[Critique série] 11.22.63
Titre original : 11.22.63
Rating:
Origine : États-Unis
Créatrice : Bridget Carpenter
Réalisateurs : Kevin Macdonald, Fred Toye, James Strong, James Franco, John David Coles, James Kent.
Distribution : James Franco, Sarah Gadon, Chris Cooper, George Mackay, Lucy Fry, Daniel Webber, Cherry Jones, Josh Duhamel, Nick Searcy…
Genre : Fantastique/Thriller/Drame/Adaptation
Diffusion en France : Canal +
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
Jake Epping, un professeur d’anglais, apprend qu’un de ses meilleurs amis, Al Templeton, est condamné par une grave maladie. Ce dernier, qui semblait étrangement en pleine forme il y a quelques jours, fait alors une confidence à Jake : il existe dans l’arrière-boutique de son Diner, un passage qui permet de remonter le temps jusqu’en 1960. Al poursuit en expliquant à Jake qu’il a à plusieurs reprises tenté de se servir de ce portail pour sauver le président Kennedy, mais que toutes ses tentatives se sont soldées par des échecs. C’est alors qu’il demande au jeune homme de prendre la suite et de se rendre en 1960 pour découvrir qui a tué JFK afin de lui sauver la vie. Plutôt circonspect, Jake accepte mais ne va pas tarder à se rendre compte qu’on ne change pas le passé sans devoir en subir les conséquences…
La Critique :
11.22.63 (22/11/63 en français) est non seulement l’un des meilleurs ouvrages récents de Stephen King, mais c’est aussi l’un de ses plus grands romans tout court. Il fait indéniablement partie de ceux qui se détachent, notamment de par sa capacité à utiliser son redoutable postulat pour aborder plusieurs sujets. C’est d’ailleurs l’un des grands talents de l’écrivain : faire intervenir le fantastique ou l’épouvante dans le quotidien pour au final écrire tout simplement au sujet de la vie et donc de choses qui finissent par irrémédiablement nous toucher.
Inutile de dire que l’adaptation produite par J.J. Abrams de ce livre était attendue de pied ferme. Et si le format série choisi pour donner corps au roman a pu soulever quelques doutes en premier lieu, il faut bien avouer, vu le résultat, que c’était effectivement la bonne solution.
11.22.63 a donné à Stephen King l’opportunité d’aborder le voyage dans le temps, un sujet extrêmement porteur s’il en est, déjà au centre d’un grand nombre de bouquins, de films et de séries, qu’il allait falloir justifier et exploiter. Ici, Jake Epping, le personnage principal, ne se sert pas du portail temporel mis à sa disposition pour son propre compte mais pour prendre part à l’Histoire de son pays. Pour jouer un rôle primordial lui qui jusqu’ici, exerçait son métier d’enseignant tout en essayant de démêler le sac de nœuds qu’est devenue sa vie sentimentale. En pénétrant dans cet espèce de trou de ver, à l’arrière d’un restaurant (toujours cette proximité très ordinaire, habituelle chez King, qui s’oppose aux dispositifs s.f. plus courants dans le genre), Jake entend empêcher l’assassin de Kennedy (Oswald si c’est bien lui) d’accomplir sa tâche et ainsi modifier le cours des choses. Avec cette histoire, la série comme le roman avant elle, revisite tout un pan de la culture américaine en ressuscitant avec une minutie exemplaire les années 60 avec tout ce que cela sous-entend. La réalité du XXIème siècle est morne pour le héros, qui va trouver beaucoup plus qu’il ne le pensait au cœur d’un espace temps qui n’a jamais été le sien. La réflexion a quelque chose de profondément universel quand on y pense, indépendamment de l’arc narratif « Kennedy », car au fond, il y a ici une critique de notre temps, qui si elle n’est pas directe, demeure très pertinente pour autant. C’était mieux avant, mais… Car il y a toujours un mais. Dans le cas présent, il s’agit du temps « lui-même » qui ne se laisse pas manipuler à la guise du personnage central. Toute la série repose au fond sur la course contre la montre que livre Jake Epping. C’était déjà dans le livre et on le retrouve, sous une forme un peu modifiée, dans la série. Un show qui reste dans les clous imposés par King dans son premier acte mais qui, par la suite, prend le risque de prendre un peu la tangente et de s’éloigner. Pour mieux revenir ? Le révéler tiendrait probablement un peu du spoiler donc nous allons nous abstenir. Sachez simplement qu’à aucun moment l’adaptation n’est décevante. Le principal est là, que ce soit dans la progression de l’intrigue centrale ou dans la façon dont la série a d’amener l’histoire d’amour, touchante à souhait, entre James Franco et Sarah Gadon.
Même quand elle introduit un nouveau personnage, la série fait mouche. Tout ça car elle sait à quel moment se séparer du livre. Elle a conscience de la pertinence de ses choix et comprend qu’au fond, une adaptation n’est jamais aussi réussie que quand elle ne se contente pas de calquer son modèle jusque dans les moindres détails. Alors oui, parfois, on a un peu peur mais très vite, tout rentre dans l’ordre.
Au fond, la seule chose qu’on pourrait reprocher à 11.22.63 c’est de parfois se perdre un peu en digressions inutiles. Notamment dans la phase d’observation, quand Epping et son acolyte surveillent de près Lee Harvey Oswald. Des moments de flottement qui offrent par contre quelques respirations parfois bienvenues et qui se voient justifiés par la suite. L’unité du scénario de la série n’est pas aussi flagrante que celle du livre. Ce que ne manqueront pas de souligner ceux qui l’ont lu. Mais au fond, ce n’est pas si grave, tant la série s’envisage dans sa globalité, parvenant à la fin, à justifier la somme de ses décisions, y compris celles qu’on pourrait assimiler à de petites fautes de goût ou à des maladresses.
Et puis il y a les acteurs. Le casting est tellement judicieux et inspiré, qu’il suffit à gommer les rares défauts inhérents au développement de l’intrigue. Car avec peut-être deux épisodes de moins, 11.22.63 n’aurait souffert d’aucun travers majeur. Cela dit, pour revenir aux acteurs, force est de reconnaître qu’ils sont parfaits. À commencer forcément par James Franco. Un type dont l’omniprésence et la forte personnalité ont peut-être tendance à nous faire oublier à quel point il est bon et concerné. De quasiment tous les plans, il capte l’essence de son rôle et nous gratifie d’une performance riche en nuances qui contribue largement à faire de cette adaptation une partition de haut vol. En face, Sarah Gadon fait montre d’une présence solaire unique. D’une beauté cristalline à couper le souffle, elle impose avec grâce son personnage, qui prend du coup une importance accrue, notamment en dispensant une émotion que Franco nourrit à son tour, pour toucher au vif. George Mackay, nouveau talent à suivre de très près, fait aussi très fort, lui qui campe la pièce rapportée de l’intrigue, tout comme le toujours irréprochable Chris Cooper, magnétique au possible.
Hulu, le network qui a produit et qui a diffusé la série, n’a pas lésiné sur le budget, permettant aux réalisateurs embauchés (dont le génial Kevin Macdonald, qui a emballé le pilote) d’avoir les coudées franches et de profiter de superbes décors, n’ayant absolument rien à envier aux grosses productions cinéma. Sur la forme, la série fait montre d’une classe inouïe. On se plonge dans les méandres d’une histoire policière qui ne se replie jamais sur elle-même. On entre de plein pied dans le passé de l’Amérique, au matin du jour qui bouleversa son histoire, aux côtés d’un héros auquel il est facile et tenant de s’identifier, pour au final vibrer devant une love story sincère et franchement bouleversante, avant de s’étonner de la virtuosité avec laquelle les scénaristes ont géré l’épineuse question de l’épilogue, si émouvant dans le livre. Même le passage que l’on qualifiera « d’apocalyptique » ne manque pas de mérite. Jamais 11.22.63 ne ressemble à une série, comme les adaptations du Fléau ou de Ça à certains moments. Seul le format nous rappelle que nous ne sommes pas devant un long-métrage de cinéma. En adéquation avec les nouveaux canons de la production télévisuelle, Hulu a donné la possibilité à cette adaptation d’exister de la façon dont elle se devait de prendre vie à l’écran.
En soi, le show se pose à la fois comme le digne héritier d’une tradition initiée par La Quatrième Dimension mais aussi comme une fresque à l’ancienne, parfois délicieusement désuète, avec ce qu’il faut de frissons et de romantisme.
En Bref…
11.22.63 vient sans mal se placer parmi les meilleures adaptations de Stephen King à l’écran. Palpitante, émouvante, ambitieuse et surprenante, elle s’avère aussi très immersive et addictive et bénéficie du talent d’acteurs parfaitement à leur place. Et puis on reconnaît la patte de King. Le processus n’a rien dénaturé et quelque part, entre deux allers-retours dans le temps, on capte ce petit quelque chose déjà dans Stand By Me, Les Évadés, ou La Ligne Verte. Les fans vont jubiler. Les autres aussi d’ailleurs.
@ Gilles Rolland