[Critique] HORIZONS LOINTAINS
Titre original : Far and Away
Rating:
Origine : États Unis
Réalisateur : Ron Howard
Distribution : Tom Cruise, Nicole Kidman, Thomas Gibson, Colm Meaney, Robert Prosky, Barbara Babcock, …
Genre : Aventure/Drame
Date de sortie : 16 Septembre 1992
Le Pitch :
Irlande, 1892. Après que la ferme de son père ait été incendiée par les hommes de main de leur propriétaire Lord Christie, Joseph Donnelly réclame vengeance. Une tentative d’assassinat qui échoue mais lui vaut d’attirer l’attention de Shannon, la fille de Christie. Éprise de liberté, elle voit en Joseph le partenaire idéal pour l’aider à fuir en Oklahoma ou, promet-elle, tout un chacun peut se voir octroyé un lopin de terre cultivable… Débarqués à Boston, la réalité du Rêve Américain est tout autre et l’Oklahoma est encore loin…
La Critique de Horizons Lointains :
En 1992, Ron Howard n’était pas le réalisateur de renom qu’il est aujourd’hui. Pour beaucoup, il s’agissait encore du Richie Cunningham de Happy Days qui avait bien grandi. Néanmoins, il avait su démontrer son efficacité derrière la caméra dès ses premiers films ; avec les comédies Les Croque-Morts en Folie, Gung-Ho, Splash et l’excellent Portrait Craché d’une Famille Modèle, puis dans le genre fantastique « Spielbergien » avec Cocoon, avant de réaliser Willow en 1988 pour le compte de George Lucas. Bref, du cinéma hollywoodien familial (ce qui ne constitue en rien une critique) que Ron Howard approche avec des aptitudes largement au-dessus de la moyenne. Malheureusement, Horizons Lointains, son projet le plus ambitieux et personnel jusque là, allait également être sa première déconvenue critique et commercial.
« L’Amérique, elle est à moi et je l’aurai »
Avec Horizons Lointains, Ron Howard veut ressusciter le film épique Hollywoodien, un genre délaissé après la débâcle commerciale du Cleopatra de Joseph Mankiewicz (1963), mais qui, grâce au succès de Danse avec les Loups en 1991, semblait pouvoir être à nouveau viable. L’année 1992 marquant le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique, quoi de mieux dès lors que de raconter la conquête de l’Ouest et célébrer l’esprit pionnier des hommes qui ont forgé la nation?
Ron Howard, crédité comme auteur de l’histoire, choisit de s’intéresser plus particulièrement aux Irlandais. Une affinité qui remonte à l’âge de 4 ans, lorsqu’il découvrit ce pays alors qu’il accompagnait son acteur de père sur un tournage en Europe. Quant à la spectaculaire cavalcade pour l’appropriation d’un lopin de terre de la dernière partie du film, l’inspiration lui vint d’une photo de son grand-père qui y avait participé en 1893. Le contexte historique ainsi posé, il restait encore à trouver une histoire et des personnages ; Ron Howard veut un film romanesque et confie le scénario à Bob Dolman, déjà auteur de Willow 3 ans auparavant.
La conquête de l’écran large
Doté d’un budget conséquent de 60 Millions de dollars (Willow n’avait coûté que 35 millions et Abyss était en 1989 le film le plus cher de l’histoire avec 70 millions), Ron Howard veut du grand et beau spectacle, une production de prestige comme on n’en voit plus depuis longtemps. Allait-il convoquer les spectres de Cecil B. Demille ou Sir David Lean ? Aucun des deux ! Même si le format large cher à ce dernier allait faire là son grand retour avec un tournage en Super Panavision 70mm, dont le dernier représentant n’est autre que La Fille de Ryan (1970), de David Lean justement. Et c’est à Mikael Solomon, directeur photo danois à la carrière américaine trop éphémère (Always, Abyss, Backdraft, Arachonophobie puis plus rien) qu’échoit la tache de façonner la lumière et les cadres de cette fresque qui nous mène des côtes d’Irlande à Boston, jusqu’aux grands espaces de l’Oklahoma. Et Horizons Lointains a de la gueule : on retiendra notamment quelques sublimes clairs-obscurs du plus bel effet, comme les scènes montrant les lampistes au travail dans la pénombre des rues de Boston. Quant à la scène finale de la grande chevauchée, même si elle emprunte à la chasse aux bisons de Danse avec les Loups, elle anticipe malgré elle les batailles de Braveheart (et donc, par filiation, de Gladiator, et Le Seigneur des Anneaux). Solomon sublime une action déjà impressionnante en soi, avec ses 800 figurants, 400 chevaux et 200 attelages. Dire que 25 ans plus tard, l’argument marketing principal de Dunkerque tient justement à ces mêmes exploits logistiques en dit long sur la rapidité avec lequel le tout numérique allait changer la face du cinéma. Horizons Lointains dégageait déjà un parfum désuet à sa sortie et pourrait très bien représenter le dernier exemple de production à l’ancienne, de par son sujet ET ses méthodes de fabrication. Terminator 2 et Jurassic Park allaient changer la donne, pour le meilleur mais aussi pour le pire.
