[Critique] L’ODYSSÉE

CRITIQUES | 14 octobre 2016 | Aucun commentaire

Titre original : L’Odyssée

Rating: ★★★½☆
Origine : France
Réalisateur : Jérôme Salle
Distribution : Lambert Wilson, Pierre Niney, Audrey Tautou, Vincent Heneine, Benjamin Lavernhe, Laurent Lucas, Olivier Galfione, Thibault de Montalembert, Roger van Hool, Chloé Hirschman…
Genre : Aventures/Drame/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 12 octobre 2016

Le Pitch :
Jacques-Yves Cousteau et son épouse Simone décident de quitter leur belle maison au bord de l’eau en Méditerranée, et d’acheter un vieux bateau afin d’aller explorer le monde sous-marin. Après avoir remis en état de marche le bateau auquel ils donnent le nom de Calypso, ils embarquent et voyagent à travers le monde tout en réalisant des films documentaires pour la télévision. Le couple placera ses enfants en pension délaissant leur vie de famille. Une plongée dans les expéditions du célèbre Commandant Cousteau et son équipage…

La Critique :
Jacques-Yves Cousteau fait partie du patrimoine français. Comme un Jules Verne ou un Victor Hugo, le Commandant surnommé « JYC » s’est installé au beau milieu des grands noms qui ont marqué l’histoire de la France. La renommée des expéditions du Calypso, le bateau mythique de Jacques-Yves Cousteau, de son épouse et de leur équipage, fut internationale et perdure encore aujourd’hui. En effet, l’héritage est incroyablement colossal. Les expéditions menées de Méditerranée jusqu’au bout du monde ont inspiré une génération entière mais aussi les suivantes, tout en apportant de nouvelles connaissances sur le monde marin. Un monde marin représentant un univers à part entière, alors complètement méconnu, et même considéré comme effrayant. Jules Verne, écrivain et visionnaire, auteur du très célèbre Vingt mille lieues sous les mers qui sortit en 1869-70, a fortement contribué à cette image à la fois terrifiante et fascinante. Aventurier et explorateur mais avant tout cinéaste, Jacques-Yves Cousteau a collaboré à plus de cent films et en a d’ailleurs réalisé un certain nombre avec ses acolytes. Sa filmographie a obtenu de nombreuses récompenses, notamment Le Monde du silence, probablement son long métrage le plus connu, qui remporta la Palme d’or au Festival de Cannes en 1956, et l’Oscar du meilleur film documentaire la même année. Jacques-Yves Cousteau a également co-écrit plusieurs livres avec d’autres personnes. Son premier ouvrage est intitulé Par dix-huit mètres de fond et a été écrit avec l’officier de marine et plongeur sous-marin Philippe Tailliez. C’est ce dernier qui fit découvrir la plongée sous-marine à JYC, et avec qui il forma accompagné de Frédéric Dumas, le trio surnommé « les Mousquemers ». Tous trois furent les pionniers de la plongée sous-marine en scaphandre autonome, dispositif de plongée perfectionné par Émile Gagnan et JYC, mais finirent par se séparer en prenant des directions différentes. Frédéric Dumas fut tout de même chef de plongée à bord du Calypso et participa à la réalisation de nombreux films et documentaires relatant les aventures de l’équipage. Il a d’ailleurs beaucoup travaillé sur Le Monde du silence mais se consacra par la suite à l’archéologie sous-marine, étant expert en ce domaine. Il est interprété par Olivier Galfione dans le film. Philippe Tailliez, interprété ici par Laurent Lucas, prit très tôt conscience de la fragilité des océans et continua son œuvre en devenant membre fondateur du Comité scientifique du parc national de Port-Cros, créé en 1964, et de l’Institut océanographique Paul Ricard. Philippe Tailliez se consacra donc à la préservation de l’environnement marin et avait déjà sensibilisé le Commandant Cousteau sur cette question. L’Odyssée fait brièvement référence à ce trio, afin de raconter les prémices de cette histoire fascinante. Jacques-Yves Cousteau, lui, entrepris et continua ses longs voyages qui furent retranscrits sur la pellicule, ce jusqu’à la fin de sa vie. Passant du statut de cinéaste très productif et dévoreur, voire destructeur, de milieu naturel, à celui de protecteur de l’environnement, il connut une évolution très intéressante. C’est ce que L’Odyssée, réalisé par Jérôme Salle tente de nous raconter.

