[Critique] THE NEON DEMON

CRITIQUES | 19 juin 2016 | Aucun commentaire

Titre original : The Neon Demon

Rating: ★★★½☆
Origine : États-Unis/Danemark/France
Réalisateur : Nicolas Winding Refn
Distribution : Elle Fanning, Jena Malone, Keanu Reeves, Christina Kendricks, Bella Heathcote, Abbey Lee,…
Genre : Drame/Fantastique/Horreur
Date de sortie : 8 Juin 2016

Le Pitch :
Jesse, une jeune et jolie fille de 16 ans, débarque à Los Angeles avec l’ambition de percer dans le mannequinat. Si photographes et designers reconnaissent immédiatement la pureté de sa beauté, cela lui attise également la jalousie des autres filles, prêtes à tout pour réussir, quitte à se débarrasser de cette nouvelle concurrente…

La Critique :
Voici donc enfin le dernier film de Nicolas Winding Refn, dévoilé à Cannes cette année, après des mois d’attente au cours de laquelle le réalisateur danois n’aura rien révélé de l’intrigue de son bébé, préférant jouer la carte du mystère, livrant quelques considérations d’ordre psychanalytique sur ses intentions et son inspiration. Les rumeurs les plus folles ont laissé entendre qu’il pourrait en fait s’agir d’un pur film d’horreur, voire d’un giallo, et la possibilité que des cannibales soient conviés à la fête fut également évoquée. Pourtant, le pitch, connu depuis la mise en chantier du projet, suggérait plutôt un pur drame. Ou au pire, un thriller. Mais M. Refn a l’habitude de prendre le public à contre-pied, une qualité assez rare pour être applaudie, et l’impatience de découvrir The Neon Demon tient en partie au fait que l’on s’attende à ce que ce nouvel opus nous bouscule, nous dérange, bref, nous surprenne.

The-neon-demon-elle-fanning

De ce strict point de vue, le film ne déçoit pas. Même si la mise en scène contemplative et l’ambiance onirique renvoient aux précédentes productions internationales de Refn (Valhalla Rising, Drive et Only God Forgives, sans oublier Fear X, son premier film américain oublié de tous), The Neon Demon en prend effectivement le contre-pied à plusieurs niveaux : tout d’abord, il s’agit de son premier personnage principal féminin – nous reviendrons plus tard sur ce point. Ensuite, son sujet n’en fait pas initialement un film de genre contrairement à Only God Forgives qui est en apparence un film de vengeance à la sauce asiatique, Drive un film de casse, ou Valhalla Rising de l’heroic fantasy. Pourtant, l’histoire de cette jeune campagnarde rêvant de fouler les podiums des plus grands défilés Californiens et se voyant confrontée à la tentation de vendre son âme à ce monde de luxe et de luxure, n’est encore une fois qu’un véhicule pour nous livrer un film hautement personnel, voire nombriliste. Car c’est au plus profond de son psyché que Refn puise le combustible qui alimente ses scénarios. Les fantasmes, pulsions et obsessions du réalisateur sont, plus encore que dans Only God Forgives, exposés sans fard, sans tabou. Ce jusqu’au-boutisme graphique et scénaristique avait déjà causé le rejet du film précité par une grande partie du publique et de la critique qui avait pourtant encensé Drive. Mais Drive est une exception dans la carrière de Refn dont celui-ci se serait peut-être bien passé. Il le dit lui-même : Only God Forgives est ce qu’il est, à savoir un argument de série B monté en œuvre abstraite et au discours psychanalytique, en réaction au succès populaire de Drive. Refn est un auteur/autiste qui revendique sa personnalité, dont un des fondements est l’indépendance et le refus de répondre aux attentes du publique et des studios pour ne servir que ses propres envies et affirmer sa singularité. The Neon Demon persiste dans cette voie et la fable glamour et potentiellement prompte à séduire un jeune public féminin s’avère être un trip sensitif de près de 2 heures, dont l’atmosphère informe la caractérisation de personnages venus de (et allant vers) nulle part. Comme le prônait Ernest Hemingway en littérature: « Show, don’t tell ». Au cinéma, c’est pareil: il faut montrer, pas expliquer. Et Nicolas Winding Refn de nous immerger dans l’esprit de sa Belle aux prises avec la Bête, le Démon du titre, celui de l’intérieur, le narcissisme et le culte de l’apparat, le miroir aux alouettes.
D’ailleurs, de miroirs, il en est beaucoup question dans le film, l’image qu’ils renvoient étant souvent associée à un double maléfique, la part sombre de l’héroïne. Celle-ci, innocente et naïve de prime abord est une projection du réalisateur. Comme il l’explique lui-même, il est fasciné par le monde de la mode, son esthétique et son atmosphère, même si il avoue ne pas le cautionner pour autant. Dans Only God Forgives, Refn exposait son sentiment d’insécurité, l’envie de retourner à l’état prénatal dans le ventre maternel. Après le tournage, il rêva de sa propre renaissance, dans le corps d’une jeune fille de 17 ans, ce qui constitua l’inspiration première pour The Neon Demon. C’est à Elle Fanning qu’incombe d’incarner cette jeune fille à la fois consciente de son potentiel, mais étrangère aux règles de la jungle que représente le business de la mode. Elle veut parvenir à ses fins, mais rejette d’abord les compromis et la compétition du milieu. Pour autant, sa vertu et son innocence vont faire d’elle l’objet du désir des pygmalions et attiser la jalousie de ses concurrentes. Fanning, 22 ans à la ville, parvient sans problème à se faire passer pour une jeune fille de 16 ans. Elle trouve ici son rôle le plus osé, même si à l’écran, la pudeur reste de mise, la mère de l’actrice veillant en coulisse et chaperonnant personnellement la carrière de ses filles (NDR : elle est la sœur cadette de Dakota Fanning vue entre autres dans La Guerre des Mondes de Steven Spielberg). Mais bizarrement, son personnage sonne creux, et quand bien même cela concorde avec le discours du film, la passivité du personnage (elle n’influe que peu sur une intrigue déjà réduite à sa forme la plus simple) tend à distancier le spectateur. Certes, Refn a bien dit qu’il « était » son héroïne et ça se sent, tant le film s’applique à nous faire partager l’expérience du personnage. Hélas, il manque quelques points d’ancrage qui permettraient d’éprouver l’empathie nécessaire à son égard. Sa passivité empêche à ce titre toute identification directe, qu’il s’agisse d’approuver ou réprouver ses choix.

