[CRITIQUE] THE KILLER

Titre original : The Killer
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : David Fincher
Distribution : Michael Fassbender, Tilda Swinton, Charles Parnell, Arliss Howard, Sophie Charlotte, Sala Baker…
Genre : Thiller/Adaptation
Durée : 1h58
Date de sortie : 10 novembre 2023 (Netflix)
Le Pitch :
Un tueur à gages implacable, connu pour son caractère taciturne et ses méthodes infaillibles, commet une erreur qui le place directement dans le viseur de ses commanditaires. Pris pour cible, il se retourne alors contre ses employeurs…
La Critique de The Killer :
David Fincher revient sur Netflix trois ans après Mank, avec un nouveau film adapté de la bande-dessinée française Le Tueur de Matz et Luc Jacamon. Un projet que le réalisateur poursuit depuis longtemps, qui lui permet de revenir à un cinéma plus proche de celui de ses débuts. Le tout écrit par Andrew Kevin Walker (déjà responsable du scénario de Seven) et rythmé par la musique de Trent Reznor et Atticus Ross, notamment en poste sur The Social Network et Millenium : l’homme qui n’aimait pas les femmes. Alors, The Killer, qu’est ce que ça donne ?
Un tueur pris pour cible
Le film commence à Paris, dans le calme du petit matin. Un homme rejoue la partition de James Stewart dans Fenêtre sur cours depuis un appartement en voie de rénovation. Sa cible vit dans l’immeuble d’en face. L’homme explique que pour réussir dans la carrière qu’il s’est choisie, la patience est primordiale. L’ennui est fatalement le compagnon de route de l’assassin qui évolue dans l’ombre, exécutant contrat sur contrat, sans jamais ou presque se dévoiler à ses victimes ni laisser de traces.
Le générique de The Killer, référentiel, puis cette longue et lancinante introduction, nous permettent de retrouver le David Fincher de Fight Club et de Panic Room (pour ne citer que ces deux-là). Seulement voilà… Les années ont passé et Fincher n’est pas homme à faire du surplace ou à recycler ses propres idées. La pureté des plans, la perfection du montage et les angles de caméra choisis dénotent ici d’une volonté de toujours aller de l’avant, mais illustrent aussi un certain apaisement. Apaisement qui, chez Fincher, rime avec une vraie acidité, à la fois visible dans sa mise en scène et dans l’écriture du scénario.

En décalage
Le personnage central, interprété à la perfection par un Michael Fassbender impressionnant de froideur et de nuance, évolue dans un monde qu’il n’aime pas mais qu’il comprend. La réussite de sa carrière dépend en partie de sa faculté à faire taire l’empathie. Il insiste bien sur ce point quand vient le moment de passer à l’action, souvent au terme d’une longue attente, dans un appartement donc, dans une voiture ou partout où il peut se cacher. Il ne parle pas à voix haute, ou en tout cas très rarement, mais se livre à travers une voix off que David Fincher exploite avec toute la pertinence qui caractérise à nouveau sa démarche de narrateur exigeant et méticuleux.
Le tueur, qu’il nous présente comme très doué dans son domaine, exprime une certaine lassitude quant au monde qui l’entoure mais sait en exploiter les failles. En adoptant un peu le même genre de démarche qu’avec The Social Network, à la fois conscient que les choses ont changé pour le cinéma (il s’agit après tout du deuxième film d’affilée qu’il sort sur Netflix), David Fincher jette un regard plein d’introspection sur la société qui est la notre mais aussi sur son propre statut, à travers la trajectoire contrariée de cet homme épris de vengeance.
Monde cruel
Au cœur de villes ultra-connectées et exposées, où il devient difficile de passer inaperçu, l’assassin se cache et travaille en utilisant les moyens mis à sa disposition. Uber, McDonalds, puis Amazon et consort sont autant de ressorts que le scénario exploite pour faire de ce qui aurait pu être une série B certes efficace mais classique une sorte de pamphlet ultra puissant sur la société capitaliste et ses dérives. Comme si David Fincher s’était rendu à l’évidence que le retour en arrière n’était plus possible tout en essayant tout de même d’imposer sa singularité en jouant à la fois avec un contexte nouveau mais aussi sur les codes de son propre cinéma.
Un virtuose à l’œuvre
Glaçant et brutal, animé du même genre de nihilisme que Fight Club mais laissant tout de même percer la lumière à travers un certain décalage et des touches subtiles d’humour noir, The Killer est donc un pur film de David Fincher. Un long métrage qui, sous couvert d’une histoire qui, encore une fois, réserve en apparence que très peu de surprises, va directement à l’essentiel mais raconte finalement beaucoup plus de choses que prévu.
Et c’est finalement là que The Killer surprend. Dans sa propension à contrer les attentes, tout en suivant une trame directe et franche. Comme quand, après avoir repoussé l’action, comme s’il voulait se concentrer sur la dimension philosophique de son personnage, Fincher nous envoie un violent uppercut et nous livre l’une des scènes de baston les plus impressionnantes vues sur un écran depuis des lustres. La preuve qu’à un peu plus de 60 ans, le réalisateur n’a rien perdu de son côté sale gosse. Sans précipitation, Fincher avance implacablement, exploitant les armes à sa disposition, à commencer par Michael Fassbender, au cours d’une traque internationale superbement orchestrée, au niveau du fond mais aussi de la forme.
En Bref…
Si sur le papier, The Killer peut ressembler à un thriller de série B somme toute classique, il n’en est rien. Génialement roublard, inspiré et audacieux, David Fincher déjoue les attentes et livre un spectacle tendu comme une corde de piano à la profondeur abyssale. Le tout en dessinant une réflexion sur l’état du monde et du cinéma qui donne le vertige. Brillant !
@ Gilles Rolland
