[Critique] AMERICAN HISTORY X
Titre original : American History X
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisation : Tony Kaye
Distribution : Edward Norton, Edward Furlong, Beverly d’Angelo, Avery Brooks, Jennifer Lien, Ethan Suplee, Stacy Keach, Fairuza Balk, Elliott Gould…
Genre : Drame
Date de sortie : 3 mars 1999
Le Pitch :
Derek Vinyard était un bonehead, un vrai, nourri au grain. Un de ceux qui vouent une adoration vis-à-vis du peuple allemand des années 30 jusqu’en 1945, qui arborent décorum nazi et tatouages, ont une crispation du bras quand ils saluent et vomissent sur tout ce qui n’est pas blanc et chrétien. Il était même le lieutenant de l’idéologue raciste Cameron Alexander en charge du recrutement. Mais ça, c’était avant (non, il n’a pas acheté des lunettes d’un opticien célèbre), avant de purger une peine de prison pour avoir tué deux afro-américains qui voulaient lui piquer sa voiture. Sorti de taule, il s’aperçoit que son frère Daniel marche sur ses traces, enrôlé lui aussi par Cameron…
La Critique :
1999. Je m’en souviens comme si c’était hier. Quand American History X est sorti, j’avais 17 ans. 17 ans, l’âge du lycée, des premiers émois, l’âge où commence à se construire une conscience, des idéaux, qu’ils soient politiques ou autres. J’avais construit ma pensée depuis un moment quand j’ai vu pour la première fois la bande-annonce très prometteuse du film de Tony Kaye. Il me fallait le voir et j’y suis allé dès sa sortie. Rarement un film m’a autant bouleversé, parce que le sujet renvoie à quelque chose que je rejette de manière épidermique. Je l’ai vu pas mal de fois, et à chaque fois la même sensation survient. Comme Midnight Express ou Vol Au-Dessus d’un Nid de Coucou, American History X n’est pas un film anodin, car il parle à nos passions (au sens philosophique du terme). Évitant tout manichéisme, ce qui hélas n’est pas le cas de tous les films sociaux, il renvoie dos à dos la violence des gangs et celles des boneheads (le terme skinhead étant trompeusement ancré dans l’inconscient collectif pour parler des skins d’extrême-droite, alors qu’il en existe des apolitiques et d’autres d’extrême-gauche ou antiracistes, j’utiliserai le terme bonehead qui ne définit que les skins dont on parle dans le film). Si la violence des premiers a souvent été montrée dans des films cultes comme Boyz N The Hood ou Menace 2 Society, le deuxième cas de figure n’a fait l’objet que de films sortis en DTV ou passés inaperçus, comme Romper Stomper (un des premiers films avec Russell Crowe), connu quasi-uniquement qu’en Australie. Pourtant, le sujet du film fait qu’il aurait pu aussi bien sortir en France, en Europe, en Russie, car le problème des boneheads est présent dans pas mal de pays (mais le fait qu’il soit américain permet d’y greffer d’autres sujets évoqués). Une des forces de ce film est qu’il est quasi-universel, d’où son succès.
Il aurait pu se contenter de se limiter à une morale pontifiante comme « La haine, c’est pas bien », comme peuvent le laisser penser les propos maladroits du narrateur à la fin, mais il apporte une réponse argumentée et appuie sur des tabous comme le problème de la violence armée, ou encore l’affaire Rodney King, qui déchaîna tellement les passions qu’elle empoisonnait les débats au sein même d’une famille, comme le montre la scène du repas qui part en vrille et qui sera un déclencheur de la déchéance de Derek. L’autre thème, permettant un éclair d’espoir, sera celui de la rédemption. Celle d’un homme autrefois rongé par la haine tel un fruit par un ver, une haine qui le consume au point de détruire sa famille. Un homme auquel il faudra un séjour douloureux en prison pour réaliser ses erreurs et leurs conséquences et dont le salut passera par tenter de sauver son frère de cette spirale.
Cette réponse argumentée au-delà du simple discours, Tony Kaye l’apporte également dans les scènes les plus marquantes du film, comme celles qui se passent en prison ou celle où Derek commet l’irréparable (qui sera LA scène choc du film). Ces scènes seront sublimées par une photographie irréprochable mettant en parallèle passé (en noir et blanc) et présent, soulignant le rapport de causalité des catastrophes commises par Derek et qui détruiront sa famille. Un réalisme froid, brutal qu’on retrouvera chez Tony Kaye dans Detachment quelques années plus tard.
L’autre force du film réside dans son casting, avec en premier lieu le duo Norton/Furlong. Le second, star de Terminator 2, retrouve un rôle proche de celui qu’il avait connu dans Little Odessa et qu’on retrouvera dans le drame carcéral indépendant Animal Factory. Norton quant à lui, casse le côté gendre idéal qu’on avait connu dans Larry Flynt, pour un rôle radical qui le marquera (il dira d’ailleurs en interview que le soir, il nettoyait la croix gammée sur son torse pour l’effacer car elle le mettait mal à l’aise). Il s’agit de son meilleur rôle avec Fight Club, Larry Flynt, et surtout La 25ème Heure, sorti en 2000 et dans lequel sa dureté, ainsi que la densité physique qu’il a pris, font nettement penser à son rôle dans American History X. Le reste de la distribution, Beverly d’Angelo en mère détruite par la perte de deux amours et la déchéance haineuse de son aîné, Stacy Keach en idéologue hitlérien manipulateur, Fairuza Balk en néonazie psychotique (un personnage extrêmement noir rappelant celui de chef des sorcières méchantes comme une teigne dans Dangereuse Alliance) et les autres jouent parfaitement leur rôle. Les personnages des boneheads quant à eux pourraient paraitre caricaturaux et risibles mais, dans la triste réalité, ils sont comme ça.
Il est impossible de ne pas évoquer la tonalité politique d’American History X, tant le film est un pamphlet qui dénonce une réalité inquiétante, celle de l’explosion du nombre de gang de boneheads extrêmement organisés et violents, certains en réseaux internationaux comme Blood & Honnor ou les Charlemagne Hammerskins. La courte scène de la soirée chez Cameron, avec le concert de RAC (Rock Against Communism, musique de prédilection des Boneheads, dérivée du street punk) illustre l’ambiance dans les concerts de musique white power. En plus d’un brûlot dénonciateur, ce premier film de Kaye, est devenu un quasi-documentaire prémonitoire sur une partie de la jeunesse laissée pour compte, partant à la dérive et prenant le chemin le plus court et le plus dangereux, à savoir celui de la haine.
@ Nicolas Cambon
Crédits photos : Metropolitan FilmExport