L’onirisme revendiqué de la mise en scène est contrebalancé par des séquences plus crues et brutes, renvoyant à la réalité du monde: ruelles mornes et motel délabré, absence de maquillage…et cadavres, qui nous rappellent que la chair si attrayante des corps des top-models n’est au fond qu’une enveloppe dépourvue de toute vie et identité propre une fois vidée de son âme.
Nicolas Winding Refn continue sa thérapie par film interposé, privilégiant l’expérience sensorielle aux longs discours, même si il n’est pas interdit de trouver qu’avec une durée de 1h57, le montage de The Neon Demon aurait justement pu gagner à être raccourci, certains scènes contemplatives versant parfois dans la superficialité dénoncée (ou adulée sans vouloir l’avouer?).
Si la filmographie de Refn depuis ses débuts au Danemark (la trilogie Pusher, Bleeder) a toujours eu recours à une violence et un gore des plus sordides, The Neon Demon va plus loin encore que Only God Forgives, jouant la carte de la transgression (y a-t-il des nécrophiles dans la salle ?) et de la soumission, le tout dans une ambiance malsaine. A l’instar de David Lynch ou Darren Aronofsky, Refn fait partie de ses auteurs dont les sujets souvent terre-à-terre cache des thématiques beaucoup plus personnelles et intimes – des auteurs-stars, dont le nom devient malgré eux une marque de fabrique. Comme on attend de Tarantino qu’il fasse du Tarantino quand bien même il choisit toujours des histoires appartenant à différents registres, Refn est lui aussi en train de devenir sa propre marque. Ironiquement et comme pour confirmer cet affirmation, ses trois initiales apparaissent durant le générique de début, avant même le titre, et restent à l’écran de façon étrangement longue. On pense au nom d’un créateur dans une pub pour un parfum, « NWR » tenant plus du logo d’une marque que du nom d’un réalisateur.
Si The Neon Demon peut fasciner autant qu’il peut agacer, le fragile équilibre entre « génie sans concession » et « masturbation vaine » vacille parfois, notamment lorsque quelques situations aux débordements graphiques et scénaristiques virent à l’auto-caricature, lorsque Refn semble trop conscient de faire du Refn. L’intéressé se revendiquera sûrement plutôt de Jodorowsky, autre grand gourou/cosmonaute/psycho-auteur des 7ème et 8ème Arts. Et si Valhalla Rising ou Drive avaient un petit air Kubrickien, on pourra voir dans The Neon Demon un lien de parenté avec l’œuvre de Brian De Palma…dommage toutefois qu’il évoque plus ses œuvres les plus récentes comme Femme Fatale (pas sa plus grande réussite) ou Passion (un ratage auto-caricatural justement). Avec le recul, on peut dire que les films danois de Refn venaient des (et parlaient aux) tripes, que Drive venait de l’esprit mais parlait avec le cœur ; et à l’inverse, que Only God Forgives venait du cœur mais parlait à l’esprit. The Neon Demon, lui, donne l’impression de manquer de cœur. Et l’esprit, aussi brillant soit-il, ne nous permet pas de rentrer totalement dans le trip que nous offre son auteur.

@ Jérôme Muslewski

the-neon-demon-cast Crédits photos : The Jokers/Le Pacte

Par Jérôme Muslewski le 19 juin 2016

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