[Critique] MANK

CRITIQUES | 5 décembre 2020 | 2 commentaires
Mank-poster

Titre original : Mank

Rating: ★★★★☆

Origine : États-Unis

Réalisateur : David Fincher

Distribution : Gary Oldman, Lily Collins, Amanda Seyfried, Charles Dance, Tom Pelphrey, Arliss Howard, Tuppence Middleton, Joseph Cross…

Genre : Drame

Durée : 2h12

Date de sortie : 4 décembre 2020 (Netflix)

Le Pitch :

Dans les années 30, à Hollywood, le scénariste Herman J. Mankiewicz est en pleine déroute. Noyant son désarroi dans l’alcool, à plus forte raison depuis son renvoi de la MGM, il se voit proposer par Orson Welles, un jeune réalisateur, l’écriture d’un scénario, sur le sujet de son choix. Celui que l’on surnomme volontiers Mank choisit alors d’écrire une histoire centralisée sur la trajectoire d’un magnat de la presse, ne se privant pas de méchamment écorner l’image de William Randolph Hearst, un puissant homme d’affaires californien. Scénario amené à devenir le film Citizen Kane. Histoire vraie…

La Critique de Mank :

La genèse de Mank remonte au début des années 90, quand David Fincher demanda à son père d’écrire un scénario portant sur la rivalité entre Herman J. Mankiewicz et Orson Welles, pendant la production de Citizen Kane. Concept que Fincher, malgré sa popularité grandissante et malgré l’adhésion du public et des critiques, ne parvint pas à vendre aux grands studios. Le temps passa et Fincher, comme Martin Scorsese avant lui, accepta le deal proposé par Netflix, renonçant par cela à une sortie en salles, alors même que son film, bien sûr, fut pensé avant tout pour les cinémas. Mank que David Fincher dut mettre en scène sans son père Jack, décédé depuis. Un film vraiment attendu en cette fin d’année 2020 si particulière… Alors qu’en est-il ?

War of Art

Au début du film, un texte nous explique que RKO, le studio qui a produit Citizen Kane, marchant totalement à contre-courant des grands studios, qui avaient déjà pour habitude de penser leurs projets comme des objets capables de générer de l’argent et pas systématiquement comme des œuvres d’arts, avait donné Orson Welles une liberté totale pour réaliser son chef-d’œuvre. La même liberté dont David Fincher a jouit avec Netflix ? C’est en tout cas ce que semble affirmer ce dernier, qui saisit également la perche au vol afin d’ici souligner les travers d’une industrie plus que jamais en plein bouleversement, pilotée par des actionnaires aux dents longues qui sacrifient volontiers l’audace des créateurs de rêves, au profit de projets confortables, « gagnés d’avance » afin de continuer à engraisser à l’ombre de leurs prestigieuses enseignes. La MGM étant dans Mank particulièrement visée, devenant ainsi une sorte de symbole. Mank dont cet aspect vient ainsi brillamment faire écho à ce qui se passe à notre époque. Aujourd’hui où la crise sanitaire a d’ailleurs accéléré de violents changements, comme en témoigne la récente décision de la Warner de sortir tous ses films simultanément sur HBO Max et dans les cinémas. Cette industrie qui a fermé la porte à Fincher donc.

Virulent, Mank l’est certainement. Pour autant, il se dispense bien de foncer dans le tas, préférant des attaques ciblées qui bien souvent, prennent la forme de constats pleins de désillusions quant à la marche du cinéma et même du monde dans son ensemble. La lumière perçant ici, au propre comme au figuré, à travers les yeux de ces personnes passionnées qui maintiennent néanmoins vivace une flamme que beaucoup cherchent à étouffer.

Mank-cast

The Art of War

Quand on affirme que Mank disserte sur la marche du monde, ce n’est pas du tout exagéré. Prenez ce passage, assez long qui plus est, sur l’élection du nouveau gouverneur de Californie. Le magnat de la presse contre lequel Mankiewicz mobilise tous ses efforts, le célèbre Hearst, usant de tous les stratagèmes rendus possibles grâce à son immense fortune, pour favoriser la victoire des républicains dans son état. Ça vous rappelle quelque chose ? Oui bien sûr, ici, le milliardaire ne se sert pas de son argent pour lui-même accéder au pouvoir mais l’exploite pour pousser un pantin sur le trône. Un aspect que le scénariste Mankiewicz retranscrit dans le script de Citizen Kane, dont le personnage principal, incarné à l’écran par Orson Welles, renvoie sans équivoque à Hearst. Bref, Mank raconte cette histoire, et dresse des ponts entre l’époque de la création de Citizen Kane et la notre. Un film politique ? Assurément ! Et c’est d’ailleurs un peu une surprise tant le cinéma, parfois, dans Mank, semble être relégué au second plan. Et c’est là où on va commencer à ne pas dire que du bien du film…

