[Critique] MA VIE DE COURGETTE

CRITIQUES | 21 octobre 2016 | Aucun commentaire
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Rating: ★★★★☆

Origine : France/Suisse
Réalisateur : Claude Barras
Distribution en voix : Gaspard Schlatter, Sixtine Murat, Paulin Jaccoud, Michel Vuillermoz, Raul Ribera, Estelle Hennard, Elliot Sanchez, Lou Wick, Brigitte Rosset, Monica Budde, Adrien Barazzone, Véronique Montel…
Genre : Animation/Drame/Comédie/Adaptation
Date de sortie : 19 octobre 2016

Le Pitch :
Icare alias « Courgette », petit garçon de 9 ans, perd sa mère et se voit placé en foyer d’accueil. Triste et isolé, il va pourtant découvrir un nouveau monde et pleins d’amis. Un nouveau monde où il pourra être heureux…

La Critique :
Le sujet de Ma Vie de Courgette est plutôt lourd, le long-métrage d’animation de Claude Barras, beaucoup moins. Cette histoire adaptée du livre de Gilles Paris et originellement intitulée Autobiographie d’une Courgette, avait déjà eu droit à un téléfilm, La vie c’est mieux quand on est grand, signé Luc Béraud en 2008. L’adaptation cinématographique de 2016 aurait pu prendre les traits d’un vrai film avec de « vrais » acteurs, et baigner dans une intensité dramatique pesante, mais il n’en est rien.

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C’est tout d’abord le choix de l’animation qui a été fait et aussi celui d’une certaine légèreté. L’animation est d’ailleurs bien singulière puisque tout a été réalisé avec la technique du stop motion, hormis certaines images précises, recréées par ordinateur. Pour rappel, le stop motion est une animation en volume, image par image. C’est à dire un procédé qui utilise des décors réels et immobiles, des maquettes, que l’on déplace légèrement entre chaque prise de vue, entre chaque photo. Toutes les images sont ensuite assemblées étape par étape ce qui créé le mouvement et donc au final un film animé. Cette technique est très ancienne mais a pratiquement disparu désormais pour laisser la place à la synthèse, à l’animation 3D. Cependant, certains réalisateurs continuent de l’exploiter comme Tim Burton pour citer le plus célèbre. On mentionnera notamment le très beau Les Noces Funèbres, qui contient cependant quelques images de synthèse, ou encore le court métrage Vincent datant de 1982, très noir et à l’esthétique gothique, mais aussi Frankenweenie, à la fois film de 2012 et également court-métrage de 1984. On a également pu voir récemment Shaun le mouton (Richard Starzak et Mark Burton) et L’Étrange pouvoir de Norman (Sam Fell et Chris Butler). On peut donc constater que la technique, malgré le grand avènement de la synthèse, est toujours présente, bien que minoritaire. Pour la petite histoire, la technique du stop motion a été popularisée par le concepteur d’effets-spéciaux, Ray Harryhausen, décédé l’année dernière. On se souvient encore de la célèbre bataille des guerriers et des squelettes dans Jason et les Argonautes, de la trilogie de Sinbad ou encore du Choc des Titans. Ray Harryhausen, considéré comme l’un des maîtres dans son domaine, a inspiré de nombreux réalisateurs, comme Tim Burton cité plus haut ou encore Guillermo del Toro, par exemple.

