[Criitique] L’AMOUR EST UNE FÊTE

CRITIQUES | 24 septembre 2018 | Aucun commentaire

Rating: ★★½☆☆

Origine : France
Réalisateur : Cédric Anger
Distribution : Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Camille Razat, Michel Fau, Xavier Beauvois, Elisa Bachir Bey, Valeria Nicov, Inge Van Bruystegem…
Genre : Drame/Thriller
Date de sortie : 19 septembre 2018

Le Pitch :
Paris,1982. Franck et Serge sont patrons d’un peep-show parisien et tournent des petits films pornographiques pour attirer les clients. L’initiative connaît un succès grandissant mais un soir, l’enseigne est détruite par des hommes cagoulés. Les deux entrepreneurs n’ont alors pas d’autres choix que de faire affaire avec leurs concurrents. Petit détail cependant : Franck et Serge sont deux enquêteurs sous couverture chargés de faire un coup de filet dans le milieu du X…

La Critique de L’Amour est une Fête :

Ces dernières années, entre les reboots, les remakes, ou tout simplement les références à la pop culture, la nostalgie est à la mode. Souvenir d’une époque pleine de promesses de lendemains qui chantent. Tous les aspects de la culture y passent, y compris certains plus inattendus. À l’époque d’internet et du porno hyper-industrialisé, les adeptes se tournent vers les souvenirs de l’âge d’or du genre, celui des salles, des films tournés en pellicule et des premières stars. Cédric Anger, à qui on doit entres autres le très remarqué polar La Prochaine Fois, Je Viserai le Cœur, est de ceux-là. C’est un sujet qui l’a toujours passionné et qui l’a conduit à écrire et réaliser L’Amour est une Fête (titre faisant à la fois un clin d’œil au livre du même nom de Sylvia Bourdon, ainsi qu’à l’appellation un chouia hypocrite et naïve « film d’amour » pour désigner le X). Un sujet qui peut déboucher sur des choses de qualité, comme la récemment prouvé la série comme The Deuce. Cependant, c’est aussi extrêmement casse-gueule.

Pour une poignée de boulards

L’Amour est une Fête nous ramène à une époque de changements sociaux majeurs en France, ainsi que l’aboutissement d’une révolution sexuelle et d’une libération des mœurs entamées à l’époque du Summer of Love. C’est une période qui marque la fin d’une certaine insouciance dans l’industrie pornographique, avant le début de la pandémie du Sida, avant le début du changement de la professionnalisation du X, avant la fermeture des salles de projection et d’un coup porté par l’état à ce business sous couvert de lutte contre le blanchiment d’argent. Rendre un hommage bienveillant, telle est l’ambition sur le papier de Cédric Anger. À aucun moment, il n’a visiblement songé à prétendre s’envoler vers les sommets pour côtoyer des films comme le chef-d’œuvre de Paul Thomas Anderson, Boogie Nights. Anger qui a par contre opté pour certains parti-pris comme l’utilisation des codes du genre, tout en embauchant des personnalités du milieu comme Alban Ceray, Marilyn Jess ou Jade Laroche.
L’Amour est une Fête débarque ainsi avec de sérieux atouts. Cédric Anger est loin d’être un manche avec une caméra. Tourné en cinémascope, avec l’appui de la photo classieuse de Thomas Hardmeier (qui a officié sur Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert) avec ce petit grain d’image à l’ancienne, Anger livre quelques scènes superbes, dont une post-générique avec le tube Cum on Feel the Noize de Slade, ou encore la séquence de l’attaque du peep show. Un début qui pose la patte d’une ode à la liberté marquée par un état d’esprit rock n’roll. À l’époque d’un cinéma devenu hyper balisé pour ne pas froisser et des polémiques sur Twitter, ce contre-pied apparaît de prime abord comme salutaire.

