[Critique] LES FILS DE L’HOMME
Titre original : Children of Men
Rating:
Origines : États-Unis/Angleterre
Réalisateur : Alfonso Cuarón
Distribution : Clive Owen, Michael Caine, Julianne Moore, Charlie Hunman, Chiwetel Ejiofor, Peter Mullan, Claire-Hope Ashitey, Pam Ferris, Danny Huston, Oana Pellea, Paul Sharma…
Genre : Anticipation/Action/Drame
Date de sortie : 18 octobre 2006
Le Pitch :
Londres 2027 : l’annonce de la mort de Diego,18 ans, bouleverse un monde touché par la stérilité. Le plus jeune être humain de la planète vient d’être assassiné pour avoir refusé de donner un autographe. Le Monde se meurt dans un chaos progressif. Le suicide et la délation sont vivement encouragés par le gouvernement et la guerre fait rage… À l’intérieur de cette société en perdition, Théo, un employé de bureau désabusé, rentre malgré lui en contact avec les Poissons, un groupuscule terroriste qui milite pour le droit des immigrés. Ces derniers lui confient une mystérieuse mission…
La Critique :
Je fais partie de ces optimistes qui affirment que le film parfait existe. La combinaison est extrêmement rare mais ne relève pas du fantasme. À part peut-être pour les éternels insatisfaits. Car le septième-art compte beaucoup de chef-d’œuvres et parmi ces derniers certains nous laissent dépourvu, la mâchoire au sol, les larmes aux yeux, la chair de poule, tout l’attirail.
Les Fils de l’Homme d’Alfonso Cuarón est de ceux là. N’ayons pas peur, allons y carrément et posons-nous la question : et si Les Fils de L’Homme était le plus grand film d’anticipation de tous les temps ?
Il y a plusieurs raisons qui poussent à formuler une telle hypothèse. La maitrise technique qui marque l’œuvre y est pour beaucoup bien sûr mais pas uniquement, sinon Transformers 3 serait un chef-d’œuvre (quoi que). Il y également le propos, puissant et lyrique, la musique et le jeux des comédiens. Les Fils de l’Homme tient du miracle, car il réunit tout simplement tous ces facteurs. Les éléments s’emboitent les uns aux autres avec une logique redoutable qui laisse le spectateur réceptif sur le carreau.
Abordons tout d’abord la mise en scène, car il est entendu que pour le coup, le film met, sur ce point, tout le monde d’accord. D’un point de vue strictement technique, Les Fils de L’Homme est un film incroyable. Alfonso Cuarón laisse apparaître un talent de chef d’orchestre hors-normes et accomplit un boulot extraordinaire. On savait le bonhomme inspiré et doté d’un savoir-faire certain (après tout c’est lui qui a réalisé le meilleur de tous les Harry Potter non ?), mais ici, son toucher fait des prouesses. Et comment ne pas évoquer les trois plans-séquences du film pour justifier ce déluge de superlatifs généreux ?
C’est bien simple : de mémoire de cinéphile (la mienne tout du moins), rarement démonstration ne fut aussi éloquente. Le premier plan-séquence prend à revers, laisse sur le carreau. Le second est plus discret mais tout aussi impressionnant. Le troisième achève. Scène de guerilla urbaine, il voit Clive Owen pénétrer dans un bâtiment assailli par les tirs de barrage et les obus des tanks. La caméra suit le héros, les balles fusent de tous les côtés, le sang gicle sur l’objectif et y reste, dégoulinant. L’immersion est totale au point qu’on croirait regarder non pas une fiction mais un reportage en zone de guerre (une impression récurrente). Clive Owen gravit les marches de l’immeuble. On aperçoit aux fenêtres la sauvagerie des combats dans la rue. Sans y connaître grand chose en matière de cinéma d’un point de vue technique, il n’est pas difficile de se dire que la chose a du donner du fil à retordre à l’équipe de tournage et à son réalisateur. Le plan dure exactement 6 minutes et 18 secondes (je le sais j’ai regardé sur Wikipedia). Les deux autres duraient respectivement 3 minutes 58 et 3 minutes 11. Ce dernier couronne un marathon de la plus bluffante des façons et ce n’est pas peu dire que de clamer haut et fort que l’on ne voit pas ça tous les jours. Voilà pour l’emballage.
