[Critique] THE REVENANT

CRITIQUES | 24 février 2016 | Aucun commentaire
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Titre original : The Revenant

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : Alejandro González Iñárritu
Distribution : Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Will Poulter, Domhnall Gleeson, Paul Anderson, Kristoffer Joner, Brendan Fletcher, Lukas Haas…
Genre : Western/Drame/Adaptation
Date de sortie : 24 février 2016

Le Pitch :
Dans l’immensité d’une nature sauvage, au cœur de l’hiver, Hugh Glass, un trappeur, est attaqué par un ours. Grièvement blessé, il est confié aux soins de deux volontaires et de son propre fils, qui sont chargés de le veiller jusqu’à son dernier souffle. Cependant, Fitzgerald, l’un d’eux, prend la tangente et finit par abandonner Glass agonisant dans le froid. Dès lors, ce dernier n’aura de cesse de lutter pour sa survie. De repousser les assauts de la mort, afin d’assouvir sa vengeance. Histoire vraie…

La Critique :
Alejandro González Iñárritu s’applique tout d’abord à nous immerger dans la nature. Dans l’environnement qui sera le théâtre des aventures qu’il va nous conter. De grands arbres se dressent vers le ciel, alors qu’à leurs pieds serpente une eau abondante. Dès lors, les sensations sont là. On imagine cette même eau pénétrant le cuir des bottes, de la même façon qu’elle infiltre le bois des racines depuis longtemps soumises à la rigueur d’éléments dictant leur propre lois sur les hommes et les bêtes. Quand Hugh Glass, le trappeur incarné par Leonardo DiCaprio, fait son apparition, à peine quelques minutes après le début de film, l’ambiance est déjà bien posée. Son visage, comme ceux des autres personnages, des hommes partis s’aventurer dans l’immensité glaciale et humide pour en ramener des peaux, traduit l’épuisement, la peur et une certaine lassitude. C’est alors que vient l’attaque. Des indiens prennent pour cible les américains. Derrière la caméra, Iñárritu nous offre alors le premier grand morceau de bravoure de son long-métrage, à grand renfort de plans-séquences qu’il est aujourd’hui l’un des seuls à maîtriser avec autant de puissance. Des morceaux de bravoure, The Revenant en comptera ainsi beaucoup, faisant de cette nouvelle illustration du calvaire de Hugh Glass, ce trappeur américain laissé pour mort dans les bois par les siens, une fresque aussi sublime que douloureuse…

