[Critique] MOONLIGHT

CRITIQUES | 3 février 2017 | Aucun commentaire
Moonlight-poster

Titre original : Moonlight

Rating: ★★★★☆
Origine : États-Unis
Réalisateur : Barry Jenkins
Distribution : Alex R. Hibbert, Ashton Sanders, Trevante Rhodes, Mahershala Ali, Naomie Harris, Janelle Monáe, Andre Holland…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 1er février 2017

Le Pitch :
Depuis aussi longtemps qu’il s’en souvienne, Chiron lutte. Confronté à la haine et à la violence des autres, qui l’encouragent à refouler son homosexualité, il doit aussi composer avec une mère toxicomane. Enfant, adolescent puis jeune adulte, Chiron va tenter d’évoluer et de s’affirmer dans une société parfois cruelle…

La Critique de Moonlight :

Moonlight est né de la rencontre du réalisateur Barry Jenkins et du dramaturge Tarell Alvin McCraney. Le premier ayant adapté pour son second film la pièce In Moonlight Black Boys Look Blue du second. Une histoire poignante qui prend pied à Liberty City, un quartier difficile de Miami où les deux hommes ont justement grandi…

Moonlight

Une approche tout en douceur

Moonlight raconte, en trois actes, la vie d’un garçon afro-américain homosexuel. Chiron, c’est son nom, qui doit aussi gérer une mère accro à la drogue et la violence d’un environnement hostile et bien sûr incompatible avec l’identité qu’il tente de se forger et d’assumer. Plébiscité de toutes parts, aux Oscars et ailleurs, Moonlight a en effet, sur le papier tout du moins, tout du pur film à récompenses. Une vraie machine capable de remplir toutes les étagères de la maison des producteurs, des acteurs et du réalisateur. Quelque chose de potentiellement larmoyant et surligné.
Pourtant, on s’aperçoit rapidement que Barry Jenkins n’a justement pas voulu inscrire son récit dans une logique trop voyante. On pourra considérer Moonlight comme un candidat parfait pour les cérémonies mais dans les faits, il échappe aux clichés les plus fréquents inhérents à ces longs-métrages parfois calibrés pour cartonner auprès de la critique.
Alors certes, la mise en scène de Jenkins va bien dans le sens d’une démarche indépendante, avec des tics un peu prévisibles, comme ces scénettes contemplatives et ces flous artistiques, mais au fond, tout est justifié par la tonalité de l’histoire, qui se refuse justement à tout sensationnalisme balourd pour embrasser une dynamique infiniment plus élégante.
Si effets il y a, ils restent mesurés. Un peu comme dans Boyhood, de Richard Linklater, auquel Jenkins emprunte également la construction en plusieurs actes afin de suivre l’évolution du personnage principal au fil de trois épisodes clés de son existence. Boyhood et Moonlight qui se ressemblent beaucoup, même si le film qui nous intéresse aujourd’hui se montre un petit peu plus maladroit sur des aspects purement formels. Mais cela aussi participe à son identité. La fragilité, la sensibilité, le tâtonnement… Barry Jenkins, qui d’une certaine façon, se raconte à nous au cours de cette histoire bouleversante, ne cherche pas l’émotion facile et ne prend pas de raccourcis. Normal qu’il n’évite pas toujours certains petits écueils. L’important n’est pas là et quoi qu’il en soit, Moonlight reste un beau film. Un tableau à la poésie flagrante, inspirée et exaltée, dont l’audace saute parfois aux yeux avec une force surprenante.

Moonlight drive

Mis en image avec une sensibilité évidente doublée d’une belle maîtrise, le film impressionne surtout par la pertinence avec laquelle il aborde son sujet. Sans en faire des caisses. Il ne charge pas trop mais et sait traiter ses thématiques dans leur globalité. Il privilégie les silences et les regards de concert avec la caméra de Jenkins, qui opte pour une pudeur de tous les instants, à la fois parfaitement éloquente et ô combien bouleversante. Moonlight se construit à mesure que Chiron, son personnage principal, le centre de gravité de toute l’entreprise, s’ouvre au monde, au contact de personnages clés, qui vont personnifier une forme d’espoir dans un monde empreint de brutalité. Il dépeint la prison dans laquelle Chiron est enfermé, aux prises avec des sentiments qu’on lui interdit de ressentir et ce besoin d’avancer malgré tout pour peut-être un jour parvenir à s’affirmer.
Moonlight aurait vraiment pu tomber dans tous les travers du drame social qui cherche à tout prix à faire pleurer les spectateurs ou qui échoue à communiquer sa morale sans faire appel à des mécanismes voyants. Mais non… Barry Jenkins a trouvé la bonne approche. Tout comme il a trouvé les bons acteurs, qu’il dirige à la perfection. Mahershala Ali et Naomie Harris, les deux « stars » au générique sont bien entendu incroyables. Le premier, tout en douceur, porte en son sein des contractions au centre du récit, avec une puissance retenue ô combien bouleversante, tandis que la seconde, dont le rôle s’inspire grandement de la mère de Jenkins, évite de trop en faire avec tout le talent dont elle sait faire preuve. Sans oublier Andre Holland, un acteur vu notamment dans la série The Knick, ici également parfait. Cela dit, c’est aux trois comédiens qui campent le héros à différents moments de sa vie, qu’il convient de tout d’abord applaudir. Étrangement oubliés des cérémonies, ils sont pourtant à la base de toute la dynamique de Moonlight à laquelle ils confèrent leur innocence, leur douceur et leur rage. Et ce que l’on parle du jeune Alex R. Hibbert, d’Ashton Sanders, ou de Trevante Rhodes, peut-être la révélation du long-métrage, qui campe Chiron à l’âge adulte pour finir de donner au personnage cette force brute qui n’avait jusqu’alors fait que bouillonner intérieurement, et cette douceur assortie d’une frustration tellement bien retranscrite qu’elle ne peut que s’avérer déchirante.

En Bref…
D’une limpidité rare, Moonlight fait montre d’une force évocatrice incroyable. Complexe et profond, il ne tombe jamais dans l’excès et parvient à rendre justice à des émotions authentiques. Il peut compter en outre sur la pertinence et la sensibilité d’un casting exigeant qui, de concert avec un réalisateur habité, entretient une éloquence à laquelle il est difficile de rester insensible. Un film utile, intelligent et forcément indispensable en ces temps où l’intolérance et la haine ont la fâcheuse tendance de s’inviter au cœur de débats qui finalement, ne relèvent que du droit de tout un chacun à aimer et s’affirmer pour s’épanouir.

@ Gilles Rolland

Moonlight-Mahershala-ALi  Crédits photos : Mars Films

Par Gilles Rolland le 3 février 2017

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