[Critique] L’IMPASSE
Titre original : Carlito’s Way
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Brian De Palma
Distribution : 161616…
Genre : Drame/Thriller/Adaptation
Date de sortie : 23 mars 1994
Le Pitch :
New York, 1975. Carlito Brigante, un trafiquant de drogue notoire, est libéré de prison, grâce aux vices de procédures révélés par son avocat. Bien décidé à rester dans le droit chemin après ces 5 années passées à l’ombre, le criminel repenti entend économiser suffisamment d’argent pour rendre possible l’objectif qu’il s’est fixé. Mais la réinsertion s’avère plutôt difficile pour celui que certains continuent à aduler en tant que gangster…
La Critique :
À bien des égards, L’Impasse peut être considéré comme une sorte de suite de Scarface. Même acteur, en l’occurrence Al Pacino, et même réalisateur aux commandes, soit Brian De Palma, pour une seconde plongée en apnée dans l’univers du crime organisé. Ce sont en quelque sorte les deux facettes d’une même pièce. Deux films pour une vision passionnante qui dénote également de la maturité des artistes en présence qui ensemble, dressent l’état des lieux d’une communauté, mais aussi et surtout d’un pays loin d’être en phase avec les démons qu’il nourrit tout en prétendant le contraire…
Alors que Scarface racontait la montée en puissance d’un immigré cubain désireux de saisir à la gorge le rêve américain pour totalement se l’approprier au risque qu’il lui explose à la face, L’Impasse se focalise autour du désir de rédemption d’un homme au passé tumultueux. Une sorte de Tony Montana qui aurait survécu à l’assaut de son palace par la police et qui, après avoir croupi plusieurs années en prison, aurait pris conscience de l’absurdité d’une existence régie par la violence et les rapports de force.
La rédemption est le moteur de ce que beaucoup considèrent comme l’ultime chef-d’œuvre de Brian De Palma. C’est elle qui dicte les actions de Carlito Brigante, le personnage d’Al Pacino et c’est elle qui met en exergue ses contradictions, tout en donnant du sens à ses sentiments, à ses désirs et aux réactions que peuvent encourager ses actes. Plus posés, Pacino et De Palma reviennent dans la rue et observent. Beaucoup de choses ont changé. La ville a muté, les repères ont évolués, les gens aussi. Malheureusement, le changement ne s’est pas fait dans le bon sens. Même pour un vieux brigand, tout est allé trop vite…
Les années 80 sont passées par là et avec elles une furie qui, dans son sillage, a remodelé les contours d’une Amérique presque convalescente, en pleine gueule de bois. À lui tout seul, Sean Penn et son rôle d’avocat véreux, symbolise d’ailleurs ce propos. La chose est mentionnée quand le repenti s’aperçoit que les gangsters sont des deux côtés de la loi. La frontière entre le bien est le mal est floue. Avec une acuité extraordinaire, le long-métrage dresse un constat peu reluisant. Le monde tel qu’il est devenu ne semble être clément que pour ceux qui osent aller jusqu’au bout de leur perversion. On ne peut plus se fier à personne. L’occasion pour De Palma d’assumer encore une fois son héritage hitchcockien et d’adapter sa mise en scène à cette tragédie moderne où amour et mort se font face en attendant de se télescoper. Entre les buildings, dans la fange ou dans les clubs à la mode où se font et se défont les alliances, le cinéaste, avec son œil implacable, n’a pas peur d’y aller franchement. De faire preuve de naïveté quand il le faut, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de donner du corps aux espérances de son héros, mais aussi de dureté, quand vient le moment de le mettre en face de responsabilités, qui, si elles ne sont pas les siennes, se doivent d’être tout de même assumées.
Il est question d’héritage. Celui du sang. De pouvoir regarder ses cicatrices tout en nageant à contre-courant. De trouver le bon équilibre, précaire mais quand même, pour continuer à aller de l’avant.
Dans l’œil du cyclone, Al Pacino trouve l’un des rôles les plus puissants de sa carrière. Face à un Sean Penn terrifiant, mais aussi parfaitement azimuté car totalement en phase avec les exigences folles de son personnage, Pacino fait preuve d’un mélange savant de tendresse et de sauvagerie. Une force tranquille en somme, dont les remous intérieurs provoquent de manière exponentielle des perturbations à la surface. Sans céder à l’excès, au diapason avec les intentions du scénario de David Koepp (d’après les livres Carlito’s Way et After Hours, d’Edwin Torres), il retranscrit avec une pertinence dont seuls les géants sont capables, une foule d’émotions pénétrantes, très justement renforcées par la présence d’une voix-off très présente mais jamais envahissante.
Charismatique en diable, il sait précisément quelle attitude adopter et fait profiter à Carlito Brigante de son expérience et de son vécu, exploitant son histoire et celle de tous les rôles (on retrouve du Michael Corleone dans sa composition) qui, dans un sens, résonnent dans celui-là pour lui donner encore plus de substance.
Film de mafia pas vraiment comme les autres mais néanmoins droit dans ses bottes faces à des codes bien ancrés qu’il s’approprie en permanence, L’Impasse raconte aussi une superbe histoire d’amour. Une love story qui vient s’imbriquer dans une mécanique perverse en lui apportant une touche d’innocence dont tout l’enjeu est de savoir si elle va précipiter la perte des deux personnages impliqués ou provoquer leur salut. Avec une infinie délicatesse notamment aidé par une bande-son qui appuie là où il faut, Brian De Palma injecte de la poésie à son film, alternant ainsi des scènes d’une violence très âpre et des séquences à fleur peau teintées d’une mélancolie qui confine au tragique.
Gros morceau de cinéma, parfaitement maîtrisé par un maestro en phase avec le récit qu’il illustre et ses thématiques, sur tous les fronts, L’Impasse combine un sens de l’excès parfaitement à propos à une sensibilité inattendue d’où il puise sa force. Au centre d’une ville tentaculaire où les trahisons sont aussi nombreuses que les tentations, il s’apparente à une sorte de conte contemporain et s’exprime avec une universalité rare, à la manière de ces classiques sur lesquels les années, les modes et les courants n’ont pas de prises.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Universal Pictures