[CRITIQUE] LAST NIGHT IN SOHO

Titre original : Last Night in Soho
Rating:
Origine : Royaume-Uni
Réalisateur : Edgar Wright
Distribution : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Diana Riggs, Terence Stamp, Sam Claflin, Matt Smith, Michael Ajao…
Genre : Thriller/Horreur/Épouvante
Durée : 1h56
Date de sortie : 27 octobre 2021
Le Pitch :
Eloise Turner débarque à Londres avec des rêves plein la tête pour intégrer une école de mode. Passionnée par les années 60, la jeune femme déchante rapidement lorsqu’elle confronte ses espérances à la réalité. Préférant s’isoler dans une chambre qu’elle loue à une vieille dame, elle se met alors à dériver dans le Londres des sixties où elle suit Sandie, une ambitieuse artiste. Fascinée par ces visions, qu’elle retrouve tous les soirs au moment de se coucher, Eloise plonge peu à peu dans un cauchemar dont elle aura bien du mal à s’extraire…
La Critique de Last Night in Soho :
Mythique réalisateur de la série Spaced et de la Cornetto Trilogy, Edgar Wright est l’un des cinéastes les plus intéressants de son époque. Un artiste entier qui n’hésite jamais à explorer de nouvelles voies sans pour autant cesser de nourrir un univers de plus en plus reconnaissable malgré sa faculté à également aborder divers styles de film en film.
Dans Last Night in Soho après le tonitruant Baby Driver, Edgar Wright continue de disserter en musique, à cheval entre les genres, avec une bravoure et une audace qui à elles seules forcent le respect. Nous suivons donc ici une jeune femme capable de saisir l’invisible et de se projeter dans un monde où elle va finir par se perdre. Difficile d’en dire plus tant le plaisir demeure ici aussi dans la découverte. Tout ce qu’il faut savoir avant de se lancer c’est que Last Night in Soho est original et ambitieux. Sacrément ambitieux même.

Retour vers le Swinging London
Armé d’un scénario en béton armé, maîtrisant la moindre inflexion de son étrange et envoûtante histoire, Edgar Wright nous encourage au lâcher-prise au cœur d’un univers aux contours reconnaissables mais pourtant bel et bien labyrinthique à plus d’un titre. Londres, et plus particulièrement le quartier de Soho, deviennent son terrain de jeu pour le meilleur et uniquement le meilleur. Dès qu’Eloise « dérive » et se retrouve dans les années 60, auxquelles elle ne cesse de rêver en écoutant Dusty Springfield et les Kinks, le film prend une tournure aussi inattendue que séduisante. Par la suite, quand l’horreur fait irruption, Last Night in Soho prend à revers mais jamais Edgar Wright ne perd le contrôle. Ce qui ces derniers temps est devenu plutôt rare tant certains films contemporains semblent sans queue ni tête, avec des jump scares et des rebondissements aux fraises juste pour inutilement paraître complexes.
Groovy horror
Mais là où Wright impressionne le plus, peut-être encore davantage ici que dans ses précédentes livraisons, c’est lorsqu’il multiplie les audaces visuelles. Si certains ne se priveront pas de souligner le côté naïf du script (ce qui est en fait une qualité évidente tant le récit est dénué de ce cynisme aujourd’hui trop présent), difficile de nier que niveau mise en forme, le réalisateur s’est littéralement surpassé. Chaque scène ou presque de Last Night in Soho traduit une exigence et une inventivité dingues. De cette chambre de bonne baignée d’une lumière changeante à cette plongée en apnée dans une ville de Londres fantomatique éclairée par des néons, à ces apparitions spectrales, grâce à d’habiles jeux de miroirs et autres mouvements de caméra virtuoses soulignés par un montage précis et intelligent, Last Night in Soho est une œuvre graphique de haute volée. Un tableau de maître qui alterne les références au Giallo tout en distillant le genre de peur que l’on retrouvait jadis dans des films d’épouvante comme Ne vous retournez pas, sans artifices inutiles ni effets opportunistes. Ici, tout a du sens.
Étau de lumière
Edgar Wright sait aussi impressionner quand il assure sur tous les fronts. Minutieux et pointilleux quand il s’agit de bâtir un univers au sein duquel la réalité, celle de l’héroïne, se distord, il ne néglige pas non plus la direction d’acteurs, ici tout aussi remarquable. Mais il faut dire que le réalisateur a su s’entourer. Déjà remarquée dans Jojo Rabbit, Thomasin McKenzie crève l’écran. De tous les plans ou presque, elle habite Last Night in Soho de sa présence et brille de mille feux, aux côtés d’une Anya Taylor-Joy elle aussi toujours plus hypnotique. Une actrice dont le visage et la grâce flottent au fil des plans, au cœur de ce conte de fée qui tourne au massacre.
L’impériale Diana Riggs, dont c’est le dernier rôle, est aussi excellente dans la peau d’un personnage qu’on dirait écrit sur-mesure. Un peu comme Margaret Nolan, une actrice des années 60 qu’Edgar Wright a recruté, elle aussi disparue depuis le tournage, ici très touchante. Et bien sûr, difficile de ne pas mentionner Terence Stamp, qui en un regard, incarne une partie des intentions du film, de concert avec l’ambivalent Matt Smith, lui aussi parfaitement casté. Une distribution aux petits oignons au service d’une authentique démarche artistique exigeante, nuancée et au final ô combien touchante.
Dans les entrailles de Londres
Totalement à contre-courant de ce que l’on peut voir ces dernières années dans le cinéma dit « de genre », Last Night in Soho suit sa propre voie et vient nourrir la filmographie déjà passionnante de l’un des derniers véritables frondeurs du cinéma. Edgar Wright qui change de registre sans céder de terrain au cynisme ou sacrifier ce qui fait de lui un magnifique conteur d’histoire, honnête, généreux et respectueux de son public et de ses aînés auxquels il rend hommage. Comme quand il ne cherche pas à effacer cette naïveté, ici inhérente à la pureté incarnée par la jeune Eloise, pour toujours, d’une manière ou d’une autre, se montrer bienveillant envers ses personnages et dans un même élan, avec nous.
En Bref…
Coup d’éclat en forme d’hommage au Giallo, généreux, rock and roll et sans concession, passionnant et superbement rythmé, Last Night in Soho est une flamboyante réussite. Un film original et audacieux, porté par un réalisateur ici plus en forme que jamais, qui à l’écran, multiplie les audaces visuelles, pour mieux servir une histoire labyrinthique. Passionnant, immersif et séduisant, avant de devenir carrément brutal et flippant, Last Night in Soho prend la forme d’une déclaration d’amour à tout un pan du cinéma de genre dont il vient du même coup nourrir l’histoire, bien loin des produits formatés et opportunistes qu’on nous sert habituellement. Ah oui, juste une dernière chose : la bande-originale est excellente !
@ Gilles Rolland
