[Critique série] THE DEUCE – Saison 1
Titre original : The Deuce
Rating:
Origine : États-Unis
Créateurs : David Simon, George Pelecanos
Réalisateurs : Michelle MacLaren, Ernest Dickerson, James Franco, Alex Hall, Uta Briesewitz, Roxann Dawson, James Franco.
Distribution : James Franco, Maggie Gyllenhaal, Chris Bauer, Gbenga Akinnagbe, Gary Carr, Dominique Fishback, Lawrence Gilliard Jr., Margarita Levieva, Emily Meade, Michael Rispoli, Zoe Kazan, Ralph Macchio…
Genre : Drame
Diffusion en France : OCS
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
À New York, au niveau de Times Square, au début des années 70, la prostitution est partout. Vincent Martino, un tenancier de bar, tente tant bien que mal de faire son trou dans cette cour des miracles, en frayant avec la mafia locale, tandis que Frankie, son frère jumeau, est quand à lui toujours à l’affût de la moindre occasion de se faire de l’argent. Dans la rue, Candy, une prostituée indépendante, assiste à la valse scabreuse des macs qui gèrent, parfois avec violence, leur commerce illicite. Candy qui ne va pas tarder à jouer un rôle dans l’émergence de la pornographie, qui sort de l’illégalité pour peu à peu s’imposer dans les sex shops et autres cinémas de quartiers. Non loin de là, une étudiante un peu paumée se prépare à faire son entrée dans ce monde à part, bien décidée à ne pas se laisser marcher sur les pieds…
La Critique de la saison 1 de The Deuce :
Le romancier américain George Pelecanos a commencé à travailler avec David Simon sur la série The Wire (Sur écoute en version française), qui pour sa part, était déjà une pointure en passe de devenir l’un des géants de la télévision. The Wire qui constitue bien sûr une date dans l’histoire du poste, au même titre que des œuvres comme Les Soprano ou plus tard, Breaking Bad. Ensuite, les deux hommes ont collaboré sur Treme, une autre série acclamée, avant de revenir avec la création originale The Deuce. The Deuce qui porte donc sur l’émergence de la pornographie dans le New York des 70’s, alors que celui-ci est gangrené par la prostitution, le trafic de drogue et la violence inhérentes à toutes les activités d’une mafia omniprésente. Un sujet en or pour le duo, qui, encore une fois, a donné naissance à une fresque hyper ambitieuse, formellement stupéfiante, magnifiquement incarnée et forcément totalement incontournable…
Back To The New York Groove
L’année dernière, en 2016 donc, Martin Scorsese déboulait sur HBO avec Vinyl, une série elle aussi très ambitieuse, axée sur l’industrie du disque dans le New York des années 70, avec Bobby Cannavale, Olivia Wilde et Juno Temple. Une merveille totale qui malheureusement, n’a pas dépassé le stade de la saison 1… The Deuce, pour plusieurs raisons, et pas seulement parce que l’époque visée est à peu près la même et que l’action se déroule à New York, a d’emblée fait office de bonne nouvelle pour les frustrés que nous fumes de l’arrêt de Vinyl. The Deuce qui a déjà été renouvelée pour une saison 2. Ce qui est bien entendu une très bonne chose tant la première saison appelle forcément une suite, même si, en l’état, avec sa fin en forme de points de suspension, ce premier acte constitue à l’instar de la saison 1 de Vinyl, une sorte de grand film super immersif. Un chef-d’œuvre à classer de toute urgence parmi les plus flamboyantes réussites de la télévision américaine, tous genres confondus.
C’est dans un New York 70’s incroyablement reconstitué, sur la 42ème rue, à Times Square et dans les coins sombres adjacents, que nous immerge The Deuce. Une reconstitution dont la qualité saute aux yeux dès les premières minutes. Le générique à lui seul est une réussite d’ailleurs, tant il se pose comme une sorte de mise à bouche quant à tout ce qui va suivre. Portée par un soucis du détail assez dingue, la série ne se la joue pas pour autant blockbuster et s’attache tout aussi rapidement à ses personnages, qu’elle fait se croiser et s’entrecroiser dans les bâtiments délabrés éclairés par les néons de Times Square qui n’est alors pas encore l’épicentre de la Grosse Pomme touristique comme nous le connaissons aujourd’hui. Le pilote de The Deuce n’y va pas par quatre chemins et prouve une volonté de ne rien cacher de la prostitution et du caractère très glauque de cette industrie sordide. Rarement une série ne s’est d’ailleurs montrée aussi frontale. Visiblement boosté par une concurrence de plus en plus féroce, HBO a tenu à frapper un grand coup et à redorer son blason, donnant les coudées libres à David Simon et George Pelecanos pour faire les choses comme ils l’entendaient sans se brider d’aucune sorte. Bien sûr, le résultat peut choquer car ici, rien n’est glamour. The Deuce met les deux pieds dans la fange et nous oblige parfois à regarder certaines vérités en face.
