[Critique] IL EST DIFFICILE D’ÊTRE UN DIEU
Présenté à L’Étrange Festival 2014
Titre original : Trudno byt bogom
Rating:
Origine : Russie
Réalisateur : Alexeï Guerman
Distribution : Leonid Yarmolnik…
Genre : Science-Fiction
Date de sortie : 11 février 2015
Le Pitch :
Des scientifiques terriens observent via une équipe de chercheurs dépêchée sur place, l’évolution d’une planète et de son peuple restés bloqués à l’âge médiéval. Éprouvés par le climat difficile et les mœurs sauvages des habitants, l’équipe est mise à rude épreuve dans ce monde sans pitié…
La Critique :
Comment vous parler de quelque chose que je ne suis absolument pas en mesure de pouvoir décrire avec des mots…
Vous avez lu Voyage au bout de la nuit ? Vous vous rappelez du passage en Afrique ? Céline arrive à y décrire avec de simples mots une atmosphère si oppressante et poisseuse qu’elle finit par vous coller à la peau et vous mettre mal à l’aise…littéralement parlant.
Si Céline était un génie de l’écriture, Alexeï Guerman était lui un génie du cinéma, et ce n’est certainement sa dernière œuvre posthume qui fera mentir cet état de fait. Mais avant de parler du film à proprement parlé un petit retour en arrière sur la genèse de la pellicule s’impose.
Il est difficile d’être un dieu est à la base un très célèbre roman de science-fiction russe signé par les frères Strougatski en 1964. Intéressé assez tôt par l’adaptation de cette œuvre, Guerman a préféré à l’époque, laisser « dormir » le projet, lorsqu’il a constaté que les autorités de « validation » compétentes russes voulaient lui imposer des scènes afin qu’ils valident le projet du film. Le réalisateur a donc attendu jusqu’en l’an 2000 pour réunir les financements et entreprendre le film comme il imaginait le faire presque 20 ans auparavant.
Le tournage a duré neuf ans, la post prod a quant à elle duré jusqu’en 2013, et Alexeï Guerman n’a finalement pas vu son œuvre terminée puisque c’est son fils qui termina le projet à la place de son père. Il est difficile d’être un dieu aura donc demandé beaucoup à ses participants, l’ambition affichée par la puissance du roman étant à la hauteur de la force des images.
Tourné en noir et blanc (« Car les souvenirs n’ont pas de couleurs » disait Guerman), s’étalant sur près de trois heures, et indiscutablement unique en son genre, Il est difficile d’être un dieu aura réussi à faire partir plusieurs dizaines de spectateurs au fil de la séance. Si provoquer ce type de réaction n’est pas forcément quelque chose de négatif, ce n’est en tout cas jamais un phénomène anodin. Nous sommes en effet ici face à un film exigeant, immersif et profondément dérangeant. Il faut non seulement pouvoir supporter le malaise naissant des images, mais aussi se repérer dans un opaque labyrinthe narratif où on se retrouve souvent complétement perdu, égaré dans les oubliettes des dialogues étranges des héros du film.
Vous vous rappelez quand je parlais de Céline et sa capacité à pouvoir faire éprouver des sensations physiques grâce à ses mots ? Ici dès les premières secondes du film, on se retrouve dans une histoire transpirant la crasse, la pourriture et le malaise. Avec cette pluie et cette humidité poisseuse qui ne cesse de macérer, on croupi littéralement avec les personnages dans la boue opaque d’une époque de barbares ignares et violents.
Tantôt gangrénée par la haine viscérale des intellectuels de ce monde ou complétement égarée dans les codes étranges de leurs communications archaïques, la population s’évertue à essayer de se réchauffer auprès de feux sans vie qui semblent les pourrir encore davantage de l’intérieur en les stigmatisant à grands renforts de pustules purulentes et grossières. Cela ne vous apparait pas joli – joli comme décor ? Ça vous parait déliquescent ? Poisseux et putride ? Eh bien voila, vous vous approchez de plus en plus…mais nous n’y sommes pas encore tout à fait.
Car me laisser uniquement aller dans mes délires poetico-morbides pourraient me faire oublier de vous parler de l’incroyable travail technique autour du film. Si il n’est en effet pas évident de pouvoir capter de manière simple ce qui se passe à l’écran (le noir et blanc rajoute à la dureté du décor, coincé quelque part entre le fer et le bois) on comprend vite que tout à été pensé de manière chirurgicale, que les deux chefs opérateurs qui se sont succédé ont du s’arracher les cheveux plus d’une fois et que les nombreux dénivelés dans l’histoire du film sont autant de métaphores que d’images stylisées. Pas évident à suivre car politique à plus d’un titre Il est difficile d’être un dieu se paye le luxe de fasciner autant que de rebuter. Colossal dans le travail qu’il a exigé, ambitieux dans son idée et incroyable au final, Il est difficile d’être un dieu est de ces rares film à se distinguer des autres films, son onirisme paradoxalement si terre à terre semblant par moment comme évanescent et irréel. De l’art sur grand écran.
@ Pamalach
Crédits photos : Capricci Films