[Live Report] Hans Zimmer on tour
Hans Zimmer, compositeur (entre autres) des bandes originales de Rain Man, True Romance, USS Alabama, Le Roi Lion, Gladiator, Inception, The Dark Knight, est en tournée. Une belle surprise pour les cinéphiles qui n’ont que rarement l’occasion de voir et entendre ces artistes cantonnés aux studios d’enregistrement.
Après 30 ans de carrière à Hollywood, Hans Zimmer, 64 ans, a eu envie de faire vivre sa musique en live. Une auto-consécration qui se veut aussi être un cadeau pour les fans. Alors, bonne idée? Ça dépend…
La musique de film est un art ingrat. Hormis les thèmes évidents qui ne constituent bien souvent qu’un dixième du travail d’un compositeur, son objectif est d’accompagner et enrichir les images sans jamais prendre le pas sur l’histoire et l’émotion véhiculée à l’écran. Un bon compositeur serait donc celui qui parvient à fondre sa musique dans le visuel sans en détourner l’attention. Pas étonnant dès lors que la musique de film soit si peu jouée en concert, puisqu’elle même ne peut pas forcément se passer des images pour laquelle elle fut écrite. C’est pourquoi les concerts et festivals qui sont consacrés à ce genre finissent par ressembler à un concert viennois en reprenant, sur le mode best of, les thèmes les plus accessibles et tape-à-l’oreille du cinéma: sauf qu’à juxtaposer Autant en Emporte le Vent, La Guerre des Etoiles, Lawrence d’Arabie, James Bond, Titanic ou Le Seigneur des Anneaux, on aboutit souvent à une sélection grand-public virant à la démagogie auditive, un travers que les mélomanes classiques ne manquent jamais de pointer du doigt, d’autant que la critique avertie a toujours eu tendance à dénigrer ce genre qui, classé en deux catégories: musique de fond ou musique trop démonstrative. Or, depuis que sa carrière a croisé celle des producteurs Jerry Bruckheimer et Don Simpson dans les années 90, Zimmer est critiqué pour verser tour à tour dans ces deux extrêmes. A tort, car si il peut bel et bien être considéré coupable d’avoir uniformisé la musique Hollywoodienne par le biais de ses studios (Media Venture, renommé Remote Control dans les années 2000) et de ses nombreux disciples (Harry Greyson-Williams pour The Rock, Steve Jablonsky pour Tranformers ou The Island, Klaus Badelt pour le premier Pirates des Caraïbes,…) qui ont reproduit son style jusqu’à plus-soif, il a néanmoins su se renouveler et apporter une approche quasi-expérimentale à ses compositions, qu’il a enrichies au gré de ses rencontres avec des musiciens/collaborateurs qui lui restent fidèles: la chanteuse du groupe Dead Can Dance Lisa Gerrard (remarquée sur Gladiator ou encore Mission : Impossible 2), le guitariste Heitor Pereira, et surtout Nick Glennie-Smith, son chef d’orchestre attitré et ami depuis 40 ans.
A ses débuts, Zimmer était critiqué pour son utilisation abusive de synthétiseurs, un « défaut » qu’il a corrigé dès que les productions sur lesquelles il a été employé lui ont permis d’engager un orchestre. Pour autant, le fait qu’il soit autodidacte l’a privé de la reconnaissance de nombreux mélomanes qui estiment qu’un compositeur doit forcément savoir arranger et diriger. Il faut reconnaître qu’en termes d’écriture, il y a un monde entre Zimmer et un John Williams ou un Max Steiner. Mais l’appréciation d’une oeuvre étant avant tout affaire de plaisir et de ressenti, la supériorité académique de ces deux illustres compositeurs ne signifie pas qu’il faille snober pour autant le travail de Zimmer, qui sait se montrer inspiré, efficace, sachant susciter l’émotion (parfois aux forceps) et jouant de plus en plus la carte du concept minimaliste dans son articulation harmonique, rythmique et harmonique (surtout dans ses collaborations avec Christopher Nolan).
Les titres sélectionnés pour le concert traduisent d’ailleurs bien cette évolution stylistique. Des envolées mélodiques de Miss Daisy et son Chauffeur ou Le Roi Lion, à Inception et The Dark Knight, la musique de Zimmer est devenue de plus en plus affaire de sound design, d’ambiance et d’ostinatos. Ce qui prouve que le sexagénaire n’a pas dit son dernier mot et continuera à se renouveler, quitte à continuer à se mettre à dos une partie de la critique. Car pour le public présent dans la salle, les titres les plus récents et les plus conceptuels semblaient constituer l’attrait principal de la soirée.
Sur scène, près de 70 musiciens et choristes assurent le spectacle. Car c’est de ça qu’il s’agit, et les jeux de lumières sur scènes enfoncent le clou. Hans Zimmer semble d’ailleurs s’amuser comme un fou, passant du piano au synthé, de la guitare au banjo, et s’en va même taper les timbales à l’occasion. La complicité avec le groupe est évidente et lors des nombreuses anecdotes qu’il raconte entre chaque pièce, il ne rate jamais une occasion de mettre son groupe en avant. « Groupe » et non pas « orchestre » car malgré la présence d’un ensemble e cordes, d’une petite section de de cuivres et d’un chœur, ce sont les percussions (batterie en tête), guitares, basses et solistes de violons au look de popstar qui monopolisent l’attention. Une approche très pop/rock qui manque à plusieurs reprises de faire sombrer certains morceaux dans le kitsch le plus total: sortez le thème des Pirates des Caraïbes de son contexte filmique, ajoutez-y de la batterie pour bien marquer la rythmique et laissez plus de 2000 spectateurs taper des mains pour marquer le tempo, et vous verrez qu’André Rieux n’est pas loin. Là réside la différence entre un véritable concert pour un véritable orchestre dans une salle adaptée, et ce genre de « symphonic show » plus « pop » dans l’esprit.
La sélection de morceaux fait la par belle aux décibels, et sitôt que la musique prend le temps de respirer (Rain Man, le xylophone de True Romance, la transe de La Ligne Rouge), une partie du public se dissipe, ceux qui ne sont venus que pour entendre Inception et The Dark Knight et qui s’ennuient ferme dès que le groupe démarre un morceau qu’ils ne connaissent plus (NDR : je prends un coup de vieux en réalisant que les jeunes fans des films de Nolan n’ont peut-être jamais vu Miss Daisy et son Chauffeur ou même Rain Man !). L’ordre des morceaux ne laissent d’ailleurs aucune place au doute : Miss Daisy et True Romance sont utilisés ici comme de simples introductions pour les deux parties de la soirée et on finit sur Inception. Or, on peut penser qu’un film est génial ; ça ne veut pas dire que sa musique l’est. Elle fonctionne parfaitement à l’écran et son écriture colle admirablement au scénario (l’idée d’utiliser des extraits ralentis à l’extrême de la chanson de Piaf pour faire écho aux niveaux de conscience et de temporalité à l’image) mais en concert, que reste-t-il? une lancinante montée et descente en volume sur quatre accords. Un schéma que l’on retrouve systématiquement dans la seconde moitié du spectacle (Interstellar, Man of Steel ou Electro tiré de The Amazing Spider-Man 2) et qui ne s’avère qu’à moitié convaincant si vous étiez venu écouter de la musique, par opposition à « assister à un spectacle ».
En revanche, difficile de ne pas être enthousiasmé durant la première partie constituée de morceaux plus « écrits ». Dommage que Zimmer n’ait pas osé proposer des musiques pour des films « oubliés » du grand-public comme Green Card, À propos d’Henry, Thelma et Louise, voire même Jour de Tonnerre ou Backdraft qui fut le baptême du feu (premier jeu de mot) du style pompier (deuxième…) qu’il contribuera à propager comme un feu de brousse (et de trois!) dans le cinéma d’action Américain des années 90. Il n’empêche que les bons vieux Le Roi Lion et Gladiator constituent les meilleurs moments des 2h30 du show, car en effectuant un medley des différents thèmes et scènes-clés des films en question, la musique retient une qualité narrative qui fait défaut aux motifs répétitifs et « ambiant »de The Dark Knight, Inception, The Amazing Spider-Man 2 et Interstellar.
Gladiator et Le Roi Lion nous font voyager dans l’univers visuel que l’on connait, mais nous ramène aussi une vingtaine d’années en arrière. L’appréciation d’un artiste provient aussi de l’histoire et de la relation que l’on entretient avec lui. Finir le concert sur les pièces les plus récentes va donc à l’encontre de la logique habituelle des concerts « pop ». Il aurait peut-être été judicieux d’inverser le programme des deux parties?
Il reste que les occasions de voir un compositeur de musique de film sur scène sont trop rares pour manquer celle-ci si il reste encore des billets dans une ville proche de chez vous (une dizaine dates en France à partir de la fin mai), tout en se demandant tout de même à qui s’adresse une telle tournée ? Les fans du compositeur ? Les cinéphiles du samedi soir ? Les cinéphiles ? Certainement pas les mélomanes le plus conservateurs en tout cas, comme le confirment les critiques parus de ci de là dans la presse consacrée à la musique classique ! D’ailleurs, si cette chronique semble un peu souffler le chaud et le froid, il faut citer plusieurs moments forts de la soirée : tout d’abord la présence sur scène du chanteur sud-africain Lebo M, dont la voix résonnera à jamais sur le lever de soleil ô combien iconique des premières images du Roi Lion. Oubliez les compositions « faciles » d’Elton John, elles ne seraient rien sans les arrangements de Lebo M et Hans Zimmer (et Mark Mancina) et ils nous le rappellent ici. Ensuite, il y a cette évocation émouvante des victimes de la fusillade dans le cinéma d’Aurora dans le Colorado lors d’une projection du film The Dark Knight Rises le jour de sa sortie. Zimmer n’oublie pas. Nous non plus. La musique et le cinéma doivent être synonymes de « rêves » et non pas de « cauchemars » comme ce tragique événement. Et quoi que l’on puisse penser des talents objectifs de compositeurs de Monsieur Zimmer, son évidente peine de voir son oeuvre mêlée à une telle tragédie prouve s’il le fallait encore que derrière l’apparente froideur mécanique de certains morceaux, se cache l’âme d’un véritable artiste.
@ Jérôme Muslewski