[Critique] MARIUS / FANNY
Rating:
Origine : France
Réalisateur : Daniel Auteuil
Distribution : Daniel Auteuil, Raphaël Personnaz, Victoire Belezy, Marie-Anne Chazel, Jean-Pierre Darroussin, Nicolas Vaude, Daniel Russo, Rufus…
Genre : Comédie/Drame/Adaptation
Date de sortie : 10 juillet 2013
Le Pitch :
Sur le vieux port de Marseille, les histoires d’amour tumultueuses entre Marius, jeune fils de César tiraillé entre ses envies de voyage et de navigation et son amour pour Fanny, et de cette dernière vouée à un destin alors difficile…
La Critique :
Marcel Pagnol a laissé derrière lui un monument de littérature, mais également une empreinte cinématographique très personnelle. Ces œuvres ont marqué un vaste public et demeurent encore aujourd’hui très connues, bon nombre d’entre-elles étant même devenues intemporelles. La Trilogie Marseillaise, intitulée respectivement Marius, Fanny et César, est une des œuvres les plus emblématiques de cet auteur phare.
On connaît l’admiration de Daniel Auteuil pour Marcel Pagnol, lui qui avait d’ailleurs incarné Ugolin dans Manon des sources, réalisé par Claude Berry en 1986. Pour son premier film, il avait d’ailleurs réadapté La Fille du Puisatier en avril 2011. Et globalement, malgré quelques défauts et maladresses de casting, ce premier opus est plutôt une réussite.
Cet été, Auteuil remet le couvert et voilà que sort sur nos écrans les deux premiers volets de cette nouvelle adaptation de la Trilogie si fameuse, à savoir Marius et Fanny. César (le troisième tome) quant à lui, est prévu pour 2014.
Il est évident que face à un tel défi, les attentes des spectateurs ont été craintives et soucieuses.
Soucieuses car les trois réalisations de 1931 pour Marius, 1932 pour Fanny et 1936 pour César sont tellement mythiques et appréciées qu’elles en sont devenues presque sacrées. Les deux premiers sont réalisés respectivement par Alexander Korda et Marc Allégret sous la houlette de Marcel Pagnol lui même, tandis que le dernier, César, est entièrement réalisé par ce dernier.
On ne peut pas dire que la bande-annonce de ces nouvelles versions que l’on découvrait alors il y a quelque temps, ait suscité une grande passion. En effet, cette mise en bouche sonnait un peu faux, paraissait surfaite, et c’est vraiment dommage car ces nouveaux films eux, sont loin d’être quelconques ou mauvais. Ou peut-être est-ce un mieux finalement, car quelqu’un qui ne se sera pas laisser influencer par cet avant-goût décevant ne sera que plus ravi par le résultat global.
Le premier volet : Marius, pose donc les bases honnêtes d’un métrage qui instaure un lien de confiance entre les spectateurs et le réalisateur. Ici, il n’y a pas de trahison, le texte de Pagnol est respecté et la puissance des sentiments retransmise avec magnificence. La réalisation ici se distingue de la simple pièce de théâtre et a une portée éminemment plus cinématographique.
Dans cette nouvelle version, dès les premières images, on sent qu’on va vivre un beau moment. Les acteurs jouent à merveille, le talent fantastique qui les anime nous transporte vers les plus hautes sphères des émotions sincères. É commencer par le Maestro et réalisateur qu’est Daniel Auteuil, lui qui reprenant le rôle central de César, nous offre un jeu tout en nuance et débordant d’émotion. Il parvient à faire vibrer la corde sensible de nos ressentis profonds. Il est impeccable et touchant à souhait en père abandonné pudique, mais fragile et sévère à la fois. On sent bien que le rôle lui tient grandement à cœur , et qu’il désire, tout en amenant sa patte, respecter ceux qui sont passés avant lui. En somme, il nous tire quelques larmes, et pourtant la tâche n’est pas facile, quand on sait qu’il reprend le rôle d’un des monuments du cinéma français des années 30-40, à savoir le fabuleux Raimu, qui en a laissé un souvenir impérissable et merveilleux.