Ron Howard, un homme tranquille
Si le format large est une caractéristique commune aux films épiques de David Lean ou George Stevens, c’est du côté de John Ford, roi du format dit « académique » (soit le 4/3 de nos vieux téléviseurs cathodiques), que lorgne surtout la mise en scène de Ron Howard, avec un clin d’œil appuyé à L’Homme Tranquille, dans lequel John Wayne jouait un boxeur irlandais de retour au pays. Et la boxe, c’est justement le gagne-pain de Tom Cruise dans Horizons Lointains. Mais plus encore, c’est dans son découpage que Howard émule Ford. Ce dernier détestait les coupes de montage et favorisait l’action continue, dans des plans aussi fixes possibles et ne déplaçant sa caméra que lorsque l’action en question le nécessitait. Pour lui, la narration devait provenir de ce qui se passait DANS le cadre, non pas du cadre lui-même. Et Ron Howard de se tenir à cette approche durant les deux premiers tiers du film, favorisant de longs plans fixes parfaitement composés, dans des endroits souvent assez confinés (la demeure de Christie, le pub, la maison close, l’atelier). En revanche, dans la partie en Oklahoma, la retenue n’est plus de mise, ce qui a pour effet d’accentuer le sentiment d’exaltation ressenti lors de la conquête de ces grands espaces. D’ailleurs, un long fondu au noir vient sépare les épisodes de Boston et de l’Oklahoma, à la fois pour signifier l’ellipse temporelle, mais également pour négocier le virage stylistique opéré entre les deux.
The Power of Love
Horizons Lointains a aussi ceci d’Hollywoodien qu’il est un « véhicule » pour ses têtes d’affiche, en l’occurrence un des couples les plus glamours de 1992 : Tom Cruise et Nicole Kidman. Les deux tourtereaux s’étant rencontrés sur le rigolo Jours de Tonnerre de Tony Scott en 1990, Horizons Lointains avait tout du projet « Lune de Miel », un brin vaniteux. Et à l’écran, c’est bien simple : on ne voit qu’eux. On a souvent reproché à Tom Cruise de vampiriser ses films au détriment du reste du casting (voir comment Mission : Impossible, une série initialement basée sur le travail d’équipe, est devenue un one-man show) et c’est malheureusement le cas ici. Les seconds rôles sont à peine esquissés et font de la figuration. Il faut pourtant reconnaître que Tom se laisse tenir la dragée haute par la belle Nicole (bien avant qu’elle ne succombe à l’appel du bistouri…), puisque bien qu’elle incarne une fille de bonne famille, elle n’en est pas moins aventureuse et impétueuse. Là encore, elle se rapproche de Mauree O’Hara dans L’Homme Tranquille, une pointe de féminisme en plus, car son personnage ne saurait se laisser tirer par les cheveux comme ce fut le cas chez John Ford ! Ici, c’est Nicole qui tient la culotte (à l’écran en tout cas !) et Tom fournit la force physique pour se la boxe et la partie équestre. Et il faut reconnaître que la vieille recette du couple-mal-assorti-qui-finit-par-s’aimer-à-la-vie-à-la-mort fonctionne plutôt bien, à défaut d’être originale.