The-Revenant-Tom-Hardy

Parti pour quelques semaines filmer son sixième long-métrage, Alejandro González Iñárritu et son équipe sont finalement restés 9 mois à capturer les images de The Revenant. Désireux de conférer le plus d’authenticité possible à cette adaptation du roman de Michael Punke, le cinéaste a tenu à respecter un cahier des charges qu’il s’était lui-même imposé quand il s’est embarqué sur le projet, après les défections successives de Park Chan-wook et de John Hillcoat, ralliant un Leonardo DiCaprio pour le coup plus enclin à incarner Hugh Glass que Steve Jobs pour lequel il fut d’abord envisagé. Le tournage de The Revenant fut rude, les problèmes rencontrés par les techniciens et les acteurs servant plus tard à écrire une sorte de légende comme Hollywood les affectionne. Dans la froidure d’une région encore sauvage, contraints par leur propre volonté de faire les choses selon des règles qu’ils s’étaient fixés au préalable, Iñárritu, DiCaprio et les autres ont progressé lentement, faisant à chaque pas de ce tournage une sorte d’histoire dans l’histoire, amenée à servir de socle à l’œuvre terminée afin d’en attester l’authenticité.
À l’écran, rapidement, l’application, voire l’acharnement, se lit dans les yeux de DiCaprio, dans ceux de Tom Hardy ou de Will Poulter. Aux manettes, sans concession, le réalisateur mène ses troupes bille en tête, avec la volonté farouche de traduire, puis de communiquer la douleur permanente des personnages. Cette même souffrance qui rappelle à la vie ces hommes au cœur d’une tempête permanente. On pense alors à Apocalypse Now et à son tournage éprouvant dans la jungle. Ici, le froid remplace la chaleur. De la même façon, quelque part, toujours, gronde la menace. Hier celle des viet-congs, aujourd’hui celle des indiens. À bien des égards, The Revenant entretient d’étroits rapports avec le monument de Francis Ford Coppola. La réflexion quant à la place de l’Amérique dans le monde est quasiment la même. La nature qui sert d’écrin aux luttes sanglantes devient un personnage à part entière, à la fois agresseur et allié. Quand Apocalypse Now étudiait le rôle des États-Unis dans un conflit sordide où chacun était condamné à perdre son innocence, avant, dans la plupart des cas, de perdre la vie tout court, The Revenant revient aux origines de la création du pays. Le fait qu’Alejandro González Iñárritu ne soit pas lui-même américain conférant au film une sorte d’objectivité salvatrice. Hugh Glass étant pour sa part, avec son statut particulier, à la fois américain mais aussi attaché aux valeurs du peuple indien, le pivot central d’une profonde réflexion sur la soif de conquête d’un peuple prêt à tout pour s’approprier des terres défendues becs et ongles par leurs propriétaires légitimes. Le concept de propriété, l’appartenance, la pertinence du combat, étant abordés, sans détour et surtout sans aucun manichéisme, contrairement à ce que certaines voix avancent quant au prétendu traitement injuste infligé aux français. D’où qu’il provienne, l’homme « blanc » se retrouve à la source d’une problématique complexe, ayant bouleversé un équilibre établi depuis des siècles. Tout du long, le personnage de Leonardo DiCaprio cherche la rédemption. La vengeance sera son arme. La mort son alliée.

Afin de nous immerger en permanence, le cinéaste filme ses acteurs au plus près. Quand il s’approche d’un DiCaprio haletant, la buée trouble l’image. L’eau, comme le sang viennent se poser sur l’objectif, comme une manière de nous inclure dans une sauvagerie et de nous placer au centre de l’action. Emmanuel Lubezki, le monumental directeur de la photographie capture quant à lui l’immensité des paysages. Filmé entièrement en lumière naturelle, The Revenant est un film sombre qui célèbre néanmoins la nature. Les visions grandioses remettant régulièrement en perspective la place des hommes dans une grandeur insaisissable, à la fois effrayante et fascinante. Le travail sur l’image est superbe. Le spectacle en devient tétanisant. La poésie pénétrante qui s’extrait de ce déluge de violence et de beauté entremêlées évoque les plus belles heures du cinéma contemplatif de Terrence Malick. Sans un mot, juste par la force des images, The Revenant s’apparente à un long poème d’une tristesse infinie et d’une éloquence rarement égalée. Les plages de tranquillité, qui en disent aussi long que les paroles, mettent de plus en exergue la sauvagerie qui parfois, à intervalles réguliers explose à l’écran, nous soumettant à un éprouvant chapelet d’émotions. L’attaque des indiens initiale donc, la fuite à dos de cheval à travers la steppe enneigée, les duels à mort, la rage aux lèvres, la mort puis la résurrection, et bien sûr la fameuse attaque de l’ours, dont tout le monde parle. Une séquence incroyable, d’un réalisme âpre et d’une puissance franchement paralysante. Une scène somme toute révélatrice de l’émotion que le long-métrage parvient à susciter sans appuyer inutilement ses effets, grâce à une maîtrise parfaite de l’outil cinéma, notamment grâce à une technologie de pointe utilisée comme elle devrait toujours l’être.
Voir DiCaprio et ce gigantesque animal lutter signifie ainsi bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer au premier abord.

