[Critique] THE CONSTANT GARDENER
Titre original : The Constant Gardener
Rating:
Origine : Angleterre
Réalisateur : Fernando Meirelles
Distribution : Ralph Fiennes, Rachel Weisz, Hubert Koundé, Danny Huston, Bill Nighy, John Sibi-Okumu, Packson Ngugi, Archie Panjabi, Pete Postlethwaite…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 28 décembre 2005
Le Pitch :
Diplomate timide, Justin Quayle quitte les jardins de sa tendre Angleterre pour suivre une nouvelle mission au Kenya. Sa femme,Tessa, est une activiste humanitaire s’acharnant contre les maux de la pauvreté et l’injustice sociale. Justin l’exhorte à ne pas trop s’impliquer avec le peuple africain, qui est ravagé par la famine et la misère, mais obéir à de telles instructions ne l’intéresse pas. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, que Tessa néglige son mari, qui la soupçonne d’avoir eu des relations intimes avec un docteur lorsqu’ils se sont installés dans le pays. Un jour, Tessa disparaît, et on la retrouve brutalement assassinée au bord de la route. Refusant d’accepter des explications simplistes, Justin est convaincu que la mort de sa femme a des implications plus larges, et il commence à enquêter dans des endroits où il n’est pas spécialement le bienvenu. Connu pour sa réputation de vouloir laisser les riches et les puissants à leurs occupations, il surprend tout le monde avec sa détermination à découvrir la vérité, faisant face à ses propres souvenirs, ses collègues, la police locale, des gangsters, et des entreprises louches. Seul contre tous, il trouvera de l’aide et des amis dans les endroits les plus inattendus, mais des secrets l’attendent au tournant…
La Critique :
Il n’y a pas si longtemps que ça, Fernando Meirelles a connu le genre de débuts dont rêvent tous les cinéastes en herbe avec La Cité de Dieu. Après avoir fait tomber par terre aussi bien la critique que le public avec cette épopée du crime brésilien, il prend ici un chemin différent avec un thriller politique anglo-centré inspiré d’un roman de John Le Carré, l’auteur de La Taupe.
Bon, d’accord. Pas aussi différent que ça, finalement. L’histoire se déroule dans un ensemble de bidonvilles du Tiers Monde en détérioration continue : un terrain que Meirelles avait maîtrisé cinématographiquement dans son film précédent. Et il est toujours en train d’utiliser des pellicules saturées et hautement contrastées, une caméra acrobatique, et un montage spasmodique ; techniques qui devinrent le style adopté du regretté Tony Scott, et dont tellement de « nouveaux réalisateurs » sont tombés désastreusement amoureux par la suite. Voici un film qui a de nobles intentions et des prestations aimables, mais qui se fait constamment plomber par l’homme derrière la caméra.
Adaptée par le scénariste Jeffrey Caine, l’histoire a beaucoup de choses à dire sur les méfaits des entreprises pharmaceutiques en Afrique, suivant l’investigation bureaucratique du diplomate britannique Justin Quayle (Ralph Fiennes) de la mort mystérieuse de sa femme activiste Tessa (Rachel Weisz). Un peu trop de détails de la situation échappent à l’esprit méticuleusement ordonné de Justin (le titre anglais est au sens figuré : il jardine tout le temps), et c’est en recherchant des réponses qu’il découvrira une conspiration impliquant le gouvernement britannique, les sociétés médicales, des patients africains atteints du SIDA, des ONG et d’autres intérêts assortis qui sont trop nombreux pour être expliqués. En gros, Le Grand Méchant Loup du Capitalisme Occidental se caresse la moustache devant La Pauvreté une fois de plus, et une fois de plus c’est à des idéalistes occidentaux rongés par la culpabilité de sauver le monde (et de purifier leur propre conscience, bien entendu).
Oui, voilà un nouveau candidat dans le sous-genre populaire d’intrigues politiques qui visent à la fois à gronder les spectateurs du premier monde pour leur « complaisance » parmi des tragédies internationales, tout en les rassurant qu’un peu de courage et de détermination de leur part est tout ce qu’il faudra pour arranger les choses. Apparemment, il est « arrogant » d’imaginer qu’on est les seuls à pouvoir diriger la planète, mais pas d’imaginer qu’on est les seuls à pouvoir la sauver. Ce type de fable a déjà été exagérée jusqu’à l’absurde dans L’Interprète, qui voyait une héroïne se battre passionnément pour l’Afrique, sa patrie, et qui était jouée par… Nicole Kidman.
