[Critique] E.T. L’EXTRA-TERRESTRE
Titre original : E.T. The Extra-Terrestrial
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Steven Spielberg
Distribution : Henry Thomas, Robert McNaughton, Drew Barrymore, Dee Wallace, Peter Coyote…
Genre : Science-Fiction/Drame/Fantastique/Comédie
Date de sortie : 1er décembre 1982
Le Pitch :
Elliot découvre dans son jardin un extra-terrestre « oublié » sur Terre par ses congénères. Fort de l’amitié qui va naitre entre eux, le jeune garçon va aider son nouvel ami à reprendre contact avec sa planète afin qu’il puisse rentrer chez lui…
La Critique :
1982 – âgé de 32 ans à peine, Steven Spielberg a déjà signé trois classiques incontestés : Les Dents de la Mer, Les Aventuriers de l’Arche Perdue, et Rencontres du Troisième Type soit des œuvres à grand spectacle ayant fortement contribué à définir la forme actuelle du blockbuster. Aussi géniaux soient-ils, ses films ne se présentaient pas pour autant comme des films intimistes -personnels, oui. Mais intimistes, non.
Aussi, E.T. n’avait rien du succès assuré à l’époque, et Spielberg avait malheureusement déjà prouvé qu’il pouvait rater sa cible avec 1941, un de ses plus grands échecs critiques et financiers. C’est au cours du tournage de Les Aventuriers de l’Arche Perdue que Spielberg accoucha avec la scénariste Melissa Matheson (alors compagne à la ville d’Indiana Jones/Harrison Ford) d’une histoire d’extra-terrestre alors intitulée Night Skies. ll fut d’abord question d’orienter l’intrigue vers une invasion extra-terrestre classique, avant que les aspects les plus horrifiques ne soient évacués pour alimenter le scénario de Poltergeist, production Spielberg réalisée par Tobe Hooper (Massacre à la Tronçonneuse). La parenté entre E.T. et Poltergeist reste d’ailleurs évidente car les deux films pourraient se situer dans la même banlieue « middle-class » et décrivent le quotidien de familles confrontées à un élément fantastique. Certes, les manifestations surnaturelles diffèrent radicalement (un gentil martien d’un côté , de méchants esprits de l’autre) , mais cet antagonisme permet de considérer Poltergeist comme la « Part des Ténèbres » de E.T., comme si Spielberg n’avait osé signé de son propre nom les horreurs du film de Tobe Hooper. (la légende voulant que Spielberg aurait officieusement réalisé le film)
Après quelques titres logistiquement complexes, Steven Spielberg semblait déterminé à réaliser un film simple, direct, venant du cœur. Axé avant tout sur ses personnages, E.T. comportera bien sûr son lot d’effets spéciaux mais leur apport au film reste toutefois secondaire. C’est peut-être là une des clés du succès mondial du film : Spielberg prenait son public a contre-pied en proposant un film intimiste malgré son postulat de départ. L’élément fantastique sert avant tout de métaphore pour exposer une situation tristement réelle : le divorce. Gardons à l’esprit qu’au début des années 80, on ne faisait que découvrir les « joies » du divorce et c’est peut-être aussi cet aspect qui toucha l’inconscient collectif. (autre exemple : si Kramer vs Kramer apparaissait comme un film de société à sa sortie, son sujet intéresserait tout juste les producteurs de Joséphine Ange-gardien aujourd’hui)
Elliot, le jeune héros du film traverse donc une période difficile. Ses parents viennent de se séparer et on apprend au détour d’une petite dispute en famille que le père n’a pas donné de nouvelles depuis quelques temps car il est parti en voyage avec sa nouvelle (jeune) compagne. La mère (Dee Wallace) travaille pour tenter de joindre les deux bouts et élever donc seule ses trois enfants : Michael le grand frère, Elliot et Gertie (Drew Barrymore), la petite sœur. Cela permet d’illustrer différentes facon de vivre la séparation en fonction de l’âge et du sexe des enfants : Gertie, de par son jeune âge, reste très proche de sa mère (elles font les courses ensemble). Michael, même si il semble affecté, tente