lodyssee

Le film ne nous dépeint pas un homme parfait et tellement grandiose qu’il serait dénué de défauts, bien au contraire. Il n’apparaît en effet aucune notion d’héroïsme dans ce portrait, qui n’en est d’ailleurs pas vraiment un. Cet aspect non héroïque s’exprime surtout dans le sens où il n’y a aucune glorification pompeuse mise en avant qui aurait pu servir des desseins douteux, comme ceux d’éblouir à tout prix ou de rafler des récompenses. Nous n’avons pas ici un portait consensuel, fade et inintéressant, mais plutôt le récit d’une tranche de vie, d’un périple, d’une aventure humaine et environnementale. Dans le film, Cousteau reste un être humain avec tout ce que cela incombe, défauts et qualités comprises. Un homme qui n’hésita pas à laisser ses enfants grandir en pension, pour pouvoir aller sillonner les mers avec sa compagne Simone Cousteau ; et qui de part sa présence et son charisme, finira aussi par écraser ceux qui l’entourent, même ses proches, sans forcément en avoir conscience d’ailleurs. Un couple qui n’hésite pas non plus à faire passer sa carrière et ses désirs personnels avant ses enfants, de ce que l’on peut voir dans le film. Néanmoins, leurs deux fils Philippe et Jean-Michel, délaissés mais aimés, les rejoindront dans leurs aventures une fois devenus adultes.

Dans le rôle titre du Commandant, on retrouve Lambert Wilson, probablement dans l’un de ses meilleurs rôles. Sobre, sincère et toujours juste, sa prestation est épatante d’authenticité et contribue à l’émotion forte qui se dégage du film, notamment et surtout dans la seconde partie. Jacques-Yves Cousteau est présenté comme un homme enchaînant les conquêtes et délaissant son épouse, qui apparaît ici sous les traits d’une Audrey Tautou très juste. Cette dernière offre d’ailleurs l’une des plus belles séquences au long-métrage. Elle incarne une épouse lasse et fatiguée, bien que sincèrement aimée par le Commandant mais aussi par l’équipage. Par ailleurs, L’Odyssée n’apparaît pas comme un réel biopic à proprement parler, et ne semble pas non plus avoir été présenté comme tel par l’équipe du film, à travers sa promotion. La caméra ne s’attarde jamais grossièrement sur le seul personnage de JYC, vous n’aurez donc pas droit – et c’est tant mieux – à ces innombrables gros plans sur un protagoniste bien trop pensif et s’observant longuement lui-même. Le long-métrage laisse en effet beaucoup de place aux autres personnages, notamment à Philippe Cousteau, le fils du célèbre Commandant, remarquablement interprété par un Pierre Niney investi, tout en nuances, et qui parvient à installer une émotion sincère. Il est un élément central dans le film, car il joue un rôle décisionnaire auprès de son père. Pierre Niney a d’ailleurs été présent dès les origines de ce projet et aurait insisté pour que le personnage de Philippe ait une plus grande importance, ce qui s’avère être au final une excellente idée. On notera par ailleurs que le comédien s’est aussi brillamment illustré cette année dans le très bon Frantz de François Ozon. L’autre personnage principal de cette œuvre cinématographique marine teintée de mélancolie, c’est à n’en pas douter la nature. Les paysages sont époustouflants et poétiques, ils permettent un envol onirique dépaysant et profondément harmonieux. Les images de synthèse n’ont été utilisées qu’en de très rares occasions, afin de recréer certains détails par exemple, mais aussi pour une scène avec des bancs de poissons foisonnants, en Méditerranée. Une luxuriance poissonneuse qui, aux dires de l’équipe du film, n’a pas été retrouvée dans cette mer extrêmement menacée mais aussi très polluée à diverses échelles. Le message écologique que veut porter le long-métrage apparaît d’ailleurs avec ce constat d’une mer en totale perdition. La scène de plongée où Philippe Cousteau (Pierre Niney) veut faire découvrir les merveilles méditerranéennes de son enfance à son épouse Jan, interprétée par Chloé Hirschman, mais où ce dernier découvre une mer devenue presque morte, est assez représentative de ce que veut transmettre le film. Le rôle de Philippe Cousteau, grand explorateur et pilote d’avion ayant participé aux expéditions de son père, a été primordial dans la prise de conscience environnementale de JYC.