Et ce qu’il y a de fantastique, c’est qu’il n’est pas le seul à briller, en effet les deux acteurs principaux que sont Raphaël Personnaz et Victoire Belezy qui interprètent respectivement Marius et Fanny, sont admirables. Orane Demazis (qui interpréta Fanny en 1931,32,36) a laissé un souvenir vivace et puissant, mais Victoire Belezy relève le défi avec brio, et amène beaucoup de fraîcheur. Elle illumine littéralement l’écran. Et pour terminer sur l’interprétation, car il est bon ton de rendre hommage aux acteurs, eux qui ont su donné un nouveau souffle à ce morceau d’anthologie, nous évoquerons Marie-Anne Chazel et Jean-Pierre Darroussin qui livrent une prestation formidable. Le tout est fluide, naturel et agréable. Nous avons là un casting général sur les chapeaux de roues, qui est sublimé par une photographie magnifique et très soignée. Les plans somptueux sont choisis avec un sens aiguisé de la beauté, et invitent au voyage, qui est un thème fondamental du film. Cette envie d’ailleurs viscérale est retranscrite avec force et vérité. Les couleurs sont lumineuses et donnent des envies de vacances. Que dire de ces paysages d’un vieux Marseille chantant, beau et joyeux et de ces vues sur les magnifiques eaux turquoises des calanques. Le tout est bien filmé, les amoureux des belles réalisations y trouveront leur compte.
On peut dire que l’on a senti comme un vent d’appréhension dans la salle, quand arriva la fameuse scène de la partie de cartes. Cette appréhension très palpable se justifie au fait que c’est l’une des scènes de jeu les plus emblématiques de la Trilogie Marseillaise et de l’oeuvre de Pagnol plus généralement. Et au final, aucune déception, c’est bien amené, et l’hommage est rendu avec le plus grand soin.
De Marius à Fanny le ton monte, les jeux déjà très bons des acteurs s’intensifient, et basculent dans l’intense et le tragique. Bien évidemment c’est l’histoire en elle-même qui veut ça, mais le rythme dramatique prend de l’ampleur pour notre plus grand régal. Fanny gagne en finesse et en profondeur. On passe un moment merveilleux en globalité et il se dégage beaucoup d’émotion du tout. Il y a également une bonne dose de tendresse et un vent de poésie dans cette oeuvre, et c’est bien là que réside toute la puissance de l’écriture de Pagnol. On sent sa philosophie de vie bien palpable et sa douce mélancolie, qui s’y elle nous blesse, nous transporte aussi. Il n’y a pas une seconde à jeter dans ce divertissement qui est bien plus que cela, on se régale, et l’histoire est d’une simplicité efficace.
Marius et Fanny sont de véritables coups de cœur, bien meilleurs que La Fille du Puisatier de 2011.
C’est un hommage vibrant où l’on observe qu’Auteuil a bien saisi la vision de Pagnol. Ce dernier passé maître dans l’art de la prose, offre une histoire profondément humaine et proche de tout le monde. Même si l’histoire est difficile et qu’on en ressort le cœur serré, nous sommes transporté par une émotion qui touche au sublime. Le tout est une orchestration grandiose qui amène un final au tableau à couper le souffle. L’amour et les rapports humains sont magnifiés par cette plume brillante qui saisit une âme humaine complexe et tourmentée. Les tiraillements entre famille, envies et travail sont présentés intelligemment. Alors évidemment, le but ici n’est pas de faire des comparaisons, mais on notera que dans la version de 1931 également, le sourire ne nous quitte pas. Cette version se présente davantage comme une pièce de théâtre qu’un film. Ce n’est pas la même époque, pas la même vision, mais l’émotion reste la même. On ressent le même bonheur, le même régionalisme mais dans le bon sens du terme, le même amour et ça fait du bien.
La touche magique de ce spectacle déjà extraordinaire, c’est la bande son d’Alexandre Desplat, qui grâce à ses subtiles mélodies vient accentuer cette oeuvre magistrale.
@ Audrey Cartier
Crédits photos : Pathé Distribution