Un air de Titanic…
Il existe plusieurs similitudes entre Horizons Lointains et Titanic. Tout d’abord, une histoire épique et romanesque; les personnages : un jeune homme sans le sou et une fille de bonne famille tombent amoureux en route pour le nouveau continent. Ajoutez à cela un rival amoureux fortuné, ivre de jalousie et prêt à tuer pour récupérer sa « promise ». Une trame il est vrai assez classique pour ne pas crier au plagiat mais tout de même… Passons aussi sur les accents celtiques de la musique de John Williams, car James Horner est lui-même familier du fait (Willow, Patriot Games, pour ne citer que ces compositions). Mais un autre emprunt plus discret vend la mèche quant à l’inspiration qu’a pu constituer Horizons Lointains pour James Cameron : la chanson du générique de fin Book of Days interprétée par Enya (pour l’écouter, c’est par ici), qui comprend déjà la base rythmique et tonale du morceau Southampton de la bande-originale de Titanic (ici). Là, le doute n’est plus permis et il parait clair que la chanson a servi de piste temporaire lors du montage de Titanic…
…Naufrage inclus !
Hélas, contrairement au film de Cameron qui connut le succès (mérité) que l’on sait, Horizons Lointains n’aura pas soulevé l’enthousiasme à sa sortie et, malgré son générique prestigieux, semble être destiné à disparaître doucement de la mémoire cinéphile collective. Pourtant, comme évoqué plus haut, il fut probablement le chant du cygne d’un cinéma « à l’ancienne », rendu obsolète par les champions du box-office de 1992 : L’Arme Fatale 2, Batman Le Défi, Alien 3. L’hégémonie des franchises ne faisait hélas que commencer…
En Bref…
Pas assez « vieux » pour être figurer parmi les classiques hollywoodiens et trop « classique » pour marquer les esprits à sa sortie ou être réhabilité depuis, Horizons Lointains est un coup d’épée dans l’eau. Il témoigne néanmoins de la fin de l’ère « analogique » des grosses productions, avant que les franchises et effets spéciaux numériques ne deviennent leur principal fer de lance. Certes, le film aurait pu bénéficier de seconds rôles plus étoffés mais on ne peut que saluer la noblesse des intentions artistiques de Ron Howard.
Dédicace spéciale du rédacteur:
Un film raconte plein d’histoires : celle à l’écran, celles en coulisses et encore des millions d’autres pour chaque spectateur qui le verra dans des conditions différentes, des endroits différents et avec des personnes différentes. Mon histoire à moi, c’est que j’ai vu Horizons Lointains le 27 Septembre 1992 avec celle qui allait devenir mon épouse. C’était notre premier rendez-vous. 25 ans plus tard, c’est toujours la plus belle histoire du monde, et les deux spin-offs de 2002 et 2007 n’ont fait que rendre son univers plus riche encore. Vivent les histoires ! JM.
@ Jérome Muslewski
Bonjour, vous avez fait une très bonne critique générale de ce film, qui reste malgré toutes ces imperfections un film que j’affectionne. J’avais pour ma part 17 ans lorsque je l’ai vu en 1992, et son souffle épique m’a toujours plu (il est des films comme celui-ci, qui s’ils n’ont pas toutes les qualités requises, peuvent marquer au final). Vos comparaisons avec Braveheart et d’autres films qui suivront par la suite comme Titanic sont très justes. Je crois que quelques temps après j’avais vu Légendes d’automne avec Brad Pitt, se voulant un film sur l’ouest plus sombre et plus glauque réalisé par, pour moi, le calamiteux Edward Zwick. Il eût je crois un meilleur accueil. Pourtant je préfère la légèreté et même cette forme de naïveté qui se dégage d’Horizons lointains. Puet-être parce que j’ai été élevé au biberon par les films de John Ford ou d’Howard Hawks, qui savaient certes mieux que Ron Howard trousser un scénario, en donnant vie par exemples à leurs personnages secondaires. Mais pour l’époque de ma propre jeunesse, ce film qu’est Horizons lointains, vu sur grand écran, fut un plaisir visuel – si pas coupable – de voir un jolie fresque dans les grands espaces américains. Encore bravo pour votre article !