de continuer à vivre sa vie (sa fidèle bande de copains, dont la présence et l’aide seront déterminantes dans le film) tout en tentant d’assurer son rôle d’aîné (il engueule son petit frère, mais veille également à la sécurité du foyer et qu’il se montre très préoccupé par le retour du coyote sur leur propriété). Et puis, il y a Elliott, perdu entre deux eaux et se sentant délaissé, comme l’indique la scène où son frère et ses amis refusent qu’il joue avec eux à Donjons & Dragons. Ils ne font appel à lui que pour aller chercher les pizzas. C’est pourtant cette mise à l’écart qui occasionnera sa rencontre avec E.T., une rencontre qui donnera au jeune garcon l’importance dont il se croyait dépourvue au sein de sa famille. Comme tout enfant « perdu », et peut-être particulièrement dans le cadre d’un divorce, Elliott cherche en effet à attirer l’attention de sa mère. En simulant la maladie pour ne pas aller à l’école par exemple. Et lorsqu’il y va, c’est pour semer la panique dans son cours de sciences naturelles en libérant toutes les grenouilles de leur bocal. Il va également fuguer et passer la nuit en forêt sans prévenir sa mère lors de la nuit d’Halloween. Au quotidien, Elliott se renferme de plus en plus sur lui-même, semble s’affaiblir autant physiquement que psychologiquement, comme s’il s’anémiait. Ces comportements et symptômes surviennent dans le film en présence de E.T. quand ils sont pas carrément dicté par lui.. Pourtant, ils sont autant de manifestations très réelles qui peuvent concerner tout enfant mal dans sa peau. Toute la force du scénario de E.T. tient en fait à ce que chaque scène et situation fonctionnerait SANS notre cher martien au long cou. Ce n’est pas un hasard si un des titres envisagés pendant un temps fut A boy’s life, car c’est fondamentalement de ça qu’il s’agit ! E.T. est le compagnon imaginaire que pourrait s’inventer Elliott pour traverser cette période difficile de sa vie (le thème de l’ami imaginaire figurait dans le film Harvey avec James Stewart et le chien d’Elliott dans le film s’appelle justement…Harvey !). Pour enfoncer le clou, le personnage de la mère ne s’aperçoit de son existence que tardivement, bien après une première tentative ratée de Gertie pour le lui présenter. Cela illustre parfaitement le manque d’attention et le manque de temps dont souffrent à un moment ou un autre les enfants du divorce. Et si Spieberg ne choisit jamais d’entretenir le doute à l’écran quant à l’existence réelle de l’extra-terrestre, il n’en appuie pas moins la portée métaphorique de la relation salvatrice qu’il entretient avec Elliott. Lors des adieux à la fin, c’est une famille ressoudée qui regarde le vaisseau filer dans le ciel, comme une étoile filante porteuse de tous leurs vœux et espoirs pour l’avenir (à ce sujet, le final de Super 8, prétendu hommage à E.T. ne fait aucun sens puisque J.J. Abrams substitue un horrible monstre au gentil martien – mais pourquoi les héros pleureraient-ils son départ de la sorte ???).
Afin de mieux dépeindre les états d’âme d’Elliott, Steven Spielberg adopte littéralement son point de vue en plaçant toujours sa caméra à hauteur d’enfant. Il utilise également une autre astuce empruntée aux cartoons de Tom et Jerry : les visages humains sont toujours hors cadre, ne dévoilant que le corps des personnages, afin de délimiter la frontière entre le monde des enfants et celui des adultes (clin d’œil :un extrait de Tom & Jerry est diffusé à la télévision). Hormis la mère qui n’est pas une étrangère hostile aux yeux d’Elliot, aucun adulte n’apparait distinctement à l’image. Dans le prologue, les ufologues à la poursuite de E.T. sont filmés à contre-jour dans les plans larges, et cadrés sous la taille lors des plans rapprochés. Le même traitement est appliqué au professeur de biologie. Ce n’est que lorsque les scientifiques investissent la maison que la caméra remonte d’un niveau et dévoile enfin les visages des adultes.
