[Critique] INVASION LOS ANGELES

STARVIDEOCLUB | 3 août 2015 | Aucun commentaire
Invasion_Los_Angeles

Titre original : They Live

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : John Carpenter
Distribution : Roddy Piper, Keith David, Meg Foster, Peter Jason…
Genre : Science-Fiction/Fantastique/Action/Adaptation
Date de sortie : 19 avril 1989

Le Pitch :
Un homme solitaire arrive à Los Angeles. En quête d’un travail, il est embauché dans un chantier de construction et rencontre un ouvrier, qui le conduit malgré lui sur les traces d’un mystérieux groupuscule d’activistes. Curieux, il découvre accidentellement que des extraterrestres ont infiltré la race humaine, qu’ils contrôlent, grâce notamment à des messages subliminaux détectables avec des lunettes spéciales. Bien décidé à agir, l’homme prend les armes…

La Critique :
Lorsqu’il tourne Invasion Los Angeles, au printemps 88, John Carpenter n’est pas dans une bonne passe. Pas artistiquement parlant, mais sur un plan strictement commercial. 2 ans plus tôt, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin a fait un bide et désormais, les studios sont plus que méfiants à l’idée de donner des crédits au réalisateur, qui doit faire usage de ce bon vieux système D pour arriver à ses fins. Tout comme son précédent fait d’arme, Le Prince des Ténèbres, Invasion Los Angeles s’appuie donc sur un budget limité. Tourné en seulement 2 mois, il n’a rien de la superproduction hollywoodienne typique, pleine d’esbroufe et d’effets spectaculaires de toutes sortes. Même topo concernant la tête d’affiche. Alors qu’il aurait peut-être pu débaucher un grand nom du cinéma de genre -pourquoi pas Arnold Schwarzenegger ?-, Carpenter se tourne vers les rings de la WWF et propose à Roddy Piper le rôle principal. Le canadien, connu pour incarner dans la célèbre fédération de catch un lutteur écossais (avec son kilt et son fameux t-shirt Hot Rod), tient là son ticket d’entrée dans le septième-art. Invasion Los Angeles est son premier film. Un long-métrage dans lequel il s’investit à 100%, allant même jusqu’à insuffler à son personnage de forts relents autobiographiques. Lui-même un temps vagabond, avant de devenir une superstar du catch, Piper fait de John Nada (le nom, visible au générique de fin, n’est jamais cité dans le film), une sorte d’exclu du système. Un électron libre, sans famille, travail ou même toit, perdu dans la jungle d’une Amérique soumise à de profonds bouleversements et catapulté sauveur providentiel face à un envahisseur venu d’ailleurs.
À bien y réfléchir, il en fallait des cojones pour tout miser sur un type comme Roddy Piper. N’ayant jamais fait ses preuves, le sportif était certes rompu à l’exercice de la comédie, sur le ring, mais rien n’indiquait que ses débuts à l’écran allaient être aussi flamboyants que ceux de Schwarzenegger par exemple, pour rester dans le domaine du sport et des gros muscles. Au final, le choix est payant. Si Piper n’a jamais vraiment réussi à transformer l’essai, malgré de multiples tentatives dans plusieurs séries B d’action (voire Z) et des séries (Walker Texas Ranger par exemple), Invasion Los Angeles reste la preuve parfaite d’un talent indéniable, pour le coup parfaitement raccord avec les intentions de John Carpenter et la tonalité du récit. Massif, impliqué (outre le côté autobiographique, Piper chorégraphia la légendaire scène de baston entre son personnage et David Keith), charismatique, maniant à merveille un humour jubilatoire à base de punchlines depuis gravées dans la pierre, il est tout bonnement parfait, et si le film est aussi bon et efficace, c’est en grande partie grâce à son apport indéniable et au second degré qu’il incarne quasiment à lui seul.

