[Critique] ELVIS & NIXON

CRITIQUES | 21 juillet 2016 | Aucun commentaire

Titre original : Elvis & Nixon

Rating: ★★★★½
Origine : États-Unis
Réalisatrice : Liza Johnson
Distribution : Michael Shannon, Kevin Spacey, Alex Pettyfer, Johnny Knoxville, Colin Hanks, Evan Peters, Tate Donovan, Sky Ferreira, Ashley Benson…
Genre : Comédie/Adaptation
Date de sortie : 20 juillet 2016

Le Pitch :
En 1970, Elvis Presley décide de se rendre à Washington DC afin de rencontrer le Président Richard Nixon. Inquiet concernant la jeunesse de son pays, qui est d’après lui prise en étau entre des idéologies inquiétantes et une dépendance marquée à la drogue, le King aimerait convaincre le chef du monde libre de le nommer agent fédéral afin d’agir sur le terrain en faveur des valeurs de la bannière étoilée, en tant que célébrité du monde du spectacle. Au début complètement opposé à cette rencontre, Nixon va néanmoins se laisser convaincre…

La Critique :
Une scène du film voit Elvis Presley expliquer à son meilleur ami que la célébrité l’a transformé en objet, au détriment de la personne qu’il demeure au fond de son être. « Personne ne connaît le vrai Elvis », confie-t-il avec une lucidité assez désarmante alors qu’il se prépare à rencontrer le Président des États-Unis. Touchant, ce passage représente surtout la clé de l’interprétation de Michael Shannon qui, il faut bien l’avouer, ne ressemble pas à Presley. Dans l’Histoire du cinéma, plusieurs acteurs, à commencer par Kurt Russell, ou même Bruce Campbell, ont campé des Elvis bien plus ressemblants. Pourtant, le King de Shannon est parfait. Pourquoi ? Tout bonnement car l’acteur capture l’essence de la rock star. Si il est Elvis, c’est parce qu’il le devient via son attitude, sa façon de parler, de bouger et ses nombreuses mimiques. Un petit temps d’adaptation est nécessaire mais le génie de la performance saute néanmoins rapidement aux yeux. Il est de plus savoureux de voir comment le film s’amuse des différences physiques entre son acteur et l’icône qu’il personnifie à l’écran. Parfois immédiatement reconnu par ses fans, dans la rue ou ailleurs, Elvis se confronte à des gens beaucoup plus suspicieux, comme lors de l’un des passages les plus savoureux du récit. Un quiproquo qui participe au parfum d’un long-métrage non seulement passionnant, mais aussi furieusement jubilatoire sur bien des points.

Elvis-Nixon-Michael-Shannon

Kevin Spacey lui, est beaucoup plus dans le mimétisme. Son Richard Nixon rivalise sans problème avec celui, outrancier, d’Anthony Hopkins dans le biopic d’Oliver Stone, tout en faisant écho au Frank Underwood de House of Cards. On le sait, le comédien aime se livrer à des imitations lors de ses passages sur les plateaux des Late Show. On se souvient notamment de son hilarant numéro face à Al Pacino. Ici, il devient le Richard Nixon que les américains ont appris à détester et confirme un talent dingue pour camper les hommes de pouvoir. Le Nixon fermé sur ses convictions, anti contre-culture et très peu enclin à rencontrer une rock star, aussi célèbre soit-elle. Un Président pour autant très drôle, tant Kevin Spacey insiste aussi, avec un sens de la mesure admirable, quelque peu aidé par un maquillage à propos, sur des tics comiques, afin de doucement le tourner en dérision. Que ce soit pour lui ou pour Elvis, il est important de souligner que le film doit être vu en version originale, tant les voix importent quand il s’agit d’appréhender les performances de ces deux monstres sacrés du cinéma.

