[Critique] MÉMOIRES DE NOS PÈRES
Titre original : Flags of our Fathers
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Clint Eastwood
Distribution : Ryan Phillippe, Jesse Bradford, Adam Beach, John Benjamin Hickey, John Slattery, Barry Pepper, Jamie Bell, Paul Walker, Robert Patrick, Neal McDonough…
Genre : Guerre
Date de sortie : 25 octobre 2006
Le Pitch :
En pleine Seconde Guerre Mondiale, lorsqu’une photo prise au hasard de six soldats yankees levant un drapeau pendant la bataille d’Iwo Jima devient un emblème pour la cause américaine, les survivants se voient transformés en héros. Une nouvelle condition qu’ils ne peuvent supporter. En effet, ils ne peuvent pas oublier leurs amis morts, les camarades qu’ils ont perdu sur le champ de bataille, l’intensité de la guerre et le carnage des combats. Ils ne se battaient pas pour leur drapeau ou pour leur pays, mais pour les hommes derrière eux et les hommes devant eux…
La Critique :
Beaucoup d’acteurs célèbres deviennent réalisateurs plus tard dans leur vie, mais combien d’entre-eux l’ont fait avec autant de succès que Clint Eastwood ? On parle d’un homme qui était déjà devenu une légende hollywoodienne deux fois, quand il commença sa carrière derrière la caméra, et depuis il a enchaîné des exploits dont il peut être fier. Ses réussites ont fait de lui un véritable titan : un statut qu’il aurait atteint même sans Dirty Harry et un paquet de westerns spaghetti.
Mémoires de nos pères a été taxé (incorrectement, il faut le préciser) d’œuvre démythifiant la Seconde Guerre Mondiale et la bataille d’Iwo Jima. En fait, il s’agit simplement d’une œuvre qui examine la légende de la Seconde Guerre Mondiale telle qu’elle existe dans la mémoire du cinéma, et la réalité telle qu’elle existe dans les souvenirs (mais rarement dans les paroles) des hommes qui l’ont vécue. Le sujet que Clint a sous la main s’écrit presque tout seul : le célèbre lever du drapeau américain sur Iwo Jima galvanisa le pays et transforma ceux qui l’avaient hissé en héros, mais le choc psychologique d’en rejouer une version optimiste et aseptisée devant les foules pendant une tournée médiatique, après avoir enduré les pires horreurs au combat, les épuisa émotionnellement et menaça de les détruire. Du moins, c’est ce que le film et même l’Histoire aimeraient argumenter.
Le long-métrage d’Eastwood est structuré, parfois d’une manière déconcertante, comme un flux narratif conscient. Il fait des sauts dans le temps et à travers la chronologie entre les évènements de la guerre avant, pendant et après la bataille, les affaires intérieures et le présent, où le fils de l’une de ces icônes involontaires fait ses recherches historiques sur la célèbre photographie pour l’écriture de son roman (le film est inspiré du dit-texte). Ainsi, il n’existe pas vraiment de fil narratif avec un début, un milieu et une fin, ce qui provoque finalement un drôle d’effet. C’est nous, les spectateurs, qui revivons les souffrances et les névroses dans le cœur et l’âme des hommes dont nous suivons l’histoire. Adam Beach, de Windtalkers : Les messagers du vent, a le rôle le plus éprouvant en tant qu’Ira Hayes, un pima indien accablé par sa gloire, tandis que Ryan Phillippe, qui interprète le personnage principal, donne une prestation à la sobriété puissante.
Les scènes de bataille sur Iwo Jima sont excellemment filmées, alternant entre le combat rapproché et les bombardements aériens, clairsemées à travers le long-métrage, utilisées principalement comme flashbacks. Elles sont courtes, violentes, horrifiantes. Avec ambition et efficacité, Eastwood se fixe le triple but de recréer l’enfer qu’était la bataille d’Iwo Jima, d’explorer le sens et la vérité de la photo du lever de drapeau sur l’île, et d’observer les conséquences que subirent les survivants. La bataille intégrale est aussi explorée en parallèle par Eastwood et compagnie dans le second volet du diptyque sur la guerre du Pacifique : Lettres d’Iwo Jima, où les combats sont vus à travers la perspective des troupes japonaises.
Comme beaucoup de productions du vieux Clint, Mémoires de nos pères trouve sa puissance dans les moments les plus calmes et les instants les plus intimes. Son message est dépourvu de maladresse. Il serait tentant de noter la controverse qui entoura l’œuvre d’Eastwood lors de sa sortie, qui concerne surtout sa fonction en tant que film anti-guerre. Mais les choses ne sont pas aussi simples que ça. Ceux qui cherchent une condamnation de la guerre ne seront pas déçus, tout comme ceux qui cherchent une commémoration des anciennes générations. Et ceux qui cherchent un bon film le trouveront.
Les hommes qui ont hissé le drapeau étaient acclamés en héros, mais qui étaient-ils, précisément ? Un regard sur la photo ne révèle pas de visages, et ceux qui ont levé le premier drapeau n’eurent pas l’honneur d’être reconnus, puisque la version officielle de l’histoire prétend qu’il n’y avait qu’un seul évènement. Ces hommes-là savaient qui ils étaient, et qui ils n’étaient pas, mais personne ne voulait savoir la vérité. Plus tard, trois d’entre eux furent tués, et trois autres furent ramenés chez eux pour être les superstars. La guerre n’est pas faite pour être poétique…
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Warner Bros