Enquête sous X

Cela dit, c’est bizarrement quand le film montre ses atouts que le rythme commence à se tasser bizarrement avec cette histoire d’enquête servant de prétexte à l’histoire mais tombant comme un cheveu dans la soupe. Une investigation qui prend parfois trop de place pour pas grand-chose et qui semble vouloir opposer une force d’État ferme sur sa moralité à de joyeux hédonistes. Mais le milieu du porno n’est pas celui des radios pirates et le face-à-face qui avait fonctionné à merveille dans Good Morning England ne fonctionne pas ici, et les mauvais côtés du divertissement pour adultes, comme le fait de frauder les impôts ou encore le sort des actrices, sont plutôt survolés et traités avec une bienveillance naïve. Le fait que les flics tirent tous la tronche et vivent dans une ambiance grisâtre alors qu’en face, ça semble presque le paradis, n’est d’ailleurs pas anodin.
Dans ce contexte, ce sont Guillaume Canet et Gilles Lellouche, pourtant en tête d’affiche, qui offrent les personnages les moins enthousiasmants. Pas aidé par son rôle, Canet joue le registre minimaliste du cocker anémié en attente d’euthanasie, loin, très loin de ce qu’il avait montré dans le très bon Rock’n Roll. Lellouche, quant à lui, est tellement caricatural qu’on croirait un sketch. Par opposition, des seconds rôles, certes moins construits, sont mieux mis en avant. En particulier Xavier Beauvois, hilarant dans son rôle de réalisateur contrarié dont la créativité n’a d’égal que l’absence de moyens, et Michel Fau impeccable en producteur excentrique et imprévisible.

Garde à nue

Si L’Amour est une Fête est supposé être un hommage, il ne se défait pas de certains clichés erronés sur le X, notamment sur les acteurs et actrices, supposés limités intellectuellement et au niveau du jeu. Concernant ces dernières, le traitement est symptomatique d’une maladresse d’écriture qui confine à la misogynie. On se croirait revenu au temps des comédies pouèt-pouèt françaises (ou franco-italiennes) dont Max Pécas était le plus illustre représentant) tant les rôles féminins sont hyper limités. Leur fonction semble alors se limiter à de sublimes demoiselles à la plastique spectaculaire, peu farouches et destinées à s’éclater et à s’envoyer en l’air, enthousiastes à l’idée de tourner du porno et incapables d’aligner trois lignes de texte. La seule qui se détache est la charismatique Camille Rozat, qui irradie la pellicule, mais dont le rôle est franchement sommaire. Même constat pour Clémentine Baert, qui interprète la femme de Serge (Gilles Lellouche) et dont le seul texte consiste à parler des enfants ou du shopping. Si cette vision des femmes serait passée inaperçue il y a 40 ans, dans le contexte actuel, un tel parti-pris confère au suicide artistique et fait que le film prête le flanc à ses potentiels détracteurs, y compris les moins acharnés. Et ce n’est pas l’humour de certaines répliques (« Si tu ne baises pas Pamela, elle va croire que tu ne l’aimes pas ») qui va calmer le jeu…

En Bref…
L’Amour est une Fête aurait pu être une comédie salutaire sur un sujet clivant, une ode à la liberté sexuelle doublée d’un hommage fun à une industrie qui suscite autant de fascination que de répulsion. Malheureusement, il ne possède pas les nuances et la maîtrise de Boogie Nights ni le fun de Zack & Miri font un Porno. D’une bienveillance plutôt naïve, Cédric Anger offre une vision (surtout des femmes) digne d’un polémiste après deux cubis de Villageoise. C’est dommage quand on apprécie les qualités techniques mises en avant dans le premier quart. À l’image du dénouement certes métaphorique mais aussi convenu que peu subtil, L’Amour n’est finalement pas une Fête mais plutôt un rendez-vous manqué et plutôt anecdotique.

@ Nicolas Cambon

   Crédits photos : Mars Films

Par Nicolas Cambon le 24 septembre 2018

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