C’est la partie « message » du film qui devient l’élément le plus problématique. L’histoire est mise en scène comme étant le déroulement d’un mystère, mais les messages intentionnés s’affichent au premier rang, d’une façon tellement précoce que beaucoup trop des réponses à venir deviennent trop faciles à deviner. Ce qui se passe, qui est responsable et même le pourquoi de la situation sont télégraphiés trop tôt, trop vite, et en compagnie du style temporellement dispersé du montage, on prend souvent énormément d’avance sur le personnage de Fiennes, qui est censé nous guider à travers l’histoire.
Au bonheur du film et de son public, toutefois, cette partie problématique reste largement une préoccupation secondaire du travail d’ensemble. Messages mis à part, le film se consacre surtout à l’étude de Fiennes et à la transformation détaillée de son personnage : son Justin Quayle a toujours aimé Tessa, mais jamais entièrement compris sa passion humanitaire pour l’activisme au sein de la pauvreté africaine, mais en décryptant la conspiration qu’elle combattait, il arrive enfin à piger ses excentricités, et oui, il devient encore plus amoureux qu’avant. C’est un périple mélodramatique mais intriguant à suivre, et Fiennes se révèle être à la hauteur : on n’aura pas vu un tel stoïcisme british se transformer en zèle héroïque et improviste d’une façon aussi divertissante depuis Sam Lowry dans le Brazil de Terry Gilliam.
Des louanges sont également de mise pour Weisz, qui se voit confiée la tâche difficile d’habiter un personnage que l’on connait principalement à travers des flashbacks et des souvenirs. Il va de soi que le film est un peu trop amoureux de Tessa, et finit par lui accorder l’éclat divin d’une martyre (un autre personnage activiste est carrément crucifié, au cas où on n’aurait pas pigé le truc), mais c’est grâce à la prestation lumineuse de Weisz qu’on nous permet de comprendre pourquoi son personnage était vu comme étant aussi exaspérante, énigmatique et parfois insupportable par ses semblables. On nous demande d’admirer le cran de Tessa, mais pour la plupart, nous ne sommes pas tenus de percevoir son attitude ou ses méthodes comme étant entièrement correctes : quand des scènes montrent Justin en train de perdre patience avec elle, le film ne demande jamais au spectateur de « choisir son camp ».
Lorsque le drame des personnages s’occupe de la navigation, narrant le récit de Fiennes alors qu’il est guidé à travers un labyrinthe de complots par les souvenirs fantomatiques de sa femme, le film arrive à s’épanouir. C’est donc dommage qu’il soit aussi souvent interrompu ou dérouté par le martèlement contondant de sa morale, ou par la tendance inquiétante du réalisateur à étaler ses compétences à des moments inappropriés. Les airs va-et-vient, aller-retour du récit prouvent que Meirelles sait ce qu’il fait avec un schéma narratif fragmenté, certes, mais ils finissent par nous avertir des secrets du film beaucoup trop à l’avance.
The Constant Gardener devient moins intéressant en cours de route, et finit par tomber dans une boucle rétroactive : toutes les deux scènes, Fiennes prend du bon temps avec un acteur moyennement célèbre (Bill Nighy, Gerard McSorley, Pete Postlethwaite, Danny Huston…) pour causer un peu. Tout le monde lui dit qu’il a raison, il y a vraiment une conspiration, et c’est à peu près tout ce qu’ils ont à dire. La deuxième heure du film est pratiquement la même scène, répétée encore et encore. Et une séquence, qui se passe dans un hôpital et impliquant un bébé africain, utilise une série de jump-cuts pour jouer un tour inutile (et un peu cruel) au spectateur. Cela dit, son talent reste frappant et indéniable : les panoramiques sinistres mais magnifiques des paysages délabrés et des bidonvilles grouillant de vie, présentés avec une cinématographie trompeusement naturaliste, parviennent presque à transformer le continent africain en un personnage à part entière.
Globalement, les défauts persistants d’un moralisme politique maladroit et un excès de compétence de la part du réalisateur commencent à s’empiler lorsque The Constant Gardener chemine vers sa conclusion, mais le film reste une curiosité intrigante, bien montée et profondément ambitieuse. Ses moments les plus intéressants sont les flashbacks, revisitant les jours plus heureux de Justin et Tessa. Le personnage de Weisz est arriviste mais désarme avec ses bonnes intentions, et sa passion le prend à revers. Renfermé à l’origine, Justin trouve enfin son dégel, et à travers ce choc de personnalités, les deux interprètes évoquent une chaleur érotique considérable. Le charme de cette magie prend effet même lorsque Meirelles tente de nous distraire en filmant des scènes à travers des webcams, augmentant les couleurs et les jump-cuts, changeant de pellicule et mettant la caméra à l’envers. On appelle ça un jeu d’acteurs – encore et toujours le meilleur des effets-spéciaux…
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Mars Distribution