[Critique] INGLOURIOUS BASTERDS
Titre original : Inglourious Basterds
Rating:
Origine : États-Unis/Allemagne
Réalisateur : Quentin Tarantino
Distribution : Brad Pitt, Christoph Waltz, Mélanie Laurent, Diane Kruger, Eli Roth, Daniel Brühl, Michael Fassbender, Mike Myers, Til Schweiger…
Genre : Guerre/Aventure/Action
Date de sortie : 19 août 2009
Le Pitch :
1944 : la France est sous l’occupation nazie. Le Lieutenant Aldo Raine et ses Bâtards, un commando impitoyable de soldats juifs envoyé derrière les lignes ennemies pour massacrer les troupes allemandes au grand damne d’Adolf Hitler, est recruté par les Alliés dans un complot pour assassiner les hauts dignitaires nazis. Après le massacre brutal de toute sa famille juive par le Colonel Hans Landa de la SS en 1941, la jeune Shoshanna Dreyfus manipule le héros de guerre allemand Frederick Zoller et son mentor Joseph Goebbels, pour préparer sa vengeance…
La Critique :
À ce stade, on a un peu l’habitude que Quentin Tarantino nous coupe l’herbe sous les pieds. Après tout, c’est quand même l’homme qui s’est fait un nom avec un film de cambriolage dans lequel le cambriolage n’a pas eu lieu. Dès le début, son film de guerre Inglourious Basterds donne l’impression d’un autre mélange de genres dans le style de Kill Bill, cette fois sous l’aspect d’un film de vengeance se déroulant pendant la Seconde Guerre Mondiale, structuré autour d’un groupe de soldats juifs, les Bâtards, chargés de massacrer les nazis derrière les lignes ennemies d’une France sous l’occupation allemande. Du titre piqué à un film de série B des années 70, aux allures western de la musique d’ouverture d’Ennio Morricone, à la référence indubitable aux Douze Salopards, l’œuvre préparée par Tarantino pendant presque une décennie incorpore son amour profond pour le cinéma.
Et à partir des cinq premières minutes, il est clair qu’il fait à nouveau un doigt d’honneur aux convention. Loin d’être un shoot‘em-up en ligne droite qui serait le plat d’idéal pour des acteurs comme Stallone ou Schwarzenegger, Inglourious Basterds est en réalité une création très différente de ce que laissent penser les posters, les bandes-annonces ou le marketing.
Oh, les Bâtards sont bien là, dans la forme attendue des personnages de films d’exploitation reconfigurés en humains plus vrais que nature, dont l’intensité est proche de la satire : une spécialité de Tarantino. Et comme promis, ils prennent un plaisir diabolique à découper les nazis en petits morceaux, avant de les scalper. Mais ils ne constituent qu’une partie d’un récit tentaculaire et ambitieux d’espionnage cape-et-épée, qui entremêle les histoires d’un critique du cinéma anglais devenu soldat, d’une vedette allemande qui joue aussi le rôle d’un agent double, d’un héros de guerre nazi emporté par sa propre naïveté, d’une rescapée juive en quête de vengeance et même du Führer en personne. Tout le monde suit sa propre piste narrative, mais se dirigent finalement tous vers le même endroit.
Vous remarquerez peut-être que pour un film de guerre, un nombre étonnant des personnages et des péripéties de Inglourious Basterds sont centrés autour du cinéma. Cela n’a rien de surprenant, étant donné qu’on parle d’un réalisateur qui a fait irruption dans le monde du septième-art dans les années 90, armé d’un talent effrayant pour les scénarii et un sens de l’esthétique, et fortifié par une base fondamentale de références renvoyant au cinéma obscur. Impressionnée par sa première salve de Reservoir Dogs et Pulp Fiction, la grande majorité de la vieille garde des critiques n’a pas perdu de temps pour louer l’habileté de ses scripts et la complexité de sa mise en scène, avec la supposition générale qu’une fois bien sur pied, son amour pour les genres mixtes et le cinéma geek qui assaisonnait son travail serait quelque-chose qu’il laisserait de côté pour continuer sa carrière.
Bien sûr, ce n’est pas ce qui c’est passé, bien heureusement. Tarantino a rapidement démontré que ni sa préférence pour l’artifice cinématographique au dépit du réalisme, ni son affection fondatrice pour le côté geek de l’histoire du cinéma, n’étaient de simples caprices passagers, mais plutôt des résidents permanents au cœur de son âme artistique. Et si on met les exploits de Tarantino en tant que réalisateur, scénariste et même acteur les uns à côté des autres, un modèle récurrent commence à se dessiner : la fusion des « mauvais genres » du cinéma tels que des sagas sordides de crime, d’horreur et même de kung-fu, avec une caractérisation bien développée des personnages, une structure narrative intelligente et des dialogues conversationnels labyrinthiques.
