[Critique] SHOTGUN STORIES
Titre original : Shotgun Stories
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jeff Nichols
Distribution : Michael Shannon, Douglas Ligon, Barlow Jacobs, Natalie Canerday, Glenda Pannell, Coley Canpany, Michael Abbott Jr., Lynnsee Provence…
Genre : Drame
Date de sortie : 2 janvier 2008
Le Pitch :
À la mort de leur père, avec lequel ils ont depuis longtemps rompu tout contact, trois frères voient les conflits avec les enfants que ce dernier a eu avec une autre femme, remonter à la surface. Débute alors une spirale de violence aux conséquences extrêmes…
La Critique :
Retour en 2007. Un jeune réalisateur, auparavant connu pour avoir réalisé une poignée de courts-métrages, se fait remarquer dans plusieurs festivals. Son film, Shotgun Stories fait en effet forte impression, lançant sa carrière sur les rails du succès. Depuis, Jeff Nichols a confirmé les espoirs que les bookmakers les plus inspirés ont placé en lui après avoir vu Shotgun Stories. Take Shelter tout d’abord puis plus dernièrement Mud, ont prouvé coup sur coup la sensibilité inouïe et le talent hors-norme de ce qui s’avère être le plus sérieux prétendant dans la course à la succession à ces grands cinéastes contemplatifs du septième-art américain, Terrence Malick et John Ford en tête.
Mais il est réducteur (comme bien souvent quand on se livre à ce genre de comparaison) de ne voir en Jeff Nichols qu’un fils illégitime de ces grands noms. Dès Shotgun Stories, Nichols fait montre d’une verve suffisamment puissante, inspirée et personnelle, pour se démarquer de ses maîtres de cinéma et ainsi livrer des films qui échappent au simple hommage ou pire, au copier/coller.
Dans son premier film, Jeff Nichols traite des conséquences. Celles de nos actes les plus irréfléchis et celles des actions des personnes qui nous ont précédé. Les trois frangins de Shotgun Stories sont ainsi condamnés d’avance par les comportements conjoints de leurs parents, à savoir un père démissionnaire qui a préféré prendre le large pour fonder une autre famille sur des bases plus saines, et une mère haineuse, ressassant inlassablement les rancœurs du passé. Dans ces circonstances, rien de plus difficile que de tracer sa propre route sans se voir freiner par des fantômes nés dans la violence d’actes qui le sont tout autant, et cela même si les trois protagonistes n’ont directement rien à voir avec le conflit matriciel. Un homme alcoolique trouve Dieu, rencontre une autre femme et fait d’autres enfants, laissant de côté les fruits de sa précédente vie. Des fruits qui poussent dans un terreau vicié et qui malgré une conscience absolue de leur propre situation, sont plus ou moins condamnés à voir le boomerang leur revenir en pleine tronche tôt ou tard.
Ainsi, Shotgun Stories débute sur des cicatrices. Celles qui constellent le dos du personnage brillamment interprété par un Michael Shannon en pleine ascension glorieuse. On ne sait pas comment Son (c’est son nom) a écopé de ses stigmates, mais au fond ce n’est pas important. L’important réside juste dans le fait de savoir que les cicatrices sont là pour illustrer un passé violent. Alors que l’histoire débute, le calme semble être revenu. Jeff Nichols adopte une mise en scène contemplative. Il filme l’Arkansas (son état d’origine) via le microcosme de travailleurs mis au rencart d’une société gloutonne, qui bossent pour espérer récupérer au final une petite part du rêve américain. Dans ces circonstances, et pour les hommes blessés que le film présente, une étincelle suffit pour ranimer de vieux conflits. La génétique est cruelle et la vengeance est souvent le seul moyen de régler les problèmes. Jeff Nichols traite des conséquences. Celles d’un décès, d’une longue série de gueules de bois et de négligences, et celles d’un ardent désir de vengeance.
À l’opposé des vigilante movies, une autre grande tradition du cinéma américain qui applique la vieille maxime du œil pour œil, dent pour dent, Jeff Nichols préfère l’apprêté d’une réalité ou le retour de bâton se fait rarement attendre. Tranquillement mais surement, à grand renfort d’une mise en image somptueuse, tout droit sortie des grandes fresques américaines, le réalisateur compare la vengeance à une gangrène dont il est très difficile de stopper la progression et en fait le moteur malsain d’une tragédie aux accents shakespeariens. Sans avoir recours à une violence outrancière, il préfère communiquer la puissance dévastatrice et dramatique de cette dernière. En prenant le temps d’ancrer ses personnages dans une réalité âpre ainsi que dans un récit simple et viscéral, Nichols s’assure de la solidité de sa démarche, ainsi que de la bonne tenue de son film. Sans afficher de grandes prétentions, Shotgun Stories se « contente » de marcher droit. Il ne dévie jamais de sa route et consciencieusement, sans non plus faire du sur-place, il va au bout. Au bout justement, il y a l’espoir. Un espoir que Jeff Nichols n’oublie pas et qui habite en permanence un film émouvant et formellement beau. En soi, un film qui marquait la naissance d’un grand. Un réalisateur, tourné vers ses prestigieux mentors, mais néanmoins capable de donner naissance à un genre hybride qui ne ressemble véritablement qu’à lui.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : ASC Distribution