[Critique] TWIXT
Titre original : Twixt
Rating:
Origines : États-Unis
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Distribution : Val Kilmer, Bruce Dern, Elle Fanning, Ben Chaplin, Joanne Whalley, David Paymer, Anthony Fusco, Alden Ehrenreich, Bruce A. Miroglio…
Genre : Épouvante/Drame
Date de sortie : 11 avril 2012
Le Pitch :
Un écrivain de seconde zone, spécialiste des histoires de sorcières, atterrit dans une petite bourgade perdue au fin fond de l’Amérique. Sur place, il rencontre le shérif qui lui propose de collaborer à l’écriture d’un livre sur une affaire d’homicide en cours. En panne d’inspiration et sans cesse harcelé par son éditeur et par sa femme, l’écrivain accepte la proposition et se plonge dans l’histoire pour le moins mystérieuse du village. Un village, soit-disant hanté, qui reçut en son temps, la visite du célèbre Edgar Allan Poe…
La Critique :
Pour beaucoup, Francis Ford Coppola a perdu de sa superbe dès qu’il s’est mis en tête de ne tourner que de petits films, très personnels, où il ne cesse de se mettre en scène. À partir de L’Homme sans âge donc, sorti sur nos écrans en 2007. Pour d’autres, c’est véritablement avec Le Parrain 3 que le réalisateur a commencé sa descente vers les tréfonds d’un cinéma plus anecdotique.
Twixt mettra ces deux partis une nouvelle fois d’accord, tant il semble s’inscrire dans la stricte lignée de ses deux précédents longs (L’Homme sans âge donc et Tetro).
Pas la peine de vous déplacer si vous faites partie de l’un de ces deux cas de figures. Sous ses apparats de film d’épouvante gothique aux accents vampiriques, Twixt est une nouvelle plongée dans l’esprit torturé d’un artiste en plein introspection.
Cette faculté de se placer une nouvelle fois au centre d’un film, via le protagoniste principal, n’est pas sans rappeler le cinéma de Woody Allen. La filmographie du new-yorkais recelant de psychanalyses diverses et variées. Et ce n’est ainsi peut être pas si incongru que cela d’affirmer que Twixt partage avec Minuit à Paris quelques points communs intéressants. Amour d’une époque révolue, hommage aux anciennes figures artistiques avec lesquelles le héros disserte longuement, rêveries plus ou moins abstraites… Les deux longs métrages, s’ils n’ont pas grand chose à voir l’un avec l’autre au premier abord, tendent vers un passé fantasmé et dégagent chacun à sa façon une mélancolie aussi lancinante qu’enveloppante.
Cela dit, Francis Ford Coppola suit sa propre route. Twixt est son exutoire. L’œuvre d’un type conscient de l’aura qu’il dégage (via une filmographie monumentale) et conscient de l’attente que suscitent chacun de ses nouveaux projets. Avec Twixt, Coppola donne plus que jamais l’air de s’en moquer. Peu importe que les fans attendent un nouvel Apocalypse Now, ou un autre film de l’acabit du Parrain. Coppola fait ce qu’il veut, met les formes qu’il veut et tourne le dos aux conventions. Ses films ne coutent désormais plus que quelques bouchées de pain et sont tournés rapidement. Coppola ne s’inquiète plus de sa mise en scène qu’il souhaite la plus statique et épurée possible, préférant privilégier le fond. Cela dit, chassez le naturel et il revient au galop. Car si Twixt affiche en effet une réalisation sobre, certains de ses plans et le travail sur le noir et blanc parsemé de touches éclatantes de couleurs alliées à des effets spéciaux étrangement vintage, laissent apparaître un désir à peine refoulé de soigner le travail. Avec une grande économie de moyens, mais le plus correctement possible. Les rares effets de Twixt alimentent et servent le scénario. Point d’esbroufe, ni de démonstration de force, le maitre est au-dessus de tout cela. Au dessus des exigences des studios également. Plus besoin de faire du fric avec son cinéma. Coppola produit son vin, fait les films qu’il veut… Ainsi va la vie de l’ancien camarade de fac de Jim Morrison.
Il y a deux éléments qui se détachent très nettement dans le dernier film de Coppola. Le premier est son désir ardent de revenir aux fondamentaux d’une carrière entamée aux côtés de Roger Corman (le Roi de la série Z horrifique) et de rendre du même coup hommage au grand Edgar Allan Poe. Twixt cite Poe, le héros rencontre Poe, et c’est d’une certaine façon Poe qui a le mot de la fin. Un Poe qui trouve d’ailleurs chez Ben Chaplin une interprétation tout à fait pertinente.
Un hommage donc, qui va bien plus loin que la simple succession de clins d’œil appuyés (à travers l’imagerie notamment) et qui fouille dans le passé de l’écrivain américain. Coppola aborde le deuil difficile de Poe suite au décès de Virginia, son épouse. Le deuil est l’autre thématique primordiale de Twixt. Hall Baltimore, l’écrivain incarné par Val Kilmer, est en proie au deuil, suite à la mort tragique de sa fille survenue lors d’un accident de bateau. Un deuil difficile car sans cesse nourri de regrets. C’est précisément là que Twixt prend une dimension troublante ; Coppola ayant lui-même perdu son fils dans les mêmes circonstances, il y a maintenant plusieurs années. Le réalisateur exprime sans aucun détour et d’une manière à la fois touchante et crue, son désarroi, les regrets et le remord qui le ronge depuis. Les mots qui sortent de la bouche de Val Kilmer sont ceux d’un Coppola brisé qui s’exprime via son cinéma sur une tragédie qui l’a changé à jamais.
Val Kilmer, qui est d’ailleurs tout à fait à sa place dans cet univers sombre aux faux airs d’un épisode de Master of Horror. Métamorphosé, celui qui fut il y a bien longtemps Bruce Wayne ou Jim Morrison traverse un passage à vide. Loin de ne résonner qu’en Coppola, Twixt trouve aussi un écho dans l’existence de cet acteur, à la carrière abimée, qui prouve ici qu’il est toujours bourré de talent et de charisme.
Il est amusant de noter la présence au générique de Joanne Whalley, ex-femme de Kilmer, qui interprète son épouse (ils s’étaient rencontrés sur Willow)… La fiction se mêle à la réalité. Tout comme le film qui mixe, pas toujours très subtilement, la fantasmagorie des rêves et l’âpreté du réel.
Partition rédemptrice, poétique et mélancolique sur le deuil, film d’épouvante fantomatique ou trip vampirique gothique à l’humour parfois loufoque, Twixt est un film complexe et par cela, difficile à défendre.
On peut lui trouver des airs prétentieux, tout comme on peut lui reprocher son aspect foutraque. Difficile de contredire quelqu’un qui n’a pas été touché par la grâce subtile et pourtant terrassante de sincérité de cette déclaration d’un artisan peut-être trop honnête envers son public. Tourné en numérique, fourmillant de références parfois grossières et bancal à plus d’un titre, Twixt n’a rien du film facile.
À noter que c’est Tom Waits qui tient le poste du narrateur. Waits qui jouait déjà dans Dracula.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : American Zoetrope