[Critique] GANGS OF NEW YORK
Titre original : Gangs of New York
Rating:
Origine : Etats-Unis/Angleterre/Italie/Allemagne/Pays-Bas
Réalisateur : Martin Scorsese
Distribution : Leonardo DiCaprio, Daniel Day-Lewis, Cameron Diaz, Liam Neeson, Brendan Gleeson, John C.Reilly, Stephen Graham…
Genre : Historique/Aventure/Drame
Date de sortie : 8 janvier 2003
Le Pitch :
Une fresque vengeresse entre gangs rivaux dans le New York populaire bouillonnant du XIXème siècle, à l’aube de la naissance de l’Amérique…
La Critique :
Il y a des films qui vous marquent vraiment profondément dans votre petit parcours de cinéphile. Vous en avez forcément une petite liste cachée dans un recoin de votre cerveau. Gangs Of New York fait partie de la liste personnelle de l’auteur de ces lignes.
La genèse même de ce film est assez épique. Il s’agit à la base d’un projet d’adaptation du livre d’Herbert Asbury (The Gangs Of New-York: An Informal History Of The Underworld) qui germe dans l’esprit de Scorsese dans les années 70. Problèmes budgétaires oblige, il faudra attendre longtemps avant de pouvoir voir cette œuvre. Et c’est une bonne chose car grâce à des travaux, de nombreux objets d’époque enfouis dans le sol de New-York ont été depuis découverts. Des reliques qui serviront de base de travail aux équipes du film (une partie sera également exposée dans un bâtiment du World Trade Center). En plus de détruire ces traces du patrimoine new-yorkais, les attentats du 11 Septembre vont retarder la sortie du film (les deux tours figurent d’ailleurs dans le plan-séquence final). Surmontant ces difficultés et de nombreuses autres (ressusciter l’argot de l’époque entre autres) Scorsese finit par sortir ce qu’il convient d’appeler un chef-d’œuvre en forme d’énorme claque dans la gueule. Il convient aussi de noter qu’il partage son contexte et une partie de son casting avec Le Temps de l’innocence (qui se place du côté aristocratique/bourgeois), autre fait de gloire de Scorsese.
Le film s’ouvre sur une impressionnante introduction s’étalant sur un bon quart d’heure (le film durant près de trois heures, rien de choquant finalement). Une introduction semblant contenir tous les thèmes et les intrigues du long-métrage. On assiste à la préparation d’une petite armée de gangsters irlandais, menés par un prêtre, puis à leur combat contre un gang opposé arborant les couleurs du drapeau américain et se revendiquant ”natifs”. Un combat sanglant et rageur, rythmé par le Signal To Noise de Peter Gabriel. Les natifs et leur leader, Bill le boucher, l’emportent en abattant Vallon le Prêtre, leur ennemi, sous les yeux du fils de ce dernier, Amsterdam. S’ensuit un progressif et gigantesque travelling arrière, nous révélant l’emplacement de ce combat épique et primitif : le Sud de l’île de Manhattan et ses quartiers malfamés. Le reste du film paraît inéluctable. Le petit Amsterdam devenu grand sort de maison de correction quelques années plus tard, avec une seule idée en tête : venger son père. On suivra son parcours semé d’embûches. Une véritable odyssée à la recherche des restes de son passé et l’Histoire (avec un grand H) de l’Amérique, jusqu’à une bataille finale épique, mêlant combats entre gangs et émeutes (les célèbres Draft Riots).
En effet, au delà de la vengeance d’un personnage et les ”petites histoires” qui en découlent, le film a une dimension historique. Scorsese fouille dans le poussière, la crasse et le sang pour nous livrer une part sombre et sans doute honteuse de la Grande Pomme et des États-Unis en général. Le fantôme de la guerre de Sécession, de ces lois de conscription et des émeutes qu’elles entraînent planent au dessus du destin individuel des personnages. Les vieux démons de l’Amérique sont au cœur du récit : le racisme, l’immigration, la corruption politique incarnée par Boss Tweed (personnage réel et sorte de mètre étalon américain de la corruption politique) et les nombreuses communautés luttant les unes contre les autres. Bref, des thématiques chères à Scorsese. On les retrouvent ici sublimées par la volonté du cinéaste de remonter à l’origine de ces notions, d’en toucher le cœur. Car le sous-titre du film (”L’Amérique est née dans la rue”) n’est pas gratuit. C’est avant tout une naissance que Scorsese nous donne à voir. Un accouchement dans la douleur.
Et pour ce faire, il sort la grosse artillerie. Le casting est tout simplement à tomber par terre. Jugez plutôt : Leonardo DiCaprio très crédible en Amsterdam vengeur qui apprend tout de sa cible. Ladite cible, campée par un Daniel Lewis tout simplement incroyable (égal à lui même quoi) crevant l’écran en boucher/gangster plein de rage et de haine, confinant à l’autodestruction et pourtant doté d’un charisme et d’une humanité étonnante. Cameron Diaz apporte douceur et légèreté mais aussi une certaine émotion à son personnage de fille de joie roublarde. Mention spéciale à Brendan Gleeson qui incarne une vieille carne finalement empreinte d’une certaine sagesse et à John C. Reilly qui campe quant à lui un policier corrompu. Stephen Graham, de son côté, trouve un rôle sûr-mesure dans celui d’une petite frappe alliée d’Amsterdam (les rôles de gangsters ou simplement de gens violents lui collent décidément à la peau). Tout ce beau monde évolue dans un tout aussi beau décor. Dante Ferretti est à la auteur de sa légende et nous livre une scénographie flamboyante, donnant vie aux quartiers populaires des Five Points. Détaillés et extrêmement vivants, ils nous offrent une leçon de reconstitution historique tout en ayant un réel supplément d’âme, marque de fabrique de leur créateur. Niveau musique, c’est du lourd ! Du très lourd avec Howard Shore aux manettes (la B.O magique du Seigneur des Anneaux entre autres merveilles). Ce dernier compose les trois suites baptisées Brooklyn Heights et réunit ensuite un grand nombre de chansons traditionnelles irlandaises. Pour compléter le tout, U2 a enregistré une superbe composition baptisée The Hands That Build America, accompagné par une partie orchestrale aussi simple qu’élégante et épique. Ce morceau est celui qui accompagne le générique de fin du film et reste longtemps en tête…
Tout cela est bien sûr filmé et orchestré de main de maître par un Scorsese en état de grâce, qui nous livre là une œuvre qui a fait date. Outre la scène d’ouverture, le plan séquence final est une des plus belles conclusions du cinéma moderne. Scorsese ne cessant d’enchaîner les morceaux de bravoure entre les deux (la bataille finale, époustouflante). Tous ces éléments combinés prennent des allures d’opéra baroque et flamboyant et l’inéluctable fil de l’intrigue a des allures de tragédie, au sens grec du terme. Pour faire simple, Gangs of New York est une fresque monumentale, pleine de bruit, de larmes, de fureur et de sang ainsi qu’une émouvante déclaration d’amour adressée à la ville qui lui donne son nom.
Il y a tant de choses à dire sur ce film (son réalisme, ses prouesses narratives, sa puissance visuelle…) que j’ai peur de m’y perdre, je vais donc conclure ainsi.
Si le film est nominé dix fois aux Oscars et cinq fois aux Golden Globes il repart bredouille. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est que l’on ressort hébété et certainement pas indemne de Gangs of New York. Certes il y a des longueurs (sur 2h50, c’est normal) mais on la certitude d’avoir passé un grand moment de cinéma comme on en voit (et vit) rarement (mais n’est-ce pas là tout ce qui en fait le charme ?).
@ Sacha Lopez