[Critique série] HAPPY VALLEY – Saison 1
Titre original : Happy Valley
Rating:
Origine : Grande-Bretagne
Créatrice : Sally Wainwright
Réalisateurs : Euros Lyn, Sally Wainwright, Tim Fywell.
Distribution : Sarah Lancashire, Siobhan Finneran, James Norton, Charlie Murphy, George Costigan, Joe Armstrong…
Genre : Drame/Thriller
Diffusion en France : Canal +/Netflix
Nombre d’épisodes : 6
Le Pitch :
Dans le West Yorkshire en Angleterre, le sergent Catherine Cawood tente de faire respecter la loi, en pourchassant notamment les nombreux dealers qui ont fait de cette région, l’une des plaques tournantes d’un trafic croissant. Catherine qui apprend un jour que Tommy Lee Royce, l’homme qui a violé sa fille, provoquant le suicide de cette dernière, vient de sortir de prison. Obsédée à l’idée de punir celui qui a plongé son existence dans un marasme de colère et de tristesse, elle décide de le pister, sans se douter que de son côté, le criminel s’est impliqué dans une affaire d’enlèvement…
La Critique :
Les américains ont HBO. Les anglais eux, ont la BBC. Dans les deux cas, la qualité est au rendez-vous, tout comme l’assurance de voir régulièrement débouler des fictions de haut-vol. Dans la perfide Albion, les pépites se succèdent depuis longtemps dans le poste. Les exemples sont légion et Happy Valley, dont le premier épisode fut diffusé là-bas en avril 2014 de s’inscrire non seulement dans une noble tradition, mais aussi dans la lignée de ces œuvres capables de transcender leur sujet sans donner l’impression d’en faire des tonnes.
À la base d’Happy Valley, aucun concept vraiment accrocheur ni aucune star. Contrairement au hit Broadchurch, dont Happy Valley se rapproche sur certains points, et qui pouvait compter sur David Tennant, le Docteur le plus populaire de l’Histoire des séries, le show en 6 épisodes de Sally Wainwright repose notamment sur le charisme d’une actrice certes connue outre-Manche, mais pas non plus extrêmement populaire. Sarah Lancashire, c’est son nom, étant surtout appréciée pour avoir tenu l’un des premiers rôles du soap Coronation Street.
Visuellement, Happy Valley ne mise pas non plus sur du spectaculaire et prend pied dans une bourgade moite et morne d’une Angleterre qui semble s’être figée depuis l’après-guerre. Mais alors, qu’est-ce qui fait de cette série, l’une des meilleures de récente mémoire ? C’est simple : tout.
La discrétion avec laquelle Happy Valley a imposé son génie, sa puissance et sa propension à chambouler de nombreux codes sont à la base de son succès. Dès les premières minutes, elle sait alors se montrer fortement addictive, allant jusqu’à ne pas lâcher son emprise avant le tout dernier plan du sixième et ultime épisode de cette première saison remarquable.
Sarah Lancashire n’est bien sûr pas étrangère au magnétisme de cette fiction exemplaire. Armée d’un charisme indéniable, elle fait montre d’une présence dont peu peuvent se vanter et contribue à conférer à la série une large part de sa personnalité. Son personnage, Catherine, n’est pas un flic comme les autres. C’est un bon flic mais un flic torturé par un passé sombre. Jusqu’ici, rien de bien nouveau mais comme souvent quand on parle d’œuvres misant sur l’écriture plutôt que sur un sensationnalisme facile, c’est le traitement qui fait toute la différence. Sally Wainwright ayant tout misé sur un réalisme âpre. Que ce soit au niveau de l’écriture donc, mais aussi de la réalisation. Son héroïne est ainsi extrêmement stimulante en cela qu’elle incarne une résistance à double tranchant et appelle très vite à une identification persistante. Qu’on la suive sur le terrain, face à des criminels qu’elle mate avec une vigueur incroyable, ou dans le privé, quand elle tente de maintenir à flot une existence dont les fondations ont été mises à mal par un drame qui ne cesse de faire résonner son écho, le parcours de Catherine Cawood est passionnant. À elle toute seule, Sarah Lancashire se fait le vecteur d’une émotion palpable, à fleur de peau. Son personnage d’écorchée vive, personnifie une persistance ahurissante, et donne au script, déjà exceptionnel, une résonance tout aussi spectaculaire. Surtout qu’à côté, les autres comédiens n’ont de leçon à recevoir de personne. Les collègues, les membres de la famille et ce bad guy, le fameux Tommy Lee Royce, campé par un James Norton glaçant, dont l’ascension au fil des 6 épisodes marque de manière croissante les esprits jusqu’à incarner un mal insidieux, mais aussi beaucoup moins unilatéral que parfois.
Contrairement à Broadchurch, qui, dans ces deux saisons, mise sur le mystère quant à l’identité du tueur ou encore quant à la véritable nature des protagonistes, Happy Valley donne toutes les clés au spectateur. Un peu comme dans Columbo, on sait qui a fait quoi, comment et pourquoi. Un stratagème que Sally Wainwright (qui non contente de produire et de porter la série, l’a aussi écrite dans son intégralité) s’approprie pour livrer au final un pur polar, mais aussi un authentique drame humain, aux répercutions éloquentes.
Vous l’aurez compris, Happy Valley n’illustre pas juste une enquête. L’enquête, d’ailleurs, est presque secondaire, tant qu’elle ne vient pas croiser les propres velléités du personnage central, dont le déchirement, entre rester du bon côté de la loi et céder à ses pulsions de vengeance, constitue le vrai centre névralgique d’une narration reposant sur un mécanique aussi bien huilé que redoutable.
Aucun accro ne vient ralentir la progression d’une histoire superbement ficelée, à la fois émouvante, puissante, violente et toujours très réaliste. Happy Valley, dont le titre sonne avec une délicieuse ironie, gagne ses galons par la seule force de sa sincérité et de sa capacité à faire du neuf avec du vieux. Elle mise sur les anciens codes sans se soucier des courants et des modes. À l’image de cette région, comme indiquée plus haut, un peu hors du temps, elle s’appuie sur une dynamique connue qu’elle adapte à ses personnages.
Le format, 6 épisodes d’1 heure, est aussi parfaitement maîtrisé et pertinent. Le rythme est impeccablement calibré. On ne s’ennuie jamais, que ce soit quand le script tente avec brio les rebondissements, sans jamais faire de sortie de route, où lorsqu’il suit le quotidien chaotique de Catherine Cawood. C’est franchement brillant, d’autant plus quand la réalisation met ses fameux coups d’accélérateur, sans perdre de son vue son objectif, ni l’émotion qui imprime chaque image. Même le générique, composé par Jake Bugg, le petit prince de la pop à l’anglaise, fait office de modèle du genre, tout en décalage, comme une façon de rappeler que sous son sérieux apparent, Happy Valley ne renie pas pour autant un héritage qu’elle sait utiliser à ses propres fins.
En Bref…
Merveille de narration, la première saison de Happy Valley fait preuve d’une incroyable maîtrise. Devant la caméra, la révélation Sarah Lancashire impose un personnage puissant, tandis que se déroule sous nos yeux une trame palpitante et déchirante à plus d’un titre. Un must !
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Canal +/BBC One