[Critique] AD ASTRA

CRITIQUES | 19 septembre 2019 | Aucun commentaire
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Titre original : Ad Astra

Rating: ★★★★☆

Origine : États-Unis

Réalisateur : James Gray

Distribution : Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Ruth Negga, Liv Tyler, Donald Sutherland, Jamie Kennedy, Kimberly Elise, Ravi Kapoor…

Genre : Science-Fiction/Drame

Durée : 2h04

Date de sortie : 18 septembre 2019

Le Pitch :

Une série de puissantes surcharges énergétiques causent de graves problèmes un peu partout sur la Terre. Des phénomènes qui, après examen, semblent provenir d’une base spatiale oubliée, située aux confins du système solaire, près de Saturne. Là même où fut envoyée il y a plusieurs années une navette en quête de traces de vie extraterrestre. Afin de tenter de sauver la planète, gravement menacée par ces surcharges, une mission est rapidement mise en place avec à sa tête, Roy McBride, un astronaute dont le père dirigeait justement les opérations près de Saturne avant que le contact ne soit totalement rompu il y a plusieurs années. L’objectif de Mc Bride : se rendre sur Mars pour tenter de joindre son père afin d’essayer d’éviter le pire à une planète Terre en sursis…

La Critique de Ad Astra :

Cinéaste new-yorkais, James Gray a justement passé de nombreuses années, au fil de remarquables films comme Little Odessa, The Yards, Two Lovers ou La Nuit nous appartient, à explorer les rues de sa ville natale, théâtre de tragédies familiales et autres romances contrariées aux puissantes répercutions. Un cycle qui s’est interrompu avec The Immigrant, sa chronique historique centrée sur l’arrivée à Ellis Island d’une jeune femme polonaise au début des années 20. Puis Gray a changé de terrain de jeu, sans pour autant renoncer à explorer. The Lost City of Z a ainsi marqué un cap dans sa carrière, en le projetant en pleine jungle aux côtés d’un aventurier obstiné, à l’occasion d’une quête aux relents existentiels, là encore lourde de sens et par ailleurs toujours marquée par le talent du metteur en scène quand il s’agit d’accorder le fond avec la forme. Ad Astra, son nouveau film, s’il peut lui aussi à première vue, s’imposer comme une sorte de rupture dans la filmographie de Gray, vient admirablement bien se rattacher à The Lost City of Z, et, dans une moindre mesure, à tous les films qui l’ont précédé. L’exploration encore et toujours, dans l’immensité de l’espace, une autre sorte de jungle en soi, où la folie guette plus que jamais les âmes égarées et où les échappatoires se font de moins en moins nombreuses à mesure que l’on se laisse happer par cette obscurité effrayante.

2019, Odyssée de l’hyper-espace

Il semble incontournable, pour tout cinéaste désireux de faire de l’espace son terrain de jeu, de se référer au chef-d’œuvre métaphysique de Stanley Kubrick, 2001, L’Odyssée de l’espace. À plus forte raison quand on cherche, à l’instar de Gray, à se démarquer de la dynamique prévisible des blockbusters, dont le but consiste principalement à nous en mettre plein la vue. Que ce soit donc Alfonso Cuarón, Christopher Nolan ou maintenant James Gray, tous ont prêté allégeance à ce monument insubmersible qui, en son temps, a posé à peu près toutes les bases du genre. Ce genre étant donc, le space-opéra existentiel. Le truc qui fait une petite différence chez James Gray, c’est que si on pense bien sûr très vite à 2001, on s’aperçoit rapidement que ce n’est pas son influence première. Non, Gray lui, reste fidèle à celui qui a nourri dès ses débuts, son cinéma, à savoir Francis Ford Coppola. Et si La Nuit nous appartient ou The Yards étaient de toute évidence très influencés par Le Parrain et d’autres films de Coppola, Ad Astra lui, évoque davantage Apocalypse Now. Le livre dont le Coppola est l’adaptation, Au Cœur des Ténèbres, de Joseph Conrad, ayant irrémédiablement marqué au fer rouge James Gray. Nous retrouvons donc Brad Pitt/Martin Sheen, en partance pour une région reculée et pleine de dangers (hier la jungle cambodgienne, aujourd’hui un secteur relativement inexploré du système solaire), à la recherche d’un homme ayant potentiellement perdu la raison. Un homme, qui dans Ad Astra, est carrément le père du héros. Ce qui n’était pas le cas dans Apocalypse Now avec le Kurtz de Marlon Brando. Mais il fallait bien que Gray se démarque et on ne saurait d’ailleurs trop le saluer pour sa façon de faire, à savoir en douceur et avec déférence. Gray ne prétendant jamais vouloir faire mieux qu’Apocalypse Now, mais préférant disserter sur des thématiques parfois tout autre, à partir d’un postulat similaire, remis au goût du jour pour admirablement coller avec certaines préoccupations écologiques de notre époque.

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Dans l’espace, personne ne vous entend pleurer

Pour autant, si la maîtrise technique est ici totale, le film contenant quelques-unes des séquences les plus belles et les plus impressionnantes vues sur un écran de cinéma ces dernières années, le procédé mis en place par Gray ne va pas sans accuser quelques menus ratés. Au début tout particulièrement, quand le réalisateur semble d’emblée chercher l’approbation de ses modèles, en brouillant les pistes. Nébuleuse, l’introduction apparaît avec un peu de recul relativement ampoulée. Par la suite tout rentre dans l’ordre mais à la fin, le film nous refait le coup, avec plus d’insistance et cette tendance à convoquer des gimmicks rappelant un peu le cinéma de Terrence Malick, avec cette voix off omniprésente qui parfois, en rajoute des couches dans l’aspect contemplatif pas toujours justifié. Car au fond, nul besoin était de surligner certains aspects de l’histoire pour nous faire comprendre où le métrage voulait en venir. Si Ad Astra, avec une fantastique poursuite sur la Lune et une attaque plutôt gore, aussi inattendue que marquante, pense à se montrer plus qu’à son tour spectaculaire, il reste avant tout un drame existentiel. Une tragédie sur les relations père-fils. Comme l’était notamment La Nuit nous appartient d’ailleurs. Une odyssée où l’espace ne tient parfois que le rôle de prétexte, afin de donner à l’essentiel, à savoir la quête d’un homme en pleine détresse à la recherche de ses origines, une résonance encore plus puissante et philosophique. Il n’y a qu’à voir comment Gray achève son récit pour s’en convaincre. Une fin un peu bâclée, qui expédie certaines problématiques purement matérielles pour définitivement se concentrer sur le personnage campé par Brad Pitt et sa quête de sérénité. Comme si les actes de ce dernier ne pouvaient avoir de conséquences « basiques » pour ne pas interférer avec les raisons qui les ont motivés.

L’étoffe d’un héros

Terriblement ambitieux, sur tous les plans, Ad Astra pêche donc un peu par excès, quand il tente de raconter la quête de son astronaute en perdition (au propre comme au figuré) quand tous les précédents films de Gray (à part The Immigrant peut-être) faisaient preuve d’une sobriété tout à fait à propos. Peut-être un peu écrasé par ses prestigieuses mais intimidantes influences, le metteur en scène ne se laisse heureusement pas démonter et fait toujours preuve d’un esprit frondeur et d’un véritable sens de la poésie lui permettant de tout de même livrer une œuvre sans cesse passionnante. Gray qui sait de plus, et c’est très important, exploiter son acteur principal. La tête dans les étoiles, Brad Pitt trouve ici l’un de ses meilleurs rôles, quelques semaines après avoir crevé l’écran dans Once Upon a Time… In Hollywood. Touchant, il fait quant à lui preuve d’une sobriété exemplaire et n’oublie jamais l’essentiel, incarnant tout ce que le film tente de nous communiquer deux heures durant. Une performance qui permet à Ad Astra de ne pas se perdre dans l’immensité de ses intentions et qui porte un spectacle brillant, intelligent et à n’en pas douter fascinant. Y compris dans ses imperfections.

En Bref…

Complexe, passionnant, visuellement magnifique et porté par un Brad Pitt en état de grâce, Ad Astra s’impose comme un excellent film de science-fiction existentielle. Le digne héritier de 2001, Odyssée de l’espace mais aussi d’Apocalypse Now, sa référence première. Deux œuvres dont James Gray semble d’ailleurs avoir dû mal à s’extraire, lui qui y revient sans cesse, parfois maladroitement, notamment à travers des mécanismes pas toujours très utiles. Cela dit, si Gray trébuche, il ne manque pas le coche et sait captiver du début à la fin, quitte à prendre plusieurs risques pas toujours payants. Mais n’est-ce pas là le propre des grands artistes ? Risquer, tenter et faire preuve d’audace ?

@ Gilles Rolland

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Crédits photos : Twentieth Century Fox France
Par Gilles Rolland le 19 septembre 2019

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