Invasion-Los-Angeles-They-Live

Visuellement parlant, Invasion Los Angeles a bien entendu pris un petit coup de vieux, mais finalement pas tant que ça et surtout pas autant que beaucoup de productions du même genre sorties à la même époque. Doté d’un budget restreint, John Carpenter a ainsi limité les effets-spéciaux et permis à son film de résister remarquablement bien à l’épreuve du temps. Boosté par un sens de la mise en scène affûte, ambitieux et totalement à propos, le long-métrage souffre bien de quelques approximations (les drones espions des aliens), mais dans l’ensemble, 26 ans après sa sortie, ça claque toujours autant.
Un côté percutant imputable à la somme de thématiques mises à avant. À l’instar du George A. Romero de la grande époque, John Carpenter ne s’est jamais agité dans le vide, en se reposant uniquement sur un déferlement d’effets ou sur une violence frontale et gratuite. Peut-être plus que n’importe quel autre de ses films, Invasion Los Angeles illustre en cela l’acuité spectaculaire et sans concession du réalisateur. Également au scénario (sous le nom de Frank Armitage, d’après un personnage de Lovecraft), Carpenter profite de cette histoire d’aliens infiltrés parmi les hommes pour tisser une réflexion sociale puissante et éloquente. Alors que d’autres en auraient peut-être profité pour tisser une énième déclinaison de L’Invasion des Profanateurs de Sépultures, lui préfère utiliser sa base narrative (soit la nouvelle Eight O’Clock in the Morning, de Ray Nelson) pour jeter un regard sans concession sur l’Amérique de Reagan. Le consumérisme, les dérives du capitalisme, le rejet de la différence, l’endoctrinement des médias, ou encore le jeu des politiques, sont passés à la moulinette par un Big John en pleine bourre. Indépendant, libre de faire comme bon lui semble, le cinéaste visionnaire fait parler la poudre et donne un bon gros coup de pied dans la fourmilière de l’Oncle Sam, sans se départir de son sens de l’humour si typique. Il fait de Roddy Piper le grain de sable qui fout le bordel dans une machinerie bien huilée et dénonce les dérives d’une société qui s’achemine doucement mais sûrement vers des années de crise.
Et si les effets-spéciaux prennent de l’âge, il n’en est rien d’un tel discours. Dans la plus pure tradition d’une science-fiction satirique et engagée à la Philip K. Dick, Invasion Los Angeles est une authentique bombe à retardement, déguisée en divertissement explosif. Une œuvre forte, empreinte de révolte, dont le héros, un marginal invisible aux yeux des puissants et des nantis, permet de mettre à jour un endoctrinement ayant toujours cours aujourd’hui. Après tout, ce n’est pas pour rien, si le métrage reste l’un de ceux qui ont le plus influencé la culture populaire. Que l’on parle des jeux-vidéos, ou de l’art, comme pourrait en témoigner Shepard Fairey, dont l’alias, Obey, provient directement des affiches de propagande que John Nada découvre quand il chausse les lunettes noires qui permettent de voir les extraterrestres à visages découverts.

Avancer qu’Invasion Los Angeles est un film militant n’a rien d’exagéré. C’est le gros coup de gueule de la filmographie de John Carpenter. Le projet qui lui a permis de s’exprimer sur son pays, en déguisant à peine son propos d’apparats propres aux films fantastiques. Cela dit, avancer qu’Invasion Los Angeles est un pur film d’action, n’est pas non plus exagéré. Après tout, tous les codes sont là : le mec super baraqué, les répliques qui claquent, la coolitude typique des années 80, les bastons, les fusillades… En plus de tout le reste, le film est d’une efficacité primaire jubilatoire. Il ne perd pas de temps, ose la nuance et les mélanges audacieux, ne va pas chercher midi à quatorze heure et fait montre d’une urgence en somme toute jouissive. C’est pour cela que les gamins qui découvrirent le métrage à sa sortie, n’y voyant probablement que la lutte d’une montagne de muscles contre des monstres venus de l’espace, lui vouent aujourd’hui un culte fervent. Entre temps, les fans ont grandi, et le film a dévoilé son autre visage. Le fait que notre société n’ait, au fond, pas tant changé que cela, rajoute ironiquement au fait qu’on cause ici d’une œuvre portée par une universalité bien particulière. Tous les niveaux de lecture fonctionnent à plein régime alors n’ayons pas peur des mots : non seulement Invasion Los Angeles est l’un des meilleurs films de son auteur, mais c’est aussi l’un des plus importants de son époque. Le genre qui donne envie de mâcher du bubblegum et de botter quelques culs !
Nous ne t’oublierons pas John Nada…

@ Gilles Rolland

Invasion-Los-Angeles-They-Live-Roddy-Pipper-Keith-DavidCrédits photos : Universal Pictures Company Inc.

 

Par Gilles Rolland le 3 août 2015

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