[Critique] LONE RANGER, NAISSANCE D’UN HÉROS

CRITIQUES | 7 août 2013 | Aucun commentaire
lone-ranger-naissance-d-un-heros-affiche

Titre original : The Lone Ranger

Rating: ★★★☆☆ (moyenne)
Origine : États-Unis
Réalisateur : Gore Verbinski
Distribution : Johnny Depp, Armie Hammer, Tom Wilkinson, William Fichtner, Barry Pepper, Ruth Wilson, Helena Bonham Carter, James Badge Dale, Damon Herriman, Gil Birmingham, Leon Rippy, James Frain…
Genre : Western/Aventure/Action/Adaptation
Date de sortie : 7 août 2013

Le Pitch :
Jeune avocat idéaliste, John Reid doit faire face à la corruption et à l’avidité de ceux qui représentent la loi, et donc se remettre en question. Accompagné de Tonto, un indien comanche poursuivant sa propre quête, John Reid est destiné à devenir le Lone Ranger, un justicier légendaire de l’Ouest sauvage, dont le nom résonne avec fracas aux oreilles des criminels de tous bords…

La Critique (Gilles) Rating: ★★★★☆ :
Adapté d’un feuilleton ayant fait fureur aux États-Unis dans les années 50, lui-même adapté d’une série radiophonique, le nouveau film de Gore Verbinski aborde une légende du divertissement relativement inconnue du public français. Faut-il pour autant snober ce Lone Ranger ? Absolument pas ! Ce serait une erreur, tant ce blockbuster offre tout ce que l’on est en droit d’attendre d’un film à gros budget estival. Tout et même un peu plus…

Et pourtant… Au départ, pas mal de choses encourageaient une certaine prudence à l’égard de cette production de Jerry Bruckeimer, estampillée Disney, pilotée par le réalisateur des trois premiers Pirates des Caraïbes. La bande-annonce laissait entrevoir la possibilité d’une fadasse transposition des Pirates, dans un univers western aseptisé, pour un produit boursouflé et riche en cascades absurdes, à destination d’un public jeune et peu exigeant. La présence de Johnny Depp, le visage tartiné d’un maquillage à nouveau très imposant, campant un indien facétieux, idéal pour laisser parler sa tendance à en faire des caisses, n’était bon signe non plus. Pas de quoi sauter au plafond en somme, mais plutôt de quoi redouter un film qui avait pas mal de chances de rejoindre Wild Wild West dans la liste des gros navet indigestes pleins de fric, à la poursuite de références qu’ils ne sont jamais fichu de digérer avec un minimum de conviction et d’efficacité.
Au final, Lone Ranger est à saluer car il donne tort à ceux qui ont douté de lui (nous les premiers). Il se défend, pendant presque 2h30, avec fougue, hargne et second degré et s’impose comme l’un des meilleurs films de l’été. L’un de ceux qui offrent donc tout ce qui fait d’un blockbuster un tour de montagne russe dont on ressort le sourire aux lèvres. Sans être d’une originalité folle, et pas dénué de menus défauts, Lone Ranger créé pourtant la surprise. Une vraie et authentique surprise, comme on en voit peu. Une surprise en forme de festival spectaculaire, à conseiller au plus grand nombre.

