[Critique] SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE
Titre original : Bad Times at the El Royale
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Drew Goddard
Distribution : Cynthia Erivo, Jeff Bridges, Chris Hemsworth, Lewis Pullman, Jon Hamm, Dakota Johnson, Cailee Spaeny, Manny Jacinto, Jim O’Heir…
Genre : Thriller
Date de sortie : 7 novembre 2018
Le Pitch :
Jadis, l’hôtel El Royale attirait la jet set de toute la région. Connu pour être à cheval sur deux états, la Californie et le Nevada, il n’a aujourd’hui de prestigieux que les photos qui, accrochées au mur, témoignent de son glorieux passé. À l’El Royale où débarquent, par une sombre nuit de janvier 1969, un prêtre, une chanteuse, un vendeur d’aspirateurs et une jeune femme. Des personnes qui ne sont peut-être pas ce qu’elle semblent être et qui vont participer d’une façon ou d’une autre au déferlement de violence qui va à tout jamais bouleverser leurs existences…
La Critique de Sale temps à l’hôtel El Royale :
Réalisateur et scénariste de La Cabane dans les bois, qui à l’époque, avait su s’imposer avec vigueur comme une excellente surprise, réinventant avec générosité certains des codes les plus éculés du film d’horreur, Drew Goddard revient au grand écran après avoir chapeauté les trois brillantes saisons de Daredevil à la télévision. Un retour qui démontre si besoin était à quel point le bonhomme en a sous la pédale, lui qui propose encore une fois un dynamitage en règle d’un genre, le polar, pour au final nous gratifier d’un film un peu sorti de nulle-part, souvent jubilatoire, intriguant et maîtrisé…
« We are programmed to receive… »
Sale temps à l’hôtel El Royale commence un peu comme Les Huit Salopards de Quentin Tarantino. Plusieurs personnages se pointent dans un hôtel isolé. On ne sait pas ce qu’ils veulent et à vrai dire, on ne sait pas non plus qui ils sont. Une tempête éclate et leur isolement se fait quasiment total. Puis un élément déclencheur met le feu aux poudres et c’est l’escalade de violence. Et si on pense à Tarantino, on pense aussi au film Identity. Question d’ambiance. Un motel, la pluie, la nuit, les faux-semblants… Drew Goddard regarde à droite et à gauche, prend ce qui lui plaît et ce qui l’arrange, mélange tout et nous propose sa propre version d’un schéma assez classique. Sa recette, sur le papier, n’a rien de très séduisant vu qu’elle semble proposer une resucée d’un truc qu’on a déjà vu ailleurs et probablement en mieux. Sauf que non. Avec la générosité qui le caractérise, le réalisateur/scénariste parvient à peu à peu emporter l’adhésion. Comment ? On vous explique…
« You can check out any time you like… »
Il y a tout d’abord ce rythme. Redoutable le rythme. Avec ses flash-backs savamment exploités, et son scénario à tiroirs qui sait où s’arrêter avant d’en faire des caisses, Sale temps à l’hôtel El Royale fait les choses en grand sans avoir l’air de se prendre la tête ni de péter plus haut que son cul. Baigné dans une ambiance à couper au couteau, qui renforce bien l’immersion et confère du même coup au film une partie de sa personnalité très marquée, le récit réserve un grand nombre de surprises. Les surprises qui participent aussi à cette impression de fluidité qui se dégage de la narration. Bien qu’il y ait aussi quelques longueurs ici ou là. Mais rien de grave car si le métrage dure plus de 2h20, il sait néanmoins justifier sa durée un poil excessive et, même si cela peut paraître paradoxal, ne perd pas trop de temps en circonvolutions inutiles. Alors Drew Goddard emporte l’adhésion grâce à l’atmosphère qu’il a su construire, grâce au rythme de son histoire mais aussi grâce à ses personnages. Et si les personnages sont si réussis, eux qui sont les piliers du film, c’est aussi parce que le casting est parfait.
« But you can never leave. »
De Jeff Bridges, étrangement touchant, à Chris Hemsworth, qui nous livre sa propre version chamanique d’une sorte de Jim Morrison complètement cinglé mais toujours très charismatique, en passant par l’impériale Cynthia Erivo et Dakota Johnson, Lewis Pullman ou John Hamm et Cailee Spaeny, Sale temps à l’hôtel El Royale est un grand film de comédiens. Des acteurs qui subliment leurs partitions respectives, en campant des rôles tour à tour imprévisibles ou suffisamment cintrés pour convaincre sur la longueur. Des protagonistes engagés dans un huis-clos parcouru d’éclairs de violence, aussi divertissant que passionnant dans sa façon de jouer sur l’époque dans laquelle il prend pied pour au final raconter à sa façon, dans l’outrance, le décalage et le mélange des genres, la fin du Summer of Love et l’entrée dans les tumultueuses années 70. Autrement dit, Sale temps à l’hôtel El Royale est un film sur la fin de l’innocence. Ce que viennent confirmer les personnages de Dakota Johnson et Cailee Spaeny, mais pas seulement. Évoluant sur plusieurs niveaux, avec une maestria véritable, roublard et intelligent, ce thriller s’appuie certes sur des gimmicks bien connus, mais finit par trouver sa propre voix, tout en restant référentiel.
En Bref…
On aurait bien tort de considérer Sale temps à l’hôtel El Royale comme une copie d’un film de Tarantino. Drew Goddard est trop malin et talentueux pour simplement copier/coller ce qui marche chez les autres, aussi glorieux soient-ils. Lui ce qu’il fait, c’est qu’il prend à revers, respecte ses personnages et son public, ne se contente pas des lieux communs et va jusqu’au bout de son propos. En cela, et par bien des aspects, son Sale temps à l’hôtel El Royale est au thriller ce que La Cabane dans les bois fut au film d’horreur. Avec plus de maturité néanmoins et une direction d’acteurs beaucoup plus appuyée et exigeante.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : 20th Century Fox France