[Critique] VAMPIRES EN TOUTE INTIMITÉ

CRITIQUES | 17 novembre 2015 | Aucun commentaire

Titre original : What We Do In The Shadows

Rating: ★★★★☆
Origine : Nouvelle-Zélande
Réalisateurs : Jemaine Clement, Taika Waititi
Distribution : Jemaine Clement, Taika Waititi, Jonny Brugh, Cori Gonzalez-Macuer, Ben Fransham…
Genre : Comédie/Fantastique/Horreur
Date de sortie : 30 octobre (e-cinéma)

Le Pitch :
Viago, Deacon et Vladislav sont des vampires. Loin de se couper du monde, ils tentent depuis de nombreuses années de mener une existence plus ou moins normale, parfois non sans quelques heurts, notamment à cause du décalage occasionné par les coutumes de la vie moderne. Pour la première fois, les trois amis ont ouvert les portes de leur demeure et de leur quotidien à une équipe de télévision…

La Critique :

Petite précision :
What We Do In The Shadows est sorti en France sous le titre Vampires en toute intimité. Jusque là, rien d’extraordinaire. Les distributeurs français changent souvent les noms des films. Ici pourtant, un important travail d’adaptation a été effectué, sous la direction de Nicolas Charlet et Bruno Lavaine, qui sont notamment populaires pour les vignettes humoristiques diffusées sur Canal +, Message à caractère informatif et plus récemment pour la parodie, À la recherche de l’Ultra-Sex, mais aussi pour les films La Personne aux deux personnes et Le Grand Méchant Loup. Non contents d’avoir supervisé cette fameuse adaptation de What We Do In The Shadows, les deux amis ont souhaité changer pas mal de choses. L’action du film ne se déroule plus en Nouvelle-Zélande mais à Limoges et les personnages ne s’appellent plus Viago, Deacon et Vladislav, mais Geoffroy, Miguel et JC, doublés respectivement par Alexandre Astier, Fred Testot et Bruno Salomone.
Une appropriation étrange qui n’est pas sans rappeler le travail de doublage de certaines œuvres de fiction dans les années 70/80. Souvenez-vous de Shining par exemple, dans lequel Jack devenait Jacques ou, pire, quand Jason devenait Jackie, dans le premier Vendredi 13. Le Cosby Show lui aussi avait fait les frais du manque de respect de l’œuvre originale par les sagouins qui étaient chargés de l’adaptation. Les personnages, normalement localisés à New York, habitaient Paris et payaient en francs et non plus en dollars (du moins au début de la série).
Ici, avec Vampires en toute intimité, c’est presque pareil. Rien à voir en somme avec l’admirable travail d’Alain Chabat et de Dominique Farrugia, sur Wayne’s World, qui prenait en compte l’esprit de l’œuvre et toutes ses petites subtilités, sans en dénaturer le discours ou même l’humour.
La critique qui suit, tout comme le nombre d’étoiles, ne concerne en rien la version française, qui s’est appropriée un film, sans le comprendre, en en modifiant les dialogues et le contexte pour le vider, tel un vampire, c’est le comble, de sa substance. Alors oui, Message à caractère informatif, pas de doute, c’était très bon. Tout comme plusieurs choses du duo Nicolas et Bruno. Mais là, non. Vraiment pas. Parlons maintenant du film tel que ses deux réalisateurs néo-zélandais l’ont envisagé :

What-We-Do-In-The-Shadows

 

Prenez This is Spinal Tap, de Rob Reiner, où il est question d’une équipe de tournage qui accompagne en tournée un groupe de rock. Prenez ensuite toutes ces émissions de télé-réalité qui pénètrent l’intimité des gens. What We Do In The Shadows (en français : ce que nous faisons dans l’ombre) se situe à mi-chemin entre les deux, tout en étant (presque) aussi drôle que le premier. Certainement conscient que le genre était sclérosé depuis de nombreuses années, notamment à cause des multiples navets poussifs mettant en scène des vampires, le long-métrage de Jemaine Clement et Taika Waititi, par ailleurs également devant la caméra, adopte une approche totalement inédite et pour le moins salvatrice. Il n’est donc pas uniquement question de parodie, mais d’une relecture comique du mythe du vampire au cinéma. Un peu comme Roman Polanski l’avait fait avec Le Bal des Vampires en 1967. Les codes sont parfaitement intégrés et dans un sens, respectés. Les personnages sont des suceurs de sang aux sensibilités différentes, définis à la fois par leur histoire et par leur âge. Ainsi, les plus jeunes sont les mieux intégrés à la société moderne, tandis que le plus ancien ressemble à une version poussiéreuse mais néanmoins agressive de Nosferatu. Bien entendu très référentiel, What We Do In The Shadows accepte totalement le moule dans lequel il vient se couler, sans pour autant s’y reposer totalement. Tout se joue dans l’écriture. Fine, ciselée, respectueuse, mais aussi impertinente, elle adopte une rythmique redoutable, qui permet au film de rebondir en permanence. Du côté purement horrifique, le spectacle est à la hauteur. Le long-métrage est gore, la photographie, sombre et gothique, parfaitement pertinente et la mise en scène, malgré l’aspect documentaire, toujours très lisible et pleine de trouvailles.
L’humour quant à lui, est dévastateur. Attachants, les vampires se livrent face caméra, au fil de scènes brillant par leurs dialogues travaillés et surtout très drôles. À la fois très fin, mais jamais très loin de la bonne poilade qui tâche (au propre comme au figuré), What We Do In The Shadows dénote d’un esprit libertaire, aujourd’hui de plus en plus rare dans les productions de plus grande ampleur. Il s’inscrit ainsi dans la lignée de ce cinéma néo-zélandais frondeur, qui, quand il décide d’aller dans une direction, ne laisse rien n’y personne se mettre en travers de sa route.
Hier, Peter Jackson donnait deux coups de pieds successifs dans la fourmilière avec son diptyque Bad Taste/Braindead, et aujourd’hui, des œuvres rafraîchissantes comme cette habile relecture du film de vampires renouvellent à elles seules des genres trop souvent abordés par des cinéastes pilotés à distance par des studios qui n’y voient qu’une vanne à dollars inépuisable.

Avant de conclure, un petit mot sur les acteurs, tous excellents. Impliqués pour certains d’entre eux dans l’écriture et dans la réalisation, ils forment un tout cohérent. L’alchimie est parfaite, tout comme leur capacité à livrer une parodie dans l’air du temps qui vaut bien sûr mieux que cette appellation pour le coup trop « limitée ». Quelque part entre la pure comédie loufoque et référentielle, et le film de vampires, à des kilomètres des bouffonneries qui se contentent de pasticher des blockbusters dans l’espoir de rallier le même public, What We Do In The Shadows fait souffler un vent de fraîcheur et s’impose comme un petit classique instantané. En version originale, il faut bien insister là-dessus !

@ Gilles Rolland

What-We-Do-In-The-Shadows2Crédits photo : Wild Bunch

 

Par Gilles Rolland le 17 novembre 2015

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