[CRITIQUE] BABYLON

Titre original : Babylon
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Damien Chazelle
Distribution : Margot Robbie, Brad Pitt, Diego Calva, Jean Smart, Jovan Adepo, Li Jun Li, Tobey Maguire, Lukas Haas, Max Minghella, Samara Weaving, Katherine Waterston, Olivia Wilde, Spike Jonze, Flea, Jeff Garlin, Eric Roberts, Ethan Suplee…
Genre : Drame
Durée : 3h09
Date de sortie : 18 janvier 2023
Le Pitch :
En 1926, à Los Angeles, une star d’Hollywood, une actrice débutante et un assistant ambitieux s’apprêtent à faire face à la transition entre le cinéma muet et le cinéma parlant…
La Critique de Babylon :
Si son premier long métrage, Guy and Madeline on a Park Bench, est passé totalement inaperçu, force est de reconnaître que Whiplash a propulsé Damien Chazelle dans la cour des grands. Rapidement, le jeune prodige a mis le monde à ses pieds avec La La Land avant de s’envoler dans la lune aux côtés de Neil Armstrong à l’occasion de l’ambitieux First Man. Damien Chazelle, qui justement, 6 ans et des poussières après avoir orchestré la romance entre Emma Stone et Ryan Gosling sur fond de musique jazzy, revient à Hollywood pour raconter, à sa façon très personnelle, la transition entre le cinéma muet et le cinéma parlant, au crépuscule des tumultueuses et insouciantes années 20. Babylon -quel titre bien choisi- s’imposant peut-être bien comme son plus grand accomplissement à ce jour.
Bienvenue à Hollywood
Des célébrations complètement orgiaques où la morale ne vient jamais gâcher la fête. Les corps se mélangent, les esprits s’embrument et les ambitions et la gloire, naissante ou confirmée, justifient tous les excès. La première heure de Babylon est absolument dingue. Dès la toute première scène, Damien Chazelle donne le ton et se lâche méchamment, dévoilant une facette de son cinéma jusqu’alors à peine entrevue. Sa mise en scène est au diapason et pénètre d’un coup d’un seul, sans préliminaires, dans les coulisses d’une industrie surpuissante et insouciante. Une starlette fait son entrée, magnifiquement campée par une Margot Robbie plus incandescente que jamais. L’étincelle qui fait exploser le cadre et tout le reste. La musique s’amplifie, sans temps mort et tout est permis. Fondu au noir, titre du film et nous revoici en plein tournage, quelque part près de la cité des Anges, alors qu’au loin s’annonce un changement décisif que personne ne voit venir.
Dans le cœur de la bête
Le romantisme n’est plus à l’ordre du jour. Babylon est en quelque sorte une version viciée, trash, choquante et outrageuse de La La Land. Hollywood explose pour mieux se réinventer, quitte à jeter aux chiottes ceux qui ont fait sa réputation. Les stars s’accrochent, les aspirants au succès s’adaptent, ou en tout cas, tentent de s’adapter. C’est le bordel mais on s’amuse. À l’écran, avec une maîtrise absolue, Damien Chazelle, sur tous les fronts, ne s’interdit rien.
On parle tout de même d’un film qui, dans ses premières vingt minutes, montre un mec en train de se faire recouvrir de merde d’éléphant pour bien plus tard, dans le dernier acte, enchaîner par une scène dans les tréfonds de la terre, où les bas instincts dictent à des hommes et à des femmes des actes innommables dans une ambiance qui encourage le malaise. Le truc, c’est que Babylon n’essaye jamais d’être confortable. Chazelle ne veut pas reproduire le succès de La La Land mais explorer la face sombre d’Hollywood sans renier sa face lumineuse, bien au contraire. En fait, ce sont même les outrances qui mettent en valeur la magie. Celle du cinéma, qui ici, est partout.

Cité des anges déchus
À la gloire du septième-art ! Babylon parle de cinéma et s’adresse aux amoureux du cinéma. Il dissèque le star system et traite de thématiques comme l’ambition, la recherche de l’amour, la solitude et le succès. En chemin, au fil de scènes furieusement drôles mais tragiques, ou simplement déchirantes, il tente de mettre en exergue la raison d’être de l’usine à rêve du cinéma américain et du cinéma tout court. À travers le parcours plein de questionnement de cette méga star du muet, campée par un Brad Pitt en état de grâce (il est parfait en sorte de cousin de Clark Gable, avec son charisme « à l’ancienne »), il interroge le statut de célébrité et met en lumière aussi bien les fêlures que les fulgurances de ceux qui finalement, peuvent être amenés à payer un lourd tribut en échange de leur célébrité.
Il en va de même de Nellie LaRoy, cette fabuleuse actrice brute de décoffrage prête à prendre Hollywood à la gorge, jouée, on le répète, par une Margot Robbie qui mériterait bien un camion entier de récompenses. Et que dire que Manny Torres, cet assistant plein de rêves interprété par l’excellent Diego Calva, lui qui d’une certaine façon symbolise la fin de l’innocence ? Cette innocence sacrifiée au nom de ce cinéma. Sans oublier Sidney Palmer, un musicien virtuose confronté au racisme crasse d’une industrie faussement progressiste. Un personnage clé habité par un Jovan Adepo parfait. L’immortalité a un prix et tous, d’une façon ou d’une autre, sont amenés à le payer.
Dans l’ombre des stars
Porté par des performances ahurissantes, des acteurs principaux bien sûr mais aussi des secondaires, comme Jean Smart ou Tobey Maguire, magnifiquement éclairé, écrit et filmé, superbement monté, rythmé et furieux, émouvant et généreux, choquant et hilarant, Babylon pousse tous les curseurs dans le rouge. Mis en musique par Justin Hurwitz, dont certaines compositions, brillantes et pertinentes, en côtoient d’autres, plus passables, qui semblent provenir des chutes de La La Land (le seul minuscule défaut du film), Babylon finit d’ailleurs par révéler sans équivoque ses intentions.
Car tout ce qui compte au fond, tout ce qui reste à la fin, quand la musique s’est arrêtée, que la lumière s’est rallumée et que l’alcool et les drogues ont arrêté de faire leur effet, ce sont bien les images. Ce qui demeure, c’est le cinéma et les émotions qu’il procure. Dans une salle obscure où on s’abandonne, avide de s’émouvoir et de rire, de bousculer nos sentiments et de voyager, dans le temps et l’espace. Ce cinéma auquel Damien Chazelle vient d’offrir un nouveau chef-d’œuvre.
En Bref…
Outrancier, furieux, inspiré, généreux et totalement fou, maîtrisé jusqu’à dans ses moindres détails et porté par les performances hors normes d’acteurs exceptionnels, Babylon célèbre le cinéma dans toute sa splendeur, à travers les excès de ses stars et de ceux qui œuvrent dans l’ombre. Une déclaration d’amour en forme d’uppercut dans les dents. Le premier choc de 2023.
@ Gilles Rolland