The Revenant est un film viscéral. Du genre qui vous prend à la gorge pour ne relâcher son étreinte que longtemps après la projection. La démarche qui le caractérise, tout comme sa capacité à embrasser de nombreuses thématiques, le rapproche des quelques grandes œuvres des années 70. Des films parfois incompris en leur temps, aujourd’hui célébrés pour leur pertinence et pour leur total lâcher-prise devant des choix lourds de sens. De part sa portée politique, également, The Revenant entretient un rapport véritable et quasi-instinctif avec ces fresques, qui jadis (et toujours aujourd’hui) ont illustré leurs discours à grand renfort d’images douloureuses, issues d’un travail d’orfèvre jusqu’au-boutiste. Des films de leur temps, encore d’une cruelle actualité, comme Voyage au Bout de l’Enfer, Apocalypse Now ou pourquoi pas Johnny s’en va-t-en guerre. Avec ce film fleuve en forme de fresque historique, Alejandro González Iñárritu s’inscrit dans un héritage fort. Son engagement, sa capacité à ne jamais faillir, à prendre des décisions pouvant heurter ou déstabiliser le spectateur, qui n’est quoi qu’il en soit jamais caressé dans le sens du poil, lui permettent de livrer un spectacle total et définitif. À toucher une forme d’universalité artistique dont la voix résonne encore et toujours longtemps après que le dernier nom du générique n’ait défilé sur l’écran.

Au centre de cet incroyable maelstrom, les acteurs font un travail admirable. Il serait injuste de limiter la performance de Leonardo DiCaprio aux simples faits rapportés dans les médias. Une performance qui parfois, semble réduite à une succession d’exploits physiques hardcore. Ce serait bien mal connaître le comédien qui fait bien plus que manger un foie de bison cru. Son investissement va bien au-delà de la somme des choses extrêmes qu’il a dû accomplir. Les conditions climatiques ayant agi comme le révélateur d’émotions ici retranscrites avec une authenticité probante. Bouleversant, jamais dans l’excès inutile, DiCaprio est parfait. Il habite l’image. Charismatique au possible, communiquant sa douleur en se faisant l’illustration d’une folie symptomatique des enjeux de toute l’œuvre.
Il serait donc regrettable de ne voir ici qu’un « simple » exploit physique car son engagement va bien au-delà. Il serait tout aussi dommage que cette hallucinante présence (et c’est malheureusement ce qu’il se passe) fasse oublier les autres comédiens. Tom Hardy par exemple, est pourtant lui aussi incroyable de bout en bout, en trappeur habité d’une démence elle aussi parfaite déclinaison d’une partie du discours du long-métrage. Physiquement, émotionnellement, Hardy est monstrueux. Sa voix, qui est celle qui résonne le plus d’ailleurs, se faisant le vecteur vicié d’une soif humaine à la base d’une guerre dont il est lui-même à la fois la victime et le bourreau. À côté, Will Poulter, pour la première fois dans une œuvre aussi violente et cruellement « adulte », impressionne également, tout comme l’excellent Domhnall Gleeson qui semble décidément pouvoir tout faire, sans se départir d’une pertinence de tous les instants. Des acteurs qui prouvent que si il a apporté un soin particulier à l’image, aux mouvements de caméra et à tous les aspects techniques, Alejandro González Iñárritu est aussi un grand directeur d’acteurs. Chose qu’il serait injuste d’oublier tant tout ses précédents longs-métrages s’appuyaient en grande partie sur ses acteurs. Ici, avec les pleins pouvoirs et un budget plus que confortable, il n’oublie pas ce point primordial. C’est aussi pour cela que plus que tout, The Revenant est un formidable film sur l’humanité. Sur sa capacité à survivre pour avancer, mais aussi sur son inlassable soif de richesses, et sur sa propension à faire couler le sang au nom de sa propre évolution.

Chef-d’œuvre galvanisant sans concession, à la limite du fantastique, The Revenant appelle tous les superlatifs du dictionnaire. Authentique expérience de cinéma, partition mystique, il convoque une grandeur rare. Il dégage une poésie fulgurante, d’une puissance franche et radicale. Beau à pleurer, il colle durablement la chair de poule et encourage des émotions pénétrantes et dévastatrices. Une expérience de cinéma totale et définitive.

@ Gilles Rolland

The-Revenant-Leonardo-Di-Caprio  Crédits photos : 20th Century Fox France

Par Gilles Rolland le 24 février 2016

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