E.T. est donc un film SUR et AVEC des enfants, mais certainement pas uniquement POUR les enfants. Steven Spielberg ayant toujours eu à cœur d’assumer la part d’enfant en lui (jusqu’au tournant thématique que représente Hook dans sa carrière), il fait preuve d’une réelle empathie avec ses personnages. Loin de tout cynisme, il épouse le point de vue d’Elliott sur le monde et ce, même si ses parents à lui n’ont effectivement jamais divorcé. Steven Spielberg a au moins en commun avec Elliott cette propension à rêver en scrutant le ciel, comme il l’avait déjà démontré dans Rencontres du Troisième Type.
De nombreux éléments du film (la banlieue, la famille, la middle-class, la bande de jeunes, la télévision et…les vélos – pensez aux Goonies, Gremlins, Explorers, …) deviendront des éléments récurrents des productions Amblin dans les années 80 – jusqu’au logo de la firme ! On notera aussi que Spielberg reprendra à plusieurs reprises l’image iconique de l’affiche représentant les mains d’Elliott et de E.T.. L’exemple le plus évident reste l’affiche de La Liste de Schindler en 1993, mais le symbole des mains tendues sera repris dans Indiana Jones et la Dernière Croisade, lorsqu’Indy détourne finalement son père de l’attrait du Graal. On évoquera aussi ce gros plan des mains jointes lors de l’exode des Hébreux lors du final de Le Prince d’Egypte, mais les exemples sont nombreux dans les films réalisés ou produit par Spielberg.
L’universalité absolue de E.T. (le nom de famille d’Elliott n’est d’ailleurs jamais révélé afin de renforcer cet aspect) et son intemporalité en font probablement le film le plus important et marquant de la carrière de Steven Spielberg. Son succès mondial sans précédent a inscrit le nom du réalisateur dans la conscience collective du grand-public pour la postérité. Jusqu’en 1993, E.T. était le film ayant engrangé les plus grosses recettes de tous les temps, avant d’être détrôné par un autre raz-de-marée cinématographique : Jurassic Park, du même Steven Spielberg. La VHS de E.T. n’étant sortie que tardivement en 1988 (en battant tous les records de vente), et les premières diffusions télévisuelles datant de 1990, le film a longtemps conservé une aura exceptionnelle, loin de la banalisation de la distribution vidéo d’aujourd’hui. N’oublions pas non plus la E.T.-mania et l’avalanche de produits dérivés qui inondèrent notre quotidien pendant les douze ou dix-huit mois que dura l’exploitation du film en salles à sa sortie. (Je vous parle bien sur d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, mais pour les plus jeunes de nos lecteurs, il faut s’imaginer que le succès de E.T., en un seul film, n’avait rien à envier à la Potter-mania)
Classique universel et fédérateur, E.T. est fait pour plaire au public mais au sens le plus noble de la formule. Son influence a été majeure dans l’industrie hollywoodienne, que ce soit a travers des hommages et références diverses (Mac et Moi, Le dernier Vol du Navigator pour le pire, Miracle sur la 8ème rue,Super 8 pour le meilleur) ou au contraire, des œuvres jouant la carte de l’anti-thèse (Joey, le remake d’Invaders from Mars). Une approche adoptée par Spielberg lui-même avec Poltergeist comme nous l’avons déjà vu, et réitérée en 2005 avec l’adaptation de La Guerre des Mondes, qui est le pendant thématique de E.T. à bien des égards, notamment en nous décidant de faire du père démissionnaire le héros de l’aventure, dévoilant enfin ce qu’il aurait pu advenir de la figure paternelle absente en 1982 !
En 2002, convaincu par son ami George Lucas que le numérique pouvait lui permettre d’ « améliorer » son film, Steven Spielberg s’était livré à quelques retouches cosmétiques et parfois révisionnistes sur son chef-d’œuvre. Heureusement revenu à la raison depuis, E.T. n’est désormais disponible en vidéo que dans sa version d’origine, preuve que le cinéma est avant tout affaire d’émotion et non pas d’effets spéciaux.
@ Jérôme Muslewski
Crédits photos : United International Pictures