Ces dernières années, Johnny Depp fait de films pour ses enfants (et pour ceux des autres). Et tel un père de famille soucieux de faire se bidonner ses mioches, Johnny se déguise en divers personnages. Willy Wonka, le Chapelier Fou, Barnabas le vampire, ou encore l’incontournable pirate Jack Sparrow, inspiré de Pépé le putois ont fait de lui l’un des transformistes les plus fameux du septième-art. Et puis même, sans parler de ses gosses, Depp a toujours aimé se grimer. Déjà dans Edward aux mains d’argent, il arborait un look improbable. Pour Johnny, jouer les mecs ordinaires n’est pas vraiment un truc passionnant en soi et plus il doit passer de temps au maquillage, plus il est content. Normal donc que dans Lone Ranger il ne soit pas le Lone Ranger, mais plutôt le rigolo Tonto, cet indien au masque noir et blanc qui aime à se balade avec un corbeau mort sur la tête.
Déclinaison western de Jack Sparrow, Tonto est lui aussi une bonne surprise. Depp en fait des caisses certes, mais il prouve à ceux qui l’avait oublié qu’il sait le faire avec brio. Il multiplie les mimiques, évite de trop voler la vedette à son justicier de co-équipier, et au final ne dépasse jamais la ligne jaune. Tonto est sympa, il parle peu, il est drôle la plupart du temps et Johnny arrive à faire oublier qu’il nous a gonflé trop longtemps en Jack Sparrow.
Armie Hammer, le Lone Ranger, n’est pas étranger à cet état de fait. Car si Sparrow ne côtoyait aucun personnage un tant soit peu consistant dans le dernier Pirates des Caraïbes en date (le pire), ici, l’équilibre est tout autre. Lone Ranger est un buddy movie. Un film où deux types que tout oppose doivent cohabiter au sein d’une mission commune. Le Ranger Solitaire ne l’est donc pas (solitaire), vu qu’il est accompagné par Tonto. Comme le Frelon Vert l’était de Kato ou Sherlock Holmes de Watson. Si le duo de Lone Ranger fonctionne c’est certes grâce à Depp, mais le mérite en revient aussi à Armie Hammer. Il donne le change, impose un charisme insoupçonné et un timing comique souvent efficace, même si la dynamique du couple qu’il forme avec son camarade, s’appuie sur des bases bien connues. Physiquement aussi, Hammer et Depp s’accordent bien. À l’écran, le tandem a de la gueule. Pas original donc, mais efficace et respectueux des codes, ce tandem porte le long-métrage. Le méchant aussi fait plaisir à voir. Un gros salaud sans foi ni loi, cannibale, défiguré, sale et sauvage. Interprété avec une jubilation contagieuse par le superbe William Fichtner, ce bad guy-là marque les esprits. Assurément pas l’idée que l’on se fait du vilain en chef d’une production Disney.
Et puis c’est quoi ce nombre hallucinant de morts ? À l’heure ou le film de zombies (cf. World War Z) nous sert un plat trop light, sans faire couler le sang, Lone Ranger ne fait pas dans la dentelle et ne tourne jamais le dos au genre qu’il aborde. Sans être bien évidemment d’une sauvagerie inouïe, le film se montre quand même bien violent, quand les balles et les flèches fusent. Assez violent en tout car pour avoir écopé d’un PG-13 aux États-Unis. Ce qui est forcement une bonne nouvelle pour tous les amateurs de western qui apprécieront ce refus d’adoucir un univers de toute façon violent par nature.

Évitant soigneusement de charger la mule concernant la pyrotechnie, Gore Verbinski illustre avec son nouveau film son amour du western. Il le confirme plutôt, puisqu’avec Rango, le cinéaste avait déjà déclaré sa flamme au style. Il confirme et dose l’action et l’humour avec une parcimonie qui fait du bien. Le drame est toujours contrebalancé par une vanne. Parfois pas toujours drôles, ces vannes peuvent carrément se montrer surréalistes (le coup des lapins par exemple) et si on ne rit pas toujours à gorge déployée, on apprécie l’effort. D’autant plus que Lone Ranger soigne sa sortie, en nous offrant sa meilleure séquence comique à la fin. Un pied de nez à Zorro, et donc au diptyque de Martin Campbell avec Antonio Banderas, que Lone Ranger met K.O.
Banco niveau comédie mais aussi au niveau de l’action. Celle-ci est ainsi bien diluée dans l’humour mais sait se montrer punchy. Le grand final est fantastique. Un vrai grand moment de cinéma de divertissement. Une scène où la virtuosité en la matière de Verbinski explose, qui renvoie au final d’un autre western comico-aventureux qui est rentré dans la légende, à savoir Retour vers le Futur III. Rien que ça…
Gore Verbinski a fait du bon boulot. Ses références sont nombreuses et nobles et un peu à la façon de Sam Raimi avec Le Monde Fantastique d’Oz (dans une moindre mesure), il arrive à concilier les codes du blockbuster grand public, avec ceux du genre qui lui sert de toile de fond. Sans trahir ni l’un ni l’autre. Peut-être un poil trop long, Lone Ranger, encore une fois, n’est pas révolutionnaire. Il ne fait pas mouche en permanence, mais dès qu’il trébuche, il se relève. Le rythme est bon, l’état d’esprit aussi. Visuellement, c’est magnifique. Les paysages désertiques sont sublimés par l’œil d’un réalisateur porté par un univers vaste, aux gueules cramées par le soleil et où la vengeance sert de moteur.
Avant tout, Lone Ranger est un western. Un vrai. Et c’est tout simplement la meilleure raison de payer sa place pour aller le voir.

@ Gilles Rolland

lone-ranger-photo-Johnny-depp

La Critique (Daniel) Rating: ★½☆☆☆ :
Le problème, c’est Tonto.

Avant d’aller plus loin, la présence de Johnny Depp dans le rôle de l’indien Tonto dans Lone Ranger est incompréhensible. Et oui, apparemment c’est parce que Depp lui-même se dit amérindien. Grand bien lui fasse ! Johnny Depp est blanc de peau, et même si ce n’est pas le cas, il n’existe aucune excuse pour faire une adaptation de Lone Ranger en 2013 sans un acteur amérindien authentique dans le rôle de Tonto. Son incarnation précédente, interprétée par Jay Silverheels dans le feuilleton original, n’était peut être pas le personnage le plus positif à inclure dans l’histoire du genre, mais au moins c’était un vrai de vrai.

