[Critique] ALL THE WAY
Titre original : All The Way
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jay Roach
Distribution : Bryan Cranston, Anthony Mackie, Melissa Leo, Bradley Whitford, Frank Langella, Stephen Root, Aisha Hinds, Spencer Garrett…
Genre : Drame/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 6 septembre 2016 (sur OCS)
Le Pitch :
22 novembre 1963 à Dallas. Le Président Kennedy est assassiné. Rapidement, alors que le pays est sous le choc, le vice-président Lyndon B. Johnson prête serment et entre dans l’Histoire des États-Unis. Sa première année au pouvoir sera marquée par son combat afin de faire voter les droits civiques et leur application et donc par sa collaboration avec Martin Luther King, mais aussi par les dissensions au sein de sa propre famille politique…
La Critique :
Lyndon B. Johnson n’est pas le président le plus populaire de l’Histoire américaine. On parle beaucoup de JFK et de Richard Nixon, pour de bonnes ou mauvaises raisons, mais Johnson lui, reste dans l’ombre et est toujours plus ou moins considéré comme le remplaçant qui précipita le pays dans le bourbier vietnamien. À l’époque montré du doigt pour ce que beaucoup considèrent (De Gaulle notamment) comme une gestion catastrophique du conflit et responsable en cela, toujours selon certains observateurs, de la mort de milliers de soldats américains à l’autre bout du monde, Johnson ne fut pas, en tout logique, aussi bien représenté au cinéma. Il apparaît certes dans Le Majordome, comme beaucoup d’autres présidents, et dans Selma, mais c’est tout. All The Way, qui s’intéresse à la première année au pouvoir de LBJ s’impose donc, ne serait-ce que parce qu’il se focalise entièrement sur cet homme méconnu, comme un projet intéressant. Un projet HBO piloté par Jay Roach, qui retrouve Bryan Cranston à peine quelques mois après la sortie du biopic sur Dalton Trumbo.
Le fait de retrouver All The Way à la télévision et non au cinéma démontre à lui seul à quel point Lyndon B. Johnson n’est pas populaire. Une stratégie qui imposait moins de risques pour les producteurs et plus de chances de toucher ceux qui seront susceptibles de s’intéresser à cette trajectoire de vie en effet passionnante tout du long. Car All The Way s’avère très rapidement palpitant.
Visiblement emballé par son expérience sur Dalton Trumbo, qui marquait une étape importante dans sa filmographie, vu qu’il fut longtemps cantonné à la comédie pure et dure (Austin Powers et Mon Beau-père mes Parents et moi c’est lui), Jay Roach se retrouve une nouvelle fois à suivre Cranston dans la peau d’un personnage historique. Et une nouvelle encore, c’est à l’Histoire de l’Amérique qu’il se confronte avec un aplomb qui force le respect, même si All The Way apporte une confirmation quant à son approche académique d’un tel exercice. Mais Jay Roach est un réalisateur appliqué et ses reconstitutions ont de la classe. Droit dans ses bottes, il aborde Lyndon B. Johnson avec le même sérieux et le même respect qu’il a pu le faire avec Dalton Trumbo. Sa façon de nous plonger dans les méandres des turbulentes années 60 convainc très vite. On évolue en terrain connu, beaucoup de films ayant préparé la chose. Ce qui nous permet de nous concentrer sur Johnson, vu que le film nous livre son point de vue. Pourtant, ici, contrairement à Dalton Trumbo, l’écriture fait la différence. Étrangement, le biopic sur Trumbo s’avérait dans le fond plutôt brouillon et pas aussi passionnant que prévu, surtout compte tenu de l’incroyable histoire du personnage central. Avec All The Way, qui est adapté d’un fameuse pièce de théâtre, c’est un peu tout l’inverse. On ne sait pas trop si on va s’entendre avec ce président, mais on se prend vite à goûter à son ambivalence, qui s’avère, ô surprise, très cinématographique. Le script s’échine en effet à ne pas gommer les zones d’ombre de l’homme, tout comme il rend justice à ses victoires, notamment en abordant la question de la Great Society qui reposait sur un désir d’aider l’éducation, tout en combattant la pauvreté, avec des clauses novatrices sur la sécurité sociale, point épineux s’il en est au pays de l’Oncle Sam. Quand le film souligne son implication aux côtés de Martin Luther King, c’est pareil. Il nuance, mais insiste sur l’importance de certaines de ses décisions qui à terme, ont aidé les opprimés à obtenir le droit de vote et à abolir la ségrégation.
On passe notre temps à s’interroger sur la vraie nature de ce personnage atypique. Est-il vraiment aussi investi qu’il veut bien nous le laisser penser ou agit-il en fonction des intérêts qu’il pourra en retirer ? Les résultats sont là, mais la personnalité de Johnson, est, quant à elle, sujette à controverse.
All The Way n’est donc pas une œuvre manichéenne et sa façon d’entrevoir la politique touche au vif pour la simple et bonne raison qu’elle sait ne pas diaboliser ni placer ces hommes de pouvoir sur un piédestal. Et puis le seul fait de prendre pied juste après la mort de JFK lui permet d’exploiter judicieusement un contexte particulièrement porteur, et ainsi de captiver son audience.
Bryan Cranston quant à lui, qui a, ces derniers temps, surnagé dans des films un peu décevants (Dalton Trumbo et Inflitrator, deux biopics donc), peut enfin évoluer à l’unisson avec son réalisateur, son scénariste (Robert Schenkkan adapte ici sa propre pièce) et ses partenaires. Son travail sur Johnson est incroyable. Il ne cherche pas à singer le président mais saisit l’essentiel et semble prendre beaucoup de plaisir à tenter de capter ses extravagances, son caractère frondeur et sa part d’ombre, qui finit d’ailleurs de le rendre insaisissable.
À ses côtés, Melissa Leo parvient a imposer la première dame à laquelle elle prête son jeu, avec un mélange de force et de douceur, tandis que Frank Langella et Bradley Whitford finissent de rendre le casting attrayant et juste. Et bien sûr, il y a Anthony Mackie, qui campe Martin Luther King. Pas vraiment ressemblant, lui aussi arrive par contre à saisir le plus important et sait rendre justice, sans chercher absolument à trop en faire, au combat du pasteur.
En Bref…
All The Way est certes académique. Une caractéristique qui sert finalement son propos. La vigueur du scénario et l’interprétation sans faille des acteurs finissant de rendre le film immersif et passionnant, jusqu’à faire de lui une œuvre beaucoup moins mineure que son statut télévisuel peut le suggérer au premier abord.
@ Gilles Rolland