C’est donc aujourd’hui et sous nos latitudes, que cette technique réapparaît dans le très bon film de Claude Barras. Un film qui nous transporte dans la vie de jeunes enfants placés en foyer, et donc avec une histoire de vie difficile. Dans Ma vie de Courgette, tous les personnages ont un parcours bien à eux, et se raccrochent les uns aux autres afin de survivre dans un monde qui ne les a déjà pas vraiment gâtés. Il est clair que leur histoire personnelle cache des faits très difficiles, mais le film ne va cependant jamais dans les détails sinistres, se contentant seulement de les évoquer brièvement.
Ma vie de Courgette reste à la surface de cette douloureuse réalité et conserve ainsi son esprit positif et son accessibilité. Les personnages, d’une dizaine d’années environ, ou un peu plus parfois, sont bien entendu dans la souffrance, l’isolement et la solitude, mais pas dans le désespoir. C’est d’ailleurs cet isolement, plus que tout autre chose, qui est fortement ressenti. Un ressenti qui est grandement aidé par une atmosphère sonore assez pauvre, car il y a en effet très peu de musique. Les sons se cantonnent aux dialogues, très bien écrits, ou aux bruitages des objets mais presque rien de plus. L’isolement est donc d’autant plus fortement éprouvé, ce qui permet une plongée plus significative au cœur de la vie des foyers pour enfants. Ce minimalisme sonore se distingue énormément de la grande majorité des productions d’animation que l’on peut voir aujourd’hui. Certaines de ces dernières sont d’ailleurs des festivals de bruit, ce qui donne parfois des métrages assez pénibles. Le film contient tout de même des passages musicaux sympathiques, mais il porte un plus grand intérêt au visuel, avec un soucis du détail assez incroyable. Les décors ne se contentent pas uniquement du foyer. On passe du grenier de la maison de Courgette, son havre de paix, aux montagnes enneigées, on fait un tour dans une fête foraine, puis on assiste à des séquences de repas très travaillées. Il y a aussi beaucoup de couleurs, comme pour contrer la noirceur de cette histoire pas facile. Tous les personnages apparaissent sous les traits de marionnettes très solaires, à la physionomie pleine de couleurs flamboyantes. Les marionnettes incarnant les personnages sont toutes superbement réalisées et aussi toutes très différentes. La minutie des détails, les décors divers et même parfois oniriques, comme la séquence nocturne du lac au bord de la montagne, et les nombreux accessoires, permettent au film de se hisser parmi les productions d’animation de haute qualité. Tout est très travaillé et rien n’est jamais bâclé. Cet univers riche concède à ce long-métrage d’animation un cachet tout particulier qui fait plaisir à voir. On revient à quelque chose qui se rapproche d’un certain artisanat, d’un certain goût de l’authenticité et non à un business usé et sans âme. La technique de l’animation en volume et la pluralité des décors dans lesquels évoluent les personnages ont demandé un travail de titan aux équipes. Il a en effet fallu plus de deux ans pour que Ma vie de Courgette voit le jour, et on ne peut qu’admirer le splendide résultat de ce méticuleux ouvrage d’artisans.

Bien sûr, en plus d’être une belle prouesse technique, ce long-métrage d’animation est aussi une jolie fable pleine d’altruisme à l’accent social. Les jeunes enfants qui perdent leurs parents ou ne pouvant plus vivre avec ces derniers, sont placés dans des foyers d’accueil où la solitude est très présente et où l’avenir ne semble guère lumineux. Une solitude qui peut s’avérer longue car les enfants qui atteignent un certain âge ont très rarement la chance d’être adoptés. Un fait que le métrage relate très bien, avec justesse et surtout avec une belle émotion, mais qui n’est jamais lourde à porter. Dans Ma vie de Courgette, le cœur est touché mais pas coulé. La lumière n’existe que parce qu’il y a eu de l’obscurité et de la lumière, ici, il y en a un paquet. Le film de Claude Barras est intelligent, rempli d’espoir, et déborde de tendresse, sans pour autant oublier la gravité et la réalité de son sujet. L’émotion est forte, brève et n’étouffe pas. D’autant qu’elle est accompagnée d’un humour bien pensé. Le but est d’aborder un sujet sensible sans charger la mule et donc de rendre le propos accessible à un large public. Seulement, dans ce soucis d’accessibilité, certains pourront ressentir un manque de profondeur, vis à vis d’un film qu’ils auraient peut-être préféré plus intense émotionnellement. Ceci pourra donc constituer un petit défaut pour une partie des spectateurs. Par ailleurs ce qui est admirable ici, c’est aussi la fabuleuse résilience des personnages, qui en ne se laissant pas abattre par leur passé, rebattissent une famille à l’intérieur du foyer. Ils ont bien évidemment des traumas mais cela ne les empêche pas d’avancer, et c’est sur ce point que Ma vie de Courgette se fait insistant. Le foyer n’est d’ailleurs pas ici un endroit sinistre et glauque, mais un abris, un petit nid douillet où vivre sa vie d’enfant paraît plus simple. Il est aussi l’endroit où Courgette va se faire des amis, vivre de belles aventures et découvrir la bienveillance. Évidemment il y a les problématiques de la solitude et du manque, comme stipulé plus haut, il y a la critique sociale de ces enfants abandonnés, mais le travail des éducateurs est plutôt salué, et l’espoir est mis en avant.

Le livre Autobiographie d’une Courgette de Claude Barras a été traduit en plusieurs langues, et vendu en milliers d’exemplaires. Le film quant à lui, avec son univers très personnel, est désormais sur nos écrans et il vaut largement le détour.

En Bref…
Ma vie de Courgette est une jolie ode à la différence et à la singularité, qui évolue au cœur d’une bienveillance sincère. L’histoire triste de prime abord, émeut juste ce qu’il faut, transporte et fait aussi sourire. On salue le grand travail des artistes aux manettes de cette belle et douce œuvre hors du commun et hors du temps.

@ Audrey Cartier

ma-vie-de-courgette2  Crédits photos : Gebeka Films

Par Audrey Cartier le 21 octobre 2016

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