Ici, ces dialogues sont mis en avant à nouveau. À part quelques scènes sporadiques de violence sanglante, Inglourious Basterds est avant tout un thriller d’espionnage, construit autour d’une série de séquences de discussion entre personnages, où la maîtrise de la situation jongle entre les interlocuteurs et les discussions sont truffées d’implications tacites et de menaces sous-entendues. Le résultat est plus intense que les scènes d’action : des moments insoutenables de suspense avec des douzaines des personnages qui racontent cinq ou six mensonges en même temps ; leurs vies dépendent de la capacité à de montrer suffisamment convaincants. C’est aussi le fantasme de vengeance « la revanche des juifs contre les nazis » le plus impitoyable et le plus cathartique qui ait jamais vu le jour : pensez au dénouement des Aventuriers de l’Arche Perdue, mais qui sert de pitch au film entier !
Dans tous les cas, à première vue, Inglourious Basterds suit certainement les fioritures stylistiques bien connues de Tarantino : la violence, les références à la culture populaire, une intrigue divisée en chapitres, une fixation sur le monde du cinéma, etc. Sauf que cette fois, c’est dans une veine un peu différente. La violence déboule à l’écran dans des rafales brusques et des scènes isolées, et le reste du film sévit dans la subtilité. À part quelques choix musicaux anachroniques, les clins d’œil culturels restent ancrés dans la culture appropriée des années 1940, donc pas d’allusions au cinéma drive-in des années 70. Les chapitres restent des chapitres, mais la vraie dynamite, c’est la fixation sur le monde du septième-art.
À bien des égards, les œuvres de Tarantino ont toujours parlé du cinéma lui-même : l’invasion et la conquête de la réalité par l’imagination et les fantasmes que l’on retrouve dans les films. Mais ici, ce sous-entendu devient un entendu, et Inglourious Basterds se révèle comme étant une méditation fantaisiste et extravagante sur le concept du rôle du cinéma comme une arme : pas seulement de la façon qu’a l’intrigue de s’intéresser à la carrière, à la philosophie, et aux desseins infâmes du maître nazi de la propagande, Josef Goebbels, mais aussi dans sa construction d’une réalité alternative, où le Troisième Reich peut être mis à genoux par les genres de héros exagérés et absurdes qui ne peuvent que venir du cinéma, et finalement, par le cinéma lui-même.
Bien entendu, la sortie et la popularité de chaque nouveau film de Tarantino entraîne aussi la question fastidieuse concernant sa place et sa qualité dans le contexte du reste de son travail (ou plus exactement, est-il est meilleur que Pulp Fiction ?), mais franchement, ce genre de comparaisons est devenu lassant. Tous les films d’un réalisateur ne sont pas obligés d’atteindre le statut de chef-d’œuvre, ni même de signifier un point de non retour. Personnellement, je doute que Tarantino signera quelque-chose d’aussi parfaitement visionnaire que le cycle Kill Bill, mais c’est également le cas pour n’importe qui, alors aucune importance.
Ce qui est important ici, c’est que Inglourious Basterds est un très, très bon film, qui insuffle une nouvelle vitalité dans le genre cinématographique de la Seconde Guerre Mondiale et ajoute sa pierre au sous-genre émergent des chroniques de vengeance juive (telles que Munich, Les Insurgés, Rien que pour vos cheveux et l’excellent Black Book), avec Brad Pitt qui campe, avec un bel effort comique, un héros caricatural et Eli Roth qui choque avec une prestation réellement convaincante. Mais plus substantiels encore sont Mélanie Laurent, qui incarne plus ou moins l’héroïne de toute l’histoire, et le génialissime Christoph Waltz dans le rôle d’un colonel SS pas comme les autres : brutal, cruel, drôle, méchant, ironique, contradictoire et absurde, tout à la fois. Bien plus qu’un supervillain nazi typique, Waltz domine l’écran et donne vie à une création à la fois complexe, iconographique, et exagérée.
Avec l’assurance typique de son auteur, la dernière réplique d’Inglourious Basterds est « Il se pourrait bien que ce soit mon chef-d’œuvre ». Cette affirmation se dispute encore, peut-être. Il s’agit certainement d’un autre mélange bizarre de sensations digne des films de série B et de sophistication verbale et détaillé de la part de Tarantino. Il faut avoir un sacré égo pour décider qu’on peut trouver une fin à la Seconde Guerre Mondiale qui soit « meilleure » que celle écrite par l’Histoire, et un sacré talent pour réussir à le mettre en forme. Et Quentin Tarantino a les deux.
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Universal Pictures International France
Véritable moment de ciné!!!