Elvis & Nixon nous plonge dans une époque compliquée. Le festival de Woodstock vient d’avoir lieu, la guerre fait rage, la protestation gronde. Comme le dit Elvis, l’Amérique vit une époque charnière. Lui même se sent menacé. Artistiquement, il a vu d’autres phénomènes tenter de lui ravir son trône, comme les Beatles, et les gens qui exercent sur lui un contrôle de plus en plus affirmé, comme son manager, le tout-puissant Colonel, ne cessent de l’enfermer dans une bulle qui l’empêche d’avoir une vision globale d’un monde qu’il ne voit que depuis les fenêtres de Graceland, sa forteresse imprenable. C’est ce contexte qu’exploite la réalisatrice Liza Johnson, en s’intéressant donc au désir incongru de Presley de devenir un agent infiltré pour le gouvernement afin de lutter contre la drogue, qui gangrène la jeunesse. Voir Elvis galérer pour obtenir un badge du FBI a quelque chose d’incroyable. Pourtant, tout est vrai. Elvis & Nixon ne tient pas de la fiction. La rencontre qu’il nous relate a bien eu lieu. Un épisode moins anecdotique qu’il n’en a l’air de L’Histoire d’un pays durant lequel deux des personnages les plus célèbres du monde se sont confrontés, alors qu’ils étaient chacun au carrefour de leur existence. Le long-métrage orchestre un choc des cultures. Une lutte facétieuse entre deux hommes que rien ne prédestinait à se parler dans le bureau ovale de la Maison Blanche et qui vont apprendre à se connaître et à s’apprécier malgré leurs différences.
Écrit avec un sens du rythme redoutable, mis en scène avec une énergie au diapason, pertinent et drôle, voici un film aussi atypique que captivant. Alors que la première partie, qui suit Elvis et ses acolytes dans leur quête d’un rendez-vous avec Nixon, est consacrée à une étude d’une finesse et d’une tendresse plus qu’appréciables du mythe Elvis, à travers ses nombreuses fêlures mais aussi sa propension à toujours être en décalage avec ses contemporains, le métrage prend une nouvelle dimension quand la grande rencontre a lieu. Là, on tutoie carrément des sommets. Résistant à l’appel de l’outrance et du sensationnel, Liza Johnson tient bon le gouvernail et n’en fait jamais trop. Elle sait que son histoire vaut de l’or et laisse respirer ses personnages, confiante. Le talent de Kevin Spacey et de Michael Shannon n’appelle pas un contrôle trop strict. On se délecte devant leur joute verbale. C’est à peine croyable…

Nous étions en droit de nous demander comment la cinéaste allait pouvoir adapter ce récit. Comment elle allait gérer le temps (toute l’action se déroule sur quelques heures) et surtout ne pas tomber dans les excès. On parle après tout de la rock star la plus célèbre de tous les temps et de l’un des hommes politiques les plus tragiquement connus. Le résultat force le respect. Liza Johnson livre une œuvre rock and roll parfaite, car pleine d’un souffle pop indéniable. Habitée par ses personnages, elle se paye aussi le luxe de ne pas laisser de côté Alex Pettyfer et Johnny Knoxville, les amis qui accompagnent Elvis, et Colin Hanks et Evan Peters, les assistants du Président. Surtout Pettyfer qui écope d’un rôle particulièrement intéressant en cela qu’il remet en perspective Elvis Presley par rapport à son titre de King, sans y sacrifier l’intégrité de son rôle, qui existe par lui-même.
Elvis & Nixon est unique, pas de doute là-dessus. Il se savoure le sourire aux lèvres. On rit mais on est aussi touché en plein cœur par l’honnêteté et la sensibilité de toute l’entreprise. Le spectacle est permanent et saura à n’en pas douter régaler toutes celles et ceux qui aiment cette époque. Une époque que Liza Johnson reconstitue modestement mais justement, focalisée sur les yeux de deux hommes qui formaient en quelque sorte, en 1970, les deux faces d’une même pièce. Un authentique plaisir de cinéma. Un grand film.

@ Gilles Rolland

Elvis-&-Nixon-Kevin-Spacey-Michael-Shannon   Crédits photos : Warner Bros. France

Par Gilles Rolland le 21 juillet 2016

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