Il était une fois un chef-d’œuvre

En s’intéressant au destin de Mankiewicz, sans pour autant céder aux codes classiques du biopic, loin s’en faut, Fincher déclare plus que jamais sa flamme au cinéma. Au cinéma comme il se faisait avant, soulignant les travers de l’industrie moderne. Le metteur en scène ayant à nouveau utilisé la technologie contemporaine pour servir son propos. Ayant travaillé avec un matériel de pointe, en 8K, Fincher a ainsi reconstitué avec une grande minutie l’image d’antan, avec ses petites imperfections, allant même jusqu’à reproduire les fameuses brûlures de cigarettes qui jadis annonçaient le changement de bobine. Le son ayant lui aussi fait l’objet d’un soin tout particulier. Même Trent Reznor et Atticus Ross ont utilisé d’anciens instruments pour retrouver la patine des partitions des productions des années 30/40, finissant de faire de Mank un objet filmique unique. Une sublime toile faite de clair/obscur, en noir et blanc, magnifique et baroque, totalement en décalage pour mieux arriver à ses fins. Mais au bout d’un moment, malgré tout, Mank finit par ressembler à ce qu’il est véritablement avant tout, à savoir un brillant exercice de style.

En se concentrant sur Mankiewicz, à grand renfort de nombreux flash-backs, Fincher se perd un peu en chemin, n’arrivant non seulement pas totalement à s’extraire de l’ombre de Citizen Kane, œuvre monstrueuse dont l’influence est ici extrême, mais échouant dans une moindre mesure à faire preuve de la fluidité souhaitée. On apprécie et on salut bien sûr la démarche, pleine de sens, et la passion qui transpirent de chaque image du film, mais au final, alors que son protagoniste central cite lui-même volontiers Cervantes et Don Quichotte, Fincher finit par lui aussi faire un peu de surplace, éludant étrangement certains aspects de l’histoire, laissant parfois son enthousiasme et sa foi obstruer la bonne marche de son récit. Un metteur en scène en pleine charge virulente contre des moulins à vent ? Pas à ce point mais disons que la ferveur dont il fait preuve ne sert pas en permanence le film… La rivalité entre Welles et Mankiewicz n’est par exemple véritablement évoqué qu’à la fin, et ne bénéficie pas de la puissance nécessaire. Juste un détail. La faute probablement au traitement réservé à la majorité des personnages secondaires. Finalement, seule Lily Collins, qui joue ici l’assistante de Mankiewicz arrive à tirer son épingle du jeu. Amanda Seyfried, Charles Dance ou encore Tom Pelphrey sont bien évidemment excellents, Fincher restant un grand directeur d’acteurs, mais leurs rôles les limitent considérablement, tandis qu’au centre, omniprésent, Gary Oldman offre à sa filmographie une nouvelle performance ahurissante.

Un rôle qu’il s’approprie, volant la vedette à tous ses partenaires. Servi par les meilleurs dialogues, mis en valeur, il brille de mille feux dans cette fresque peut-être trop ambitieuse, qui, si elle a pourtant bénéficié d’une carte blanche de la part de Netflix, apparaît inachevée ou en tout cas incomplète. Fincher échouant par exemple aussi à retranscrire la lutte qui a accompagné l’écriture de Citizen Kane, préférant s’attarder dans le passé pour essayer de donner de la valeur aux actes présents.

En Bref…

À contre-courant, investi d’une mission, David Fincher se perd un peu dans les méandres de son tentaculaire projet mais parvient tout de même à livrer à l’arrivée un film dont la forme, spectaculaire, impressionne en permanence. Un long-métrage minutieux et incarné à défaut d’être aussi passionnant qu’espéré. Il serait alors tentant de dire que Mank est exigeant et en vrai, il l’est. Mais cela ne suffit pas à justifier les nombreux détours que sa narration prend et son caractère plutôt hermétique (même si non, nul besoin d’avoir vu Citizen Kane pour l’aimer). L’œuvre d’un artiste complet que l’on a néanmoins connu plus focalisé, plus efficace et plus concis. Plus ludique aussi. Reste qu’il semble indéniable que Mank est le film le plus personnel de son réalisateur et que voir ce genre de chose aujourd’hui, et tant pis si ce n’est que sur un écran de TV, fait néanmoins plaisir. Du cinéma à l’ancienne ? Dans la forme oui, mais dans le fond, pas vraiment. Et c’est finalement dans cet entre-deux que Fincher s’est un peu égaré. Toujours avec flamboyance néanmoins.

@ Gilles Rolland

Mank-Gary-Oldman-Amanda-Seyfried
Crédits photos : Netflix
Par Gilles Rolland le 5 décembre 2020

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