[Critique série] BLOODLINE – Saison 2
Titre original : Bloodline
Rating:
Origine : États-Unis
Créateurs : Todd A. Kessler, Glenn Kessler, Daniel Zelman
Réalisateurs : Ed Bianchi, Michael Morris, Jean de Segonzac, Daniel Zelman, Dennie Gordon, Stephen Williams, Todd A. Kessler, Mikael Håfström.
Distribution : Kyle Chandler, Linda Cardellini, Ben Mendelsohn, Norbert Leo Butz, Jacinda Barrett, Jamie McShane, Enrique Murciano, Sissy Spacek, Sam Shepard, Andrea Riseborough, John Leguizamo, Chloë Sevigny, Steven Pasquale, Beau Bridges…
Genre : Thriller/Drame
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 10
Le Pitch :
L’arrivée de Nolan, le fils de Danny dont tout le monde ignorait l’existence, chamboule un peu plus l’existence des enfants Rayburn. Alors que John tente coûte que coûte de maintenir sa vie à flot après la mort de son frère, Meg essaye pour sa part, grâce à son nouveau travail à New York, de s’éloigner des siens. Pour Kevin, c’est la débâcle. Criblé de dettes, il entretient de plus une puissante addiction à l’alcool et aux drogues, qui le pousse à se mettre dans des situations de plus en plus inextricables…
La Critique :
Conçue par les mêmes créateurs que la série Damages, Bloodline se base d’ailleurs elle aussi sur une structure similaire, généreuse en flash-back. Un show qui revient sur le devant de la scène après le cliffhanger hyper tendu de la première et excellente saison, mais qui doit aussi se frotter à toutes les difficultés inhérentes aux seconds actes, dont l’objectif principal est non seulement de ne pas décevoir les fans, mais aussi d’aller si possible encore plus loin sans en faire des caisses. Une saison 2 qui allait devoir gérer la disparition du personnage incarné par le monumental Ben Mendelsohn, justement au centre d’une dynamique qui allait bien avoir du mal à se passer lui. Un acteur d’ailleurs annoncé au casting. Mystère… Enfin presque tant il était évident que Mendelsohn allait apparaître au fil de ces fameux flash-backs qui contribuent à l’identité de cette production Netflix des plus ambitieuses. Et en effet, même si il est moins présent, Danny Rayburn, le vilain petit canard de cette famille en apparence normale mais en réalité complètement bousillée, est de la partie. Ainsi, Bloodline peut continuer à raconter son histoire en centrant son récit sur l’arrivée du fils caché de Danny et de la mère de ce dernier, sans se priver de l’apport considérable d’un acteur aussi investi que Mendelsohn. À l’écran, sans forcer, la série rivalise de malice et de saine roublardise, en continuant donc à orchestrer la descente aux enfers d’une dynastie en proie à des problèmes de plus en plus inextricables. Le résultat force à nouveau le respect, et ce sur tous les plans.
Bloodline, c’est avant tout une ambiance unique. Loin du Miami festif et clinquant, à quelques encablures de là, dans les idylliques Keys, la série est aussi sombre que le paysage qui lui sert de toile de fond est lumineux. Plus encore que précédemment, où les nuages commençaient à s’amonceler au-dessus des personnages tandis que l’un des leurs mettait le feu au poudre et transformait petit à petit, sans parfois forcément le vouloir, le paradis en enfer, cette nouvelle salve d’épisodes (plus courte, avec 10 épisodes au lieu de 13) voit de nouveaux intervenants incarner les conséquences de l’acte fatal de John Rayburn, le personnage joué par Kyle Chandler. John donc, qui se retrouve à devoir naviguer en eaux troubles alors que des vagues de plus en plus puissantes viennent mettre à mal son embarcation. Plus courte, cette saison adopte un rythme plus soutenu et joue moins sur le suspense inhérent à des questions savamment distillées pour entretenir le mystère. On sait désormais pourquoi les choses en sont arrivées-là. L’histoire des Rayburn est connue. Il fallait donc trouver autre chose. Se renouveler sans pour autant renier entièrement les mécanismes qui font de la série ce qu’elle est. Quelque chose que les showrunners accomplissent brillamment, tant on replonge immédiatement dans le bain sans devoir subir les pièges pourtant tentants de la redite confortable. Bloodline garde bien quelques cartes sous le coude et joue sur des interrogations dont les réponses ne sont pas dévoilées tout de suite, mais ici, c’est surtout l’efficacité qui prime. Impitoyable, le scénario s’apparente à une montée en puissance hyper prenante durant laquelle l’étau se resserre sans cesse sur la famille Rayburn. Le plus fort étant que tous les arcs narratifs, liés d’une façon ou d’une autre, sont aussi passionnants les uns que les autres. Dans le paysage actuel des séries, Bloodline est sans contexte l’une de celles qui font preuve d’une écriture non seulement tendue, mais aussi et surtout parfaitement pertinente au vue de ses enjeux et complètement maîtrisée. Il n’y a rien à jeter. Pas d’humour farfelu qui vient tout casser non plus. On se concentre sur l’essentiel et on va au bout des idées. Même quand on pense que sur certains points, la série va dans le mur, comme avec l’arrivée sur l’échiquier de John Leguizamo, dont on ne sait pas trop où se situent les motivations, le show parvient à nous surprendre dans le bon sens. Alors oui, certes, cette nouvelle saison met un petit peu de temps à démarrer, mais on comprend que c’est pour la bonne cause, car une fois que le train a atteint sa vitesse de croisière, il ne s’arrête plus. Toujours dans une démarche qui évoque Damages, les scénaristes font évoluer leur tragédie familiale par palliers, en descendant toujours d’un étage. Au risque peut-être un jour de justement tomber dans l’excès qu’ils évitent ici… Mais ça, seul l’avenir nous le dira.
Petit chef-d’œuvre d’écriture, gorgé d’émotions face auxquelles il est difficile de rester insensible, Bloodline est aussi une grand série d’acteurs. On ne louera jamais assez les mérites de Ben Mendelsohn, nous l’avons assez dit, mais aussi de Kyle Chandler, une force tranquille qui peu à peu menace d’exploser, de la formidable Linda Cardellini, qui de rôle en rôle (si on fait exception de son personnage un peu inutile chez Marvel), depuis ses débuts dans Freaks & Geeks impose une acuité somme toute exceptionnelle, de Sissy Spacek, parfaite comme toujours, ou encore du méconnu Norbert Leo Butz, dont le rôle prend encore plus d’envergure, lui laissant les coudées libres pour s’exprimer avec une éloquence et un sens de la mesure qui forcent le respect. À cette belle brochette s’ajoutent le jeune Owen Teague, Andrea Riseborough, qui fait une entrée fracassante, et John Leguizamo, l’un des seconds couteaux les plus solides du cinéma américain. Sans oublier bien sûr Chloë Sevigny, et Jamie McShane, lui aussi à la fête, avec une implication accentuée.
Fresque familiale tortueuse, Bloodline est l’antithèse crépusculaire de toutes ces sagas que les chaînes nous refilent tous les étés au fil de rediffusions abusives. Ici, on ne rigole pas et on ne brosse pas le public dans le sens du poil. À mi-chemin entre un certain esprit old school et une vraie volonté d’amener plus loin des codes connus et établis, cette série surprend par son jusqu’au-boutisme et par sa capacité à ne jamais sombrer dans l’excès, quand bien même les coups de théâtre s’enchaînent. Elle sonde l’âme humaine, traite de l’amour, de l’amitié et du poids que peuvent exercer sur une famille, les actes des aînés. Elle nous cause des liens du sang, mais également d’ambition et de cet instinct de survie qui parfois, peut faire basculer du côté obscur. Dans le genre, vous pouvez chercher, on ne fait guère mieux.
@ Gilles Rolland