Sans filtre
Il n’est pas surprenant, avec une équipe pareille aux commandes, que The Deuce soit également une grande série d’acteurs. Tous sont absolument irréprochables tant ils tirent parti de leurs personnages pour nous gratifier de performances mémorables, en nourrissant la dramaturgie de cette tragédie moderne qui trouve en notre époque de multiples répercutions. Néanmoins, certains parviennent à se détacher du lot. James Franco tout d’abord, pour la simple et bonne raison qu’il interprète deux rôles. Deux frères jumeaux aussi différents que d’une certaine façon complémentaires au vue des ambitions du récit. Franco (qui réalise un épisode) qui parvient à véritablement séparer Vincent et Frankie, jouissant d’effets-spéciaux aussi discrets que bluffants, parfaitement au service de la dynamique et de l’histoire. Maggie Gyllenhall aussi brille de mille feux dans la peau d’une prostituée désireuse de se sortir de la rue et qui va donc profiter de la légalisation du porno pour participer à cette industrie de plus en plus lucrative. Une comédienne, également à la production, comme James Franco, qui trouve peut-être le rôle de sa vie. Parfaitement investie, charismatique, touchante, troublante, à fleur de peau, elle est incroyable. Il n’y a pas d’autres mots. À noter les remarquables interprétations d’Emily Meade, de Dominique Fishback, de Chris Bauer, de Gbenga Akinnagbe, de Gary Carr et de Michael Rispoli, pour ne citer qu’eux. Sans oublier la solaire et magnétique Margarita Levieva, qui se révèle en incarnant à elle seule les aspirations de toute une génération, encore déboussolée par la fin du Summer Of Love et désireuse de jouer un rôle dans la construction de ce nouveau monde tant rêvé, à partir des bas-fonds d’une société qui s’accroche à ses vieux schémas archaïques malgré les dommages collatéraux.
Boulevard Of Broken Dreams
The Deuce raconte beaucoup de choses. Elle joue simultanément sur plusieurs tableaux et jongle avec les thématiques autant qu’avec les codes. Les amateurs de films de mafia s’y retrouveront, les liens avec The Wire sont nombreux, c’est souvent glauque mais aussi parfois plus léger (parfois seulement) et jamais le scénario ne se repose sur ses acquis, y compris quand la série aurait pu s’essouffler, à mi-parcours, puisque ce n’est jamais le cas.
Cela dit, The Deuce apparaît surtout comme une grande série sur les femmes. Sur la place de la femme dans la société exactement. Ici, si on fait exception du personnage joué par James Franco, le dénommé Vincent Martino, qui se refuse à prendre part au commerce de la prostitution ou de la pornographie, tout en en dépendant d’une certaine façon, et de quelques autres, tous les hommes se reposent sur le travail de femmes exploitées pour leurs corps. Des femmes bafouées, dont l’innocence est sacrifiée sur l’autel du profit. Les prostituées mais pas que, puisque David Simon et George Pelecanos ont aussi à cœur de traiter du combat que mènent d’autres femmes pour amorcer un changement. Le tout sans démagogie, c’est important de le souligner. Des personnages comme la reporter jouée par Natalie Paul, dont le travail est sans cesse bousculé par une hiérarchie peu encline à jouer un rôle dans un bouleversement majeur, comme l’étudiante interprétée par Margarita Levieva, qui observe tout en déplorant les inégalités et en se posant comme la principale représentante d’une indépendance et d’un désir d’émancipation, mais aussi comme Candy, alias Maggie Gyllenhall, qui prend le taureau par les cornes pour imposer sa voix dans un milieu très masculin bien que bâti par des femmes.
Rarement de telles questions ont été aussi bien traitées, avec puissance, éloquence et mesure. Que ce soit au cinéma ou à la télévision. Et c’est là qu’on reconnaît aussi la formidable plume des auteurs. Dans cette capacité à traiter de sujets sensibles, en véhiculant un vrai message, en évoluant de manière réaliste au sein de plusieurs nuances de gris, sans faire d’excès. Non vraiment, The Deuce a frappé un grand coup. À tous les niveaux
En Bref…
Classique instantané de la télévision américaine, The Deuce joue magnifiquement sur plusieurs tableaux et ne cesse d’impressionner par sa pertinence. Un tour de force narratif et technique, qui ne prend aucun détour, traitant avec finesse et intelligence de sujets sensibles. Une première saison exemplaire sur tous les plans, qui s’impose sans mal comme LA (nouvelle) grande série de 2017 et qui permet en plus à HBO de renouer avec l’excellence de ses plus marquants faits de gloire passés.
@ Gilles Rolland