Si on ne devait retenir qu’une scène pour cristalliser la tonalité des Fils de L’Homme, ce serait certainement celle qui voit le héros pénétrer à bord d’une luxueuse voiture dans le Londres des nantis. Le carrosse quitte les rues craspecs et malsaines pour une oasis de calme et de volupté. En soit, une zone où sont préservées les valeurs de l’homme moderne tel que ceux qui ont du blé se les représentent. Un endroit peuplé de personnes bien pourvues, où les chevaux gambadent et où des orchestres symphoniques rythment les déambulations des londoniens peu soucieux de ce qui peut bien se tramer dans le reste de la Cité. La voiture roule donc vers l’Arche des Arts, un endroit coupé des réalités où sont réservées les œuvres d’arts d’une humanité en reddition forcée. La scène se déroule au son du In the Court of the Crisom King du groupe de rock progressif King Crimson. Un choix plus que judicieux qui exacerbe la mélancolie ambiante. Au dessus de la fameuse arche flotte un cochon. Clin d’œil suprême à Pink Floyd (album Animals lui-même faisant référence à Orwell). Et des clins d’œil de ce genre, le film en regorge. On notera juste pour le plaisir les allusions aux Beatles (plus particulièrement à Lennon, au travers du personnage joué par Michael Caine, directement inspiré du chanteur), aux Stones (superbe reprise de Ruby Tuesday) en passant par la Bible (le titre vient en effet du livre sacré). Des détails parfois directement tirés du livre dont le film est l’adaptation (de P.D. James) et parfois imputables à Cuarón et à ses scénaristes. Quoi qu’il en soit, tout se fond à merveille au sein d’une seule et même démarche.
Les Fils de L’Homme est donc une œuvre dense. Touffue diront certains. On y dessine un futur loin des trips fantasmagoriques où les voitures volent et ou des extraterrestres chantent de l’opéra. Le futur représenté ici apparaît donc comme réaliste car tout à fait envisageable si les choses continuent à dégénérer. Le monde est en proie à une épidémie qui prive les hommes de la possibilité de reproduction. L’humanité vieillit sans se renouveler et court inexorablement à sa perte. Les camps de réfugiés se multiplient aux abords des métropoles. On parque les êtres humains comme des bêtes et l’armée est omniprésente. La religion est bien entendu au centre du propos. L’intrigue du long-métrage nage dans un marasme et une mélancolie lourde. L’espoir n’est pas exempt de l’équation mais réclame un dûe non négligeable. Sans tomber dans un mysticisme de pacotille, Les Fils de L’Homme fait valoir son identité. Il ne s’agit pas de verser ici dans le conte de bigote mais dans l’illustration d’une certaine forme d’espérance, d’épiphanie. Comme quoi, quand tout fout le camp, la rédemption attend son heure. À travers l’amitié (formidablement illustrée via la relation de Clive Owen et de Michael Caine), l’empathie et le sacrifice. Encore une fois, la notion christique n’est pas loin. Le film s’en amuse même parfois. Car l’humour n’est pas absent même s’il affiche un arrière-goût toujours mélancolique.
Alfonso Cuaròn entreprend une fresque dantesque où les inquiétudes de notre époque prennent de nouvelles proportions. Où les vieux fantômes de l’histoire tapent à la porte. La guerre en Irak, la Seconde Guerre Mondiale, les camps de la mort, la prison de Guantánamo ou encore le 11 septembre. Des tragédies évoquées plus ou moins directement comme une façon de signaler avec pertinence et mesure que certaines plaies ne cicatrisent jamais totalement. L’histoire est un disque rayé qui peut s’emballer si on ne prend pas garde à nos actions. Cependant, n’allez pas vous imaginer que Les Fils de L’Homme est un film donneur de leçon. Il symbolise juste la crise que nous traversons et imagine un avenir peu reluisant mais tout à fait probable si la machine continue à s’emballer dans le mauvais sens.
Une vision à la poésie terrassante, parfois belle à en pleurer, autant dans la forme que dans le fond, qui, comme signalé plus haut, se distingue par la pertinence de ses thématiques et par la force évocatrice de sa mise en scène. Une partition rock and roll. Un classique instantané. Un monument, etc… Rendez-vous dans le dictionnaire des synonymes.
Alors oui, Les Fils de L’Homme est peut être bien le plus grand film d’anticipation de tous les temps. Et ce ne sont pas les performances absolument admirables de sobriété des acteurs, (Clive Owen et Michael Caine sont exceptionnels) qui ira contredire cet état de fait.
@ Gilles Rolland
Excellente critique et analyse..
Je rajouterais seulement que le métrage prend place au cœur d’un Royaume-Uni préservé de la dévastation mondiale, totalitariste, les migrants s’agglutinent sur cette île, et non pas aux abords des grandes métropoles du monde. Là aussi Cuaròn et consorts ont tapé juste, le brexit étant passé par là….
Le premier grand classique du XXIème siècle, tout simplement. Boudé par le public, mal vendu par Universal, qui misa tout à l’époque sur United 93 pour les oscars*. L’oeuvre-somme du mexicain n’y a donc pas été représentée dans les catégories maîtresses (meilleur film, meilleure réalisation et meilleurs acteurs), dommage il aurait tout raflé!
Dans mon top 10 évidemment, bien calé entre “je suis un cyborg” et “district 9”. (Vous avez dit éclectique?)
Excellent travail, bien à vous, Dae-Soo.
*Source: http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Les-Fils-de-l-homme-a-10-ans-10-choses-a-savoir-sur-le-chef-d-oeuvre-de-Cuaron