Il est nécessaire de préciser ceci, parce que le Tonto de Johnny Depp, avec son piaf sur la tête, est de loin l’élément le plus inconcevablement mal pensé et insultant de Lone Ranger : une encapsulation de tout ce qui est maladif et déplorable dans l’esprit de cinéma sans passion et sans cervelle qui continue d’infecter Hollywood. Mais si Depp est le Problemo Numero Uno, ce n’est pas le seul qui accable le film. Lone Ranger est une catastrophe spectaculaire, un échec à presque tous les niveaux concevables, et la vraie tragédie serait de voir Hollywood ne tirer qu’une seule leçon de ce désastre, à savoir : n’auraient-ils peut-être pas dû laisser Johnny Depp porter un autre chapeau ridicule ?

Avec un peu de recul, la conception du film s’apparente presque à une satire sortie tout droit des Simpson. Vu qu’à l’heure de l’écriture, les plus grands remporte-pognon d’Hollywood se partagent entre des adaptations de licences culturelles anciennes mais identifiables et des films où Johnny Depp porte un chapeau ridicule, on imagine presque la scène avec Mr. Burns assis à son bureau, en train de donner le briefing à son majordome. Johnny Depp qui porte un chapeau débile pour jouer Tonto. On raconte un récit sur les origines du Lone Ranger pour qu’on puisse appeler la chose un remaniement. On balance un tas d’âneries « mystérieuses » inutilement compliquées pour que le film ait l’air plus intelligent qu’il ne l’est vraiment. On canarde l’original de vannes sarcastiques pour donner l’impression d’être cool et moderne. Et pour finir on s’assure à ce que tout soit oppressivement sombre et sérieux au point où on ne sait plus si c’est engourdissant ou juste ennuyeux. Au boulot, Smithers, et plus vite que ça.

Lone Ranger est l’une de ces licences que tout le monde connaît et en comprend à peu près les bases, malgré le fait qu’il n’ait jamais été aussi populaire depuis les années 60, vu que ses origines remontent au temps où radio régnait en maître, bien avant sa célèbre incarnation télévisée. Les fans restants auront sans doute un meilleur souvenir que les autres : le personnage était le seul survivant d’un groupe de rangers du Texas massacrés par le méchant polyvalent Butch Cavendish, et fut sauvé et guéri par un Amérindien nommé Tonto. Les deux décidèrent de faire équipe pour combattre le crime, avec le Ranger assumant son anonymat masqué pour tromper ses adversaires. Il chevauchait un cheval nommé Silver, vivait à partir d’un code moral inébranlable que les jeunes fans pouvaient mémoriser, et chargeait son revolver seulement avec des balles en argent pour se rappeler que la vie était précieuse et la violence ne devait être utilisé qu’en dernier recours.

Un peu moins de la moitié de tout ça apparaît dans le nouveau remaniement signé Gore Verbinski, le capitaine de la saga gargantuesque qu’était Pirates des Caraïbes, et cette moitié qui reste devient le sujet de moqueries béates et arrogantes. L’héroïsme optimiste du Lone Ranger existe uniquement pour qu’elle soit ratatinée par le sarcasme de Tonto : ses tentatives de désarmer ses adversaires finissent par les tuer accidentellement, ses grandes évasions héroïques sont surtout grâce au fait que Silver est maintenant un animal spirituel hyper intelligent, et la dernière scène du film compte bien se foutre royalement de la gueule de sa fameuse réplique. Beaucoup d’adaptations récentes comme Godzilla, Transformers ou encore Dragonball Evolution affichent une énorme honte envers leurs origines, mais le niveau inexplicable de condescendance ici appartient carrément à une autre dimension. Les seules personnes qui s’intéresseraient véritablement à Lone Ranger sont les fans du vieux feuilleton, et ce film passe tout son temps à leur cracher à la gueule.

Le nouveau Ranger, joué avec embarras par Armie Hammer, est essentiellement une version débile du héros de L’Homme Qui Tua Liberty Valence ; un lettré pacifiste devenu guerrier surnaturel prédestiné (du moins, c’est ce que nous dit Tonto) qui fait face à des méchants qui, ô surprise, font partie d’une conspiration inutilement compliquée concernant des chemins de fer. Autant que « inutilement compliqué » soit le principe de cette nouvelle version de Lone Ranger, d’ailleurs. En plus de l’intrigue bordélique à la sauce supervillain, le film réinvente Cavendish sous la figure d’un cannibale qui bouffe les cœurs de ses victimes. Sans déc.’ Si Man of Steel pourrait être décrit comme une interprétation excessivement violente et irrespectueuse envers l’héritage d’une icône ostensiblement destinée aux enfants, Lone Ranger compte bien nous montrer qu’on a encore rien vu.