Pour le tournage, l’équipe s’est rendue dans divers coins du globe, ramenant des images assez incroyables, ce qui a sans doute également aider les acteurs à s’immerger complètement dans l’histoire et ce qu’elle veut raconter. À savoir la préservation de la nature et ses trésors. Le tournage qui a pris des allures internationales nous emmène en France bien sûr, mais aussi en Croatie, en Afrique du Sud, ou encore aux Bahamas pour la fameuse scène des requins, mais surtout en Antarctique. La scène réelle tournée aux Bahamas en présence des requins est franchement impressionnante, les comédiens évoluant avec une quarantaine voire une cinquantaine de squales autour d’eux. Et si l’on en croit les propos de Pierre Niney, la rencontre avec ces grands prédateurs fut apaisante et loin d’être oppressante ou agressive. Rappelons que les requins, présents sur le globe depuis des millions d’années, sont malheureusement extrêmement menacés de nos jours. Lambert Wilson et Pierre Niney ont également fait la rencontre de baleines à bosse au large de l’Afrique du Sud, lors du tournage. Cependant, ce qu’il restera probablement de L’Odyssée, c’est sans doute toute la séquence filmée en Antarctique, magnifique et formidablement immersive. Alors bien sûr, depuis les films de Cousteau, de nombreux documentaires sur l’Océan ont vu le jour, dont certains tournés en Antarctique. Il y a également eu le très fameux Océans réalisé par Jacques Cluzaud avec Jacques Perrin, mais la séquence tournée en Antarctique par Jérôme Salle pour L’Odyssée n’en demeure pas moins superbe. Elle est éblouissante, aussi bien du point des images que de celui de la narration, mais aussi pour la symbolique. Car c’est ce moment précis qui fera chavirer la destinée du Commandant Cousteau en l’amenant sur un nouveau terrain qui est celui de l’écologie, de la protection de l’environnement. Face à la beauté de cet immense monde glacé et sauvage, l’un des rares endroits sur terre qui demeure encore entièrement vierge de toute installation humaine, Jacques-Yves Cousteau prendra un tournant très important quant à la suite de ses aventures. Le reste de sa vie sera consacré à la préservation d’un monde qu’il a longtemps essayer de s’approprier, qu’il a même tantôt dévorer. En effet, l’appétit vorace du navigateur est aussi dépeint dans le film, on le voit négocier des sommes d’argent nécessaires à l’entretien de son bateau et pour ses films, en échanges de prospections pétrolières pour de grandes compagnies. On peut également le voir, lui et ses matelots, mépriser la faune sauvage en la capturant et en « l’humanisant » afin de servir des documentaires aux accents clairement anthropomorphiques. Son art s’est en fait, peu à peu réduit à une machine industrielle sans âme en raison des dettes importantes accumulées qui menaçaient de faire couler son empire. Le métrage ne cache donc pas certaines zones d’ombre qui entourent la personnalité du célèbre navigateur, sans pour autant s’attarder sur toutes les critiques que nos contemporains peuvent émettre à son sujet.

La séquence tournée en Antarctique est aussi le moment qui ancre le long-métrage dans une dramaturgie assez prégnante. Ce passage plein de féerie survient par ailleurs à un moment où l’ennui commençait sérieusement à pointer le bout de son nez, et constitue donc une revigorante et nécessaire bouffée d’air frais. Car en effet, malgré d’excellents points positifs, L’Odyssée a des défauts bien présents qui l’empêchent clairement de s’installer au rang des inoubliables. Le film manque considérablement de souffle, trop focalisé sur des détails qui semblent insignifiants. Il manque aussi clairement de passion et d’énergie. Trop calme, sans doute. On aurait préféré voir un film beaucoup plus accès sur l’aventure. Cet effet ressenti est le choix d’un réalisateur qui semble avoir fait de la sobriété son leitmotiv. Cela vaut pour les interprétations, tout en nuances et qui ne débordent jamais, mais aussi pour la réalisation, qui n’en fait jamais des tonnes, du coup. Niveau maquillage, c’est aussi bluffant. Lambert Wilson et Audrey Tautou alias Jacques-Yves et Simone Cousteau traversent les époques avec une incroyable crédibilité. Le soucis est de n’avoir pu trouver un juste équilibre entre sobriété et engouement. Mais après tout, on peut sans doute juger un film de part sa capacité à laisser un souvenir fort. De part certaines scènes qui restent en mémoire en y laissant une empreinte. Et c’est certainement le cas du film de Jérôme Salle, qui en plus d’être doté d’images à couper le souffle et d’acteurs impeccablement à leur place, raconte aussi une relation père-fils complexe et très conflictuelle. Cette plongée au milieu de conflits familiaux universels permet d’extraire le cœur et les racines d’une émotion puissante.

Biopic ou pas, L’Odyssée s’attarde donc sur cette personnalité française devenue mythique au fil du temps. Presque vingt ans après sa disparition, le nom de Jacques-Yves Cousteau est toujours aussi illustre, tandis que son héritage est quant à lui immense et très large. Une popularité qui commence cependant à s’essouffler selon Jérôme Salle, grand admirateur de Cousteau, qui en réalisant L’Odyssée, a voulu rendre hommage à cet équipage et s’assurer la pérennité de ses découvertes. De ce que ces dernières ont apporté au monde. À côté de tout ça, le film Le Monde du Silence a déclenché une polémique en 2015, concernant le traitement fait à la faune et de la flore par l’équipage. Dans le film, on peut en effet voir les hommes de La Calypso utiliser de la dynamite pour détruire des zones de corail et de nombreux poissons, afin d’effectuer un recensement des populations des espèces marines. On observe également l’équipage tuer deux cachalots par accident mais aussi par un très grand manque de professionnalisme, et massacrer volontairement de façon abominable de nombreux requins. Le Monde du Silence n’est pas le seul film signé Cousteau qui pourrait choquer de nos jours. Dans 500 millions d’années sous la mer (1973) par exemple, on peut aussi voir l’équipage du Calypso faire couler du plastique dans des fosses sous marines, afin de matérialiser ces abris sous marins. En 2016, tout ceci nous paraît choquant et il est vraiment très difficile d’observer ces images, mais il ne faut pas oublier que ces films sont sortis à une époque où l’écologie, le bien-être animal ou encore la préciosité des écosystèmes marins n’étaient pas du tout à l’ordre du jour. La conscientisation à ce niveau-là a été longue et laborieuse. Cela dit, ces faits n’excusent en rien ces massacres provoqués par un manque de sérieux flagrant, une absence d’empathie, mais aussi par un désir de sensationnalisme dans le but de vendre les documentaires et générer des intérêts financiers importants. À travers le film, on apprend et comprend que la conscience écologiste de JYC ne s’est développée que bien plus tard, son équipage et lui-même étaient d’abord des conquérants et explorateurs avant d’être des protecteurs des mers et des océans.

Comme dit plus haut, l’héritage de Jacques-Yves Cousteau est cependant plutôt immense. Non content d’avoir laissé un nombre incalculable de films, il a aussi créé une association The Cousteau Society que sa seconde épouse, Francine Cousteau préside aujourd’hui. Jacques-Yves Cousteau a également été un grand défenseur de l’Antarctique et a contribué à la création du moratoire de 1991, un traité qui interdit toute exploitation des ressources naturelles du continent blanc jusqu’en 2048. Ses enfants et petits enfants sont tous de près ou de loin aujourd’hui investis dans des actions en faveur de la préservation des mers et des océans. Yves Paccalet ou encore François Sarano, ayant tous deux travaillé avec Jacques-Yves Cousteau, sont devenus des écologistes convaincus, actifs et reconnus. François Sarano, chef d’expédition et ancien conseiller scientifique du Commandant Cousteau, a créé l’association Longitude 181 Nature à cet effet. Ce dernier a d’ailleurs doublé certains scènes sous-marines de Lambert Wilson, pour les besoins du film.

Le scénario de L’Odyssée s’inspire du livre écrit par Albert Falco et Yves Paccalet, intitulé Capitaine de la Calypso, sortit dans les années 1990. Cet ouvrage rassemble les souvenirs d’expéditions d’Albert Falco, qui aura passé le plus clair de sa vie sur le fameux bateau, évoluant du poste de simple plongeur à celui de commandant. Albert Falco surnommé « Bébert » est interprété par Vincent Heneine dans le film et il est un personnage important.

En Bref…
L’Odyssée, qui porte bien son nom, est un périple sobre aux très belles images qui parvient à approcher une personnalité érigée au rang de mythe, sans pour autant sombrer dans la facilité. Le film se veut humain et réaliste mais se fait surtout le vecteur d’un message écologiste fidèle aux derniers désirs d’un Commandant imparfait, mais qui aura su se remettre en question. L’Odyssée n’est pas un film sans défauts, il manque énormément d’entrain, mais il parvient tout de même à capter l’essentiel avec un propos intelligent et primordial, tout en ne cessant d’imposer une beauté visuelle saisissante et immersive.

@ Audrey Cartier

lodyssee  Crédits photos : Wild Bunch Distribution

Par Audrey Cartier le 14 octobre 2016

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