisses. Il mène sa barque, bille en tête et souvent, sa mise en scène fait des merveilles. Force tranquille du cinéma, il peut également compter sur un escadron spectaculaire d’acteurs de premier plan. Tous sont impeccables. Surtout ceux qui peuvent compter sur une partition solide, à l’image d’Anthony Mackie, Casey Affleck, Chiwetel Ejiofor, Woody Harrelson ou encore Kate Winslet, dans un rôle à total contre-emploi, parfaite comme d’habitude, bien que relativement peu exploitée compte tenu de l’importance sous-jacente de son personnage.
En se frottant inévitablement aux cadors du genre, Triple 9 révèle ses petites faiblesses. Son rythme un peu en dents de scie et ses zones d’ombre qui persistent concernant le développement et donc la caractérisation de ses personnages. Comparé à un Heat par exemple, pour prendre celui auquel on pense directement, Triple 9 ne parvient pas en en égaler la puissante intensité, ni la cohérence. Alors qu’au fond, Heat dure 1 heure de plus et compte moins de personnages.
Souvent payante chez Hillcoat, l’économie des mots pèse sur le scénario du film. Son style lui, conserve sa flamboyance, mais il manque cette petite étincelle pour faire de Triple 9 un classique instantané du genre. À mi-chemin entre le pur film de flic, dans un style à la James Ellroy et le film de braquage, il a parfois le cul entre deux chaises, mais ne manque pas de personnalité. Et malgré tout, en dépit de ses petits travers, comme l’affirme Jules Winfield à la fin de Pulp Fiction, la personnalité, ça compte ! Et pas qu’un peu !
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Mars Distribution
Excellent́e critique. A voir donc…
Merci Karl !!!