Mais revenons à Tonto. Soyons clair, Johnny Depp est un grand acteur qui a joué dans de grands films comme Ed Wood et Las Vegas Parano. Et on ne peut spécialement lui en vouloir de continuer sa routine Jack Sparrow : c’est un acteur qui a travaillé longtemps et il mérite le succès. Mais ses choix décalés ne marchent pas toujours, et sa présence ici est une confluence de désastres – une star à l’égo intouchable, un studio désireux de le satisfaire, un projet qui n’allait jamais marcher, et un réalisateur qui a perdu le contrôle de son acteur. Au-delà de la caricature raciste incroyablement inconfortable, le personnage est incohérent et mal écrit (sans doute la victime de réécritures et de changements à la dernière minute), et Depp s’étale dans tous les sens au centre d’un scénario tarabiscoté qui est largement dédié à une explication sur-compliquée de son personnage.

Ceci ne fait que dévaloriser nos deux héros, qui sont déjà des personnages assez fragiles : le Ranger est un bouffon indécis qui se fait généralement poussé à accomplir des actes héroïques par accident, et Tonto varie entre sage guerrier et fou furieux sans prévenir. Les méchants n’ont aucun sens, le scénario donne l’impression d’être inventé en chemin, les larbins de Cavendish sont qu’une copie bancale de l’équipage de Barbossa dans Pirates des Caraïbes, et les deux personnages féminins soi-disant importants sont tellement inutiles et marginalisées qu’on se croirait dans une production de Christopher Nolan. Comme prévu, le Tonto de Depp semble monopoliser l’entreprise, passant deux fois plus de temps à l’écran que le Lone Ranger lui-même, avec un récit-cadre inutile qui fait de lui le personnage principal ; mais c’est tout aussi bien, finalement, vu que Hammer se voit coincé avec un personnage vide et insignifiant.

Mais la question du jour est celle-ci : à qui est destiné Lone Ranger ? Que le western soit donné pour mort ou non est encore un sujet de débat, et Hollywood essaye sans cesse de ressusciter le genre parce que l’industrie se rappelle des jours de gloire où les westerns étaient le meilleur moyen de cartonner au box-office. Certainement, dans ses personnages et son esthétique parfois très admirable, le film de Verbinski compte bien se poser comme un bain de sang âprement cynique à la Sergio Leone, et son effort précédent, Rango, révélait un amour profond pour le genre et une volonté d’y rendre hommage.

Mais il y a hommage, il a le clin d’œil affectueux, et puis il y a le vol artistique : construire un film de genre entièrement à partir de séquences détournées des classiques de ce genre. Lone Ranger est tellement encombré par ses références superficielles aux westerns spaghetti du dernier siècle (Little Big Man, Il était une fois dans l’Ouest, La Prisonnière du Désert, Dead Man, El Topo…) qu’il n’a aucune identité à appeler la sienne. Quel est le but derrière ce pillage créatif ? Les auteurs n’essayent pas de subvertir ou déconstruire le genre, encore moins le Lone Ranger et sa franchise, et si commentaire sur le Far Ouest il y a, rien nous laisse deviner que ce n’est pas quelque chose qui a déjà été vu et revu auparavant. Où est le film de Mr. Verbinski ?

Comme Pirates des Caraïbes, Lone Ranger a trop de personnages, trop de dérivations narratives, et pour un blockbuster qui dure près de deux heures et demie, ne contient que une ou deux grandes séquences d’action (le reste du temps étant consacré aux disputes de Tonto et le Ranger). La dernière, cependant, qui implique une poursuite spectaculaire entre deux trains accompagné du fameux William Tell Overture et tout droit inspirée du Mécano de la Général de Buster Keaton, restera dans les annales. Spectaculaire, surdimensionnée et débordant d’énergie, cette dernière vingtaine de minutes est un triomphe de chorégraphie, de rythme, de mise en scène et de montage. Et pendant un bref instant, on croit revivre le feuilleton d’autrefois. Cette séquence a du cœur, de la joie. Elle a une âme. Si on ne pouvait demander rien d’autre d’un blockbuster comme celui-ci, n’est-ce pas ce qui manque ?

@ Daniel Rawnsley

Lone-Ranger-helena-bonham-carterCrédits photos : Crédits photos : The Walt Disney Company France

Par Gilles Rolland le 7 août 2013

Déposer un commentaire

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires