[Critique série] THE KNICK – Saison 1
Titre original : The Knick
Rating:
Origine : États-Unis
Créée par : Jack Amiel, Michael Begler
Réalisateur : Steven Soderbergh
Distribution : Clive Owen, Andre Holland, Jeremy Bobb, Juliet Rylance, Eve Hewson, Michael Angarano, Cara Seymour, David Fierro, Mat Frewer, Chris Sullivan…
Genre : Drame
Diffusion France : OCS
Nombre d’épisodes : 10
Le Pitch :
À l’hôpital Knickerbocker de New York, au début du XXème siècle, les médecins et les infirmières se débattent pour enrayer un taux de mortalité de plus en plus important. Parmi eux, le Docteur John Thackery, qui vient d’être nommé à la tête du service de chirurgie, cherche à repousser les limites de la science, tout en gérant tant bien que mal, une importante addiction à la cocaïne. Le Docteur Algernon Edwards, fraîchement revenu d’Europe, tente quant à lui à s’imposer grâce à ses compétences et à sa persévérance, dans un service et une société qui acceptent mal sa couleur de peau…
La Critique :
Du Jeune Docteur Kildare à l’incontournable Urgences, en passant par Docteur Quinn, M.A.S.H., Hopital Central ou Scrubs et Grey’s Anatomy, les séries médicales ont toujours eu la côte. Aux États-Unis, en France et partout ailleurs, les audiences sont généralement très bonnes et les docteurs et autres infirmières d’être devenus au fil des décennies tout aussi bien des sortes de super-héros du quotidien, que des sex symbols aptes à déclencher de furieuses frénésies hormonales. Sans parler des nombreuses vocations qu’on pu susciter certains de ces shows médicaux, comme en attestent l’incroyable recrudescence des inscriptions en fac de médecine au plus fort de la « Urgences mania » et du culte voué au Docteur Doug Ross. Plus qu’une mode, la série médicale est un genre à part entière. Un mouvement populaire, sans cesse renouvelé, et prompt à des œuvres naviguant tour à à tour entre le drame et la comédie, car jouant sur le caractère universel et fédérateur des thèmes soulevés.
Dernière née en date, The Knick appartient incontestablement au courant dramatique du genre. En prenant pied dans l’Amérique du tout début du XXème siècle, la série clame haut et fort ses intentions, à savoir traiter à la fois des bouleversements qui agitèrent le monde médical secoué alors par une série de découvertes primordiales, mais aussi jouer sur le contexte social, avec une intrigue traitant largement du racisme. Après tout, les États-Unis est encore ce pays qui, moins de 40 ans plus tôt, a vu son président abolir l’esclavage, et donc tenter d’amorcer un vaste plan visant à instaurer l’égalité entre les peuples, et la « démocratisation » d’une tolérance vis à vis de ceux qui longtemps après, ont été considéré très largement comme inférieurs.
Le décors, à savoir le New York de 1900 donc, sert de toile de fond aux intrigues attenantes au Knickerbocker (Knick pour les intimes), tout en y faisant écho. L’hôpital étant lui-même, à l’instar du Cook County d’Urgences, une micro-société régie par des règles bien précises, où les esprits s’échauffent comme dans un tube à essai représentatif des obsessions du show et des thématiques abordées.
Le fait d’avoir centré la série sur un personnage largement inspiré du Docteur William Halsted permet également d’appréhender l’essence profonde de toute l’entreprise. Incarné par Clive Owen, John Thackery incarne presque à lui tout seul la révolution qui anime la médecine. À l’instar de Halsted, son modèle, Thackery est un précurseur. En plus de jouir d’une réputation de faiseur de miracles dans la salle d’opération, il peut aussi se targuer d’un palmarès de plusieurs découvertes, inhérentes à son statut d’explorateur avant-gardiste, même si il s’avère beaucoup moins « ouvert » quand il s’agit de collaborer avec ce nouveau docteur à la peau foncée, venu de la vieille Europe. Homme à femmes, Thackery entretient également une puissante addiction à la cocaïne, utilisée alors comme un anesthésiant et encore méconnue pour ses « facultés » à déclencher une dépendance morbide chez ceux qui s’y adonnent sans retenue.
Personnage central de The Knick, John Thackery n’est pour autant pas le seul à personnifier l’identité de la série. Algernon Edwards représente quant à lui le combat contre le racisme et les idées néfastes d’un autre temps, étant lui-même un génie de la médecine, garant d’un savoir enfermé dans une cage de préjugés. Au fur et mesure des 10 épisodes qui composent cette première saison, plusieurs personnages prennent leur envol, ajoutant leur propre pierre à l’édifice, à l’image de l’infirmière Lucy Elkins, du docteur Chickering, ou encore de l’ambiguë et touchante Soeur Harriet.
Des personnages remarquablement incarnés par des comédiens investis, tous complètement en accord avec la tonalité pour le moins sombre de la série. Si Clive Owen trouve là ce qui restera comme l’un de ses meilleurs rôles, lui aussi tout en ambiguïté, entre puissance et vulnérabilité, pour un personnage en forme d’anti-héros, c’est aussi le cas de l’intégralité de la distribution.
The Knick n’a peur de rien, comme en témoigne notamment la musique, qui mélange sonorités d’époque et nappes plus électro, histoire de ménager un anachronisme discret, comme pour insister sur l’aspect profondément contemporain de la série, quand bien même l’action se déroule il y a plus de 100 ans. Un esprit frondeur visible dans le caractère des personnages, mais aussi dans cette faculté de ne pas s’en tenir à un seul genre, sans cesser de respecter une cohérence de tous les instants. Tous les éléments s’imbriquent les uns aux autres, avec une fluidité exemplaire.
En chef d’orchestre, Steven Soderbergh ne se contente pas de chapeauter le show. Il produit et réalise tous les épisodes. Ainsi, The Knick apparait, à l’instar de la première saison de True Detective, comme une série très cinégénique. Et même si la mise en scène et le scénario font en sorte d’entretenir une tension constante et une rythmique impeccable, c’est bien dans son intégralité que The Knick doit s’entrevoir. Comme une toile de maître. La direction artistique incroyable, la reconstitution du New York d’antan, qui brille par son incroyable minutie et sa grandiloquence aussi discrète que spectaculaire, les effets, propres à des scènes aussi marquantes (la série est interdite aux moins de 16 ans) qu’éloquentes, l’émotion douceâtre qui se dégage de certaines situations, le refus de tout manichéisme, le parfum sulfureux et l’irrévérence, font de The Knick un bijou de la télévision américaine. Soderbergh, aujourd’hui retiré de la mise en scène de longs-métrages, prouve qu’il n’a pas pour autant rangé son ambition au placard et qu’il compte bien continuer son exploration d’un métier qu’il entrevoit simplement désormais à la télévision et non au cinéma (pour le moment en tout cas). The Knick, notamment grâce à lui, est mémorable en tous points. Historiquement, dramatiquement, dans le fond et dans la forme.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : OCS