[Critique] SNOWDEN
Titre original : Snowden
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Oliver Stone
Distribution : Joseph Gordon-Levitt, Shailene Woodley, Melissa Leo, Zachary Quinto, Nicolas Cage, Tom Wilkinson, Rhys Ifans, Timothy Olyphant, Scott Eastwood…
Genre : Drame/Thriller/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 1er novembre 2016
Le Pitch :
Informaticien surdoué, Edward Snowden rêve de rejoindre les Forces Spéciales de l’armée américaine mais doit se résoudre à abandonner le jour où une blessure le cloue au lit. Il se retrouve alors à travailler pour la NSA et la CIA, où ses extraordinaires talents sont exploités à des fins qu’il ne tarde pas à trouver abusives, notamment quand il est question de la vie privée de ses concitoyens. C’est lorsqu’il découvre que le gouvernement se livre à un espionnage massif via les téléphones portables et les ordinateurs qu’il décide de rassembler des preuves pour ensuite faire exploser la vérité au grand jour. Histoire vraie…
La Critique de Snowden :
Oliver Stone est un patriote. Pas de ceux qui admirent sans réserve leur pays mais plutôt de ceux qui soulignent les injustices, les débordements et plus globalement tout ce qu’ils estiment aller à l’encontre des idéaux de leur nation. Tous ses films ont ainsi un rapport plus ou moins lointain avec cette volonté de l’ouvrir pour dénoncer, analyser et rétablir une vérité. Y compris des œuvres comme The Doors, où il met en exergue la figure Jim Morrison comme une métaphore de tout un mouvement et de toute une époque, ou encore Savages où l’Oncle Sam est suffisamment malmené pour que cette histoire de dealers sexy ne souffre d’aucune demi-mesure quant à son discours véritable. Cela dit, depuis quelques années, Stone en a clairement raz la casquette et il ne se prive pas de le dire. Jusqu’à manquer un peu de recul et de clairvoyance, en fonçant bille en tête, au point d’avoir perdu en chemin la pertinence qui ont fait de métrages comme Platoon, Né un 4 juillet et Tueurs Nés de purs classiques du cinéma américain. Avec Snowden, le réalisateur frondeur continue sur sa lancée. Le sujet lui tient à cœur, mais cette fois-ci, force est de lui reconnaître une certaine subtilité, qui, ajoutée aux autres qualités du film, peuvent tout à fait inciter à considérer ce dernier comme l’un de ses meilleurs depuis belle lurette.
Oliver Stone et Edward Snowden, même combat
Il n’est pas difficile de comprendre les raisons qui ont motivé Stone a s’intéresser au cas du plus célèbre lanceur d’alerte de l’Histoire moderne des États-Unis. Le fait qu’il ait en plus pu compter sur Snowden pour monter son film et en faire exactement ce qu’il voulait a aussi pesé dans la balance, au point de lui offrir l’opportunité d’y aller franco dans sa charge contre un système défaillant à plus d’un titre. Et il n’y a qu’à voir son visage, qui traduit une satisfaction certaine, à la fin du film, quand il passe une tête discrètement, pour piger qu’Oliver Stone estime qu’il a touché au vif. Difficile de lui donner tort tant son long-métrage apparaît à la fois pertinent mais aussi suffisamment censé et sensible pour ne pas s’apparenter uniquement à une série de violents uppercuts lancés à la face du gouvernement de l’oncle Sam.
Pour autant, difficile également de ne pas voir dans le traitement que Stone inflige à l’histoire de Snowden, un petit côté donneur de leçon qui pourra agacer, bien qu’ici, le sujet s’y prête. Stone se range derrière Snowden, qu’il utilise aussi pour donner un écho à ses propres idées. Il est difficile de de savoir si le personnage campé par Joseph Gordon-Levitt est vraiment comme il nous est présenté dans la réalité, mais il est tout aussi délicat d’affirmer pleinement le contraire tant parfois, Stone prend le temps de souligner habilement les contradictions qui animent Snowden, au point de lui conférer une complexité indispensable à la bonne tenue de l’ensemble et à son potentiel impact sur le public. Une chose est sûre : le film est percutant et effectivement, parfois effrayant, dans sa façon de mettre en exergue nos habitudes de consommateurs vis à vis des nouvelles technologies connectées, ainsi que les conséquences que cela peut avoir sur notre intimité, même si il est probablement raisonnable de prendre un peu de recul. Oliver Stone a réussi à illustrer les thématiques importantes qui caractérisent l’histoire d’Ed Snowden, et tant pis si parfois, il appuie vraiment comme un bourrin sur certains points. On le répète, le film traduit un agacement de la part de son chef d’orchestre, qui au fond, n’a pas spécialement envie de rigoler…
Un pamphlet virulent mais pas que…
C’est au casting que l’on doit l’émotion qui se dégage de Snowden et qui lui permet in fine de ne pas sombrer dans un pur exercice de style politique afin de demeurer un vrai film de cinéma, passionnant et vibrant. Dans les pompes du lanceur d’alerte Joseph Gordon-Levitt livre tout simplement l’une des meilleures performances de sa carrière. Ce qui, quand on regarde sa filmographie, signifie vraiment quelque chose. Touchant, parfois ambigu, jamais dans l’excès et toujours en place, le comédien est formidable. Shailene Woodley aussi fait des merveilles et parvient à s’imposer tout en douceur, charriant du même coup les thématiques romantiques que porte le long-métrage. Rhys Ifans, lui aussi très ambigu, Nicolas Cage, discret mais toujours aussi costaud, ou encore Tom Wilkinson, Melissa Leo et Zachary Quinto tiennent quant à eux leur position et tout en brillant incontestablement, rappellent quel excellent directeur d’acteurs demeure Oliver Stone. Des acteurs qui contrebalancent et font le nécessaire pour incarner le récit et lui donner l’humanité nécessaire. Filmés par un cinéaste investi, ils font la différence comme avant eux Kevin Costner et les siens dans JFK par exemple.
Un discours qui met les formes
Oliver Stone retrouve sa superbe sous l’impulsion d’un incroyable parcours de vie et réussit à ne jamais vraiment trébucher plus de 2 heures durant. Son film est passionnant et concernant car il sait aussi traduire la maestria d’un artiste qui a choisi de parier sur des partis-pris de mise en scène la plupart du temps efficaces et inspirées. Si la structure, faite de flash-backs, ne révolutionne rien de particulier, les petits détails qui jalonnent la progression du scénario, démontrent que Stone est toujours capable de fulgurances formelles au service du discours. À tel point que si il est difficile d’omettre la part de vérité et son caractère actuel, il est possible de suivre Snowden comme un pur thriller, qui lorgne du côté des grands classiques du genre des années 70, comme Les Trois Jours du Condor ou Les Hommes du Président. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est probable qu’il vieillisse extrêmement bien et devienne à plus ou moins long terme un de ces films témoins de son époque, que l’on citera peut-être en exemple quand il s’agira d’aborder par le prisme de la culture, des problématiques bien tangibles.
En Bref…
Snowden repose sur une volonté d’ouvrir les yeux et s’envisage donc comme un film d’utilité publique. Si dans les faits ce désir trahit parfois un manque de recul, il n’entame pas le terrible pouvoir d’attraction de cette histoire passionnante, portée par des acteurs parfaits et par un réalisateur enfin de retour au niveau qui fut